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L’énigmatique chemin de Javier Saviola
Un transfert record, un passage chez les deux cadors espagnols, une flopée de titres, des buts d'anthologie. Saviola aurait pu être le roi, il ne l'a jamais été. Tentative d'éclairage.
Germán Burgos, portier argentin complètement siphonné, notamment célèbre pour ses cheveux de rockeur et sa casquette rouge sur les terrains, a côtoyé la petite bouille de Javier Saviola lorsqu’elle faisait ses premiers crampons à River Plate. Pépère dans ses cages, le vieux goal avait tout le loisir d’observer le phénomène en herbe faire des misères aux défenses adverses. En bon physionomiste, « El Mono » Burgos lui trouve un surnom : « Le lapin » . Il faut dire que le bonhomme a presque toutes les caractéristiques de ce bon vieux Duracell : gabarit de poche, pelles en guise d’incisives, explosivité et talent sur le pré. Il ne lui en manque que deux : l’endurance et la persévérance. Avec à peine 300 matchs en 14 années de carrière, le lapin n’a jamais connu de vraie saison pleine. Il n’a jamais non plus réussi à s’imposer dans les grands clubs où il est passé. Tiens, mais pourquoi ?
Un transfert record en 2001
Pas besoin d’être grand et fort pour planter des buts. Comme un certain Léo Messi après lui, « El Pibito » Saviola se fait l’apôtre de la maxime dans les premières années de sa vie de footballeur. À River, le gamin ne touche pas terre. Sacré meilleur joueur sud-américain en 1999, à seulement 18 piges, le petit gars inscrit la bagatelle de 44 buts en 86 rencontres lors de sa période argentine. « Quand je le vois jouer, j’en ai la chair de poule » , adoube même le grand Diego. Forcément, les plus grosses écuries européennes sont alléchées par le nouveau phénomène. À l’été 2001, l’Espagne pille à coups de millions El Millonario. Le Barça signe un chèque de plus de 30 millions d’euros pour « El Conejo » — somme record pour l’époque —, tandis que Valence en met 24 pour l’autre joyau de River, et grand pote de Javier, Pablo Aimar. Malgré ce début tonitruant, Saviola reste un joueur de coup, capable de déstabiliser un match sur une fulgurance, comme ce soir de février 2007 où il martyrise toute la défense française d’une talonnade géniale, avant d’aller fusiller Grégory Coupet.
« El Pibito » n’a en revanche jamais été capable, en plus de dix ans de carrière, de réaliser une seule saison à 40 matchs. Un parcours en dents de scie, ponctué de quelques séries exceptionnelles — comme à l’hiver 2006-2007 où, profitant de la blessure d’Eto’o, il inscrit, contre toute attente, huit buts en huit matchs — et de longues périodes sur le banc. Jamais mauvais lorsque son entraîneur lui donne les clés du jeu offensif, « El Pibito » ne s’est pourtant jamais imposé face à une concurrence de classe mondiale. Sa période faste à Barcelone correspond parfaitement aux années de lose du club. Seul en pointe et sans pression, le garçon enchaîne les performances de standing. Mettez-lui un Eto’o dans les pattes, Saviola regagne tranquillement son fauteuil sur le bord de la pelouse. Incapable de gagner sa place dans le nouveau vestiaire de Rijkaard, Javier prend la direction de Monaco. Présenté comme le successeur de Morientes, l’Argentin ne séduira pas Deschamps qui préfère avoir un attaquant capable de jouer aussi le rôle de premier défenseur. Terne sur le Rocher, Saviola retrouve des couleurs à Séville où son association avec Kanouté fait un tabac.
« Saviola n’est pas un battant ! »
Toujours indésirable au Barça à son retour, Saviola joue les durs à cuire et refuse d’être transféré. Sans broncher, il laisse Rijkaard le démonter publiquement : « Saviola est mon septième choix en attaque, derrière Eto’o, Ronaldinho, Messi, Giuly, Guðjohnsen et Ezquerro. » Sérieusement, Ezquerro ? Pour se venger, le petit lutin joue les traîtres en s’engageant au Real gratuitement l’été suivant. « Un comportement de voyou » , dixit Joan Laporta. Ravi d’avoir une deuxième chance, Saviola remet pourtant le (mauvais) couvert au Real. Recruté à la demande de Bernd Schuster, l’attaquant de poche est étiqueté « indésirable » par ce même Schuster à peine quelques mois plus tard. Sommé de s’expliquer, le technicien allemand révèle au grand jour le défaut principal du « Conejo » : « Saviola est un bon joueur, mais ce n’est pas un battant. S’il n’est pas aligné, il ne va pas tout donner pour gagner sa place, il attend que la titularisation lui tombe du ciel. Dans un grand club, ça n’arrive que très rarement. » Bim, prend ça ! Pour joindre le geste à la parole, Schuster ne le titularise que lorsque Van Nistelrooy et Raúl sont tous les deux dans les choux. Autant dire une petite poignée de matchs. Juande Ramos fera de même.
Après deux années à cirer le banc ou à squatter l’infirmerie des Merengues, Saviola, 27 ans, l’âge de raison, choisit de quitter les vestiaires bondés des deux géants espagnols pour se relancer dans un projet à taille humaine : Benfica. Alors qu’on le présentait usé et tout cassé, le phénix renait encore une fois de ses cendres pour faire une saison — une demi-saison plutôt — remarquée. Scorant à onze reprises en championnat et contribuant grandement, par son duo de feu avec Óscar Cardozo, au titre de champion des Aigles de Lisbonne. Cette année-là, le petit gars se paie même le luxe d’être élu meilleur joueur du championnat portugais. Comme toujours avec Saviola, les saisons suivantes ne sont qu’une pâle copie de la première : l’efficacité se perd, la niaque s’évapore, la concurrence le bouffe, les pépins physiques s’enchaînent, le temps de jeu s’effrite. Libéré de son contrat avec Benfica en fin d’été, El Conejo a choisi de s’engager avec un grand malade : Málaga. Accompagné d’un autre garçon en quête de rédemption, le grand et fragile Roque Santa Cruz, Saviola devrait pouvoir gratifier Manuel Pellegrini d’un de ses habituels comebacks. Une seule question demeure : « Duracell » aura-t-il encore assez de jus ?
Par Pablo Garcia-Fons