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L’enfant de Furiani

Par Thomas Andrei
L’enfant de Furiani

Le 5 mai 1992, en marge d’une demi-finale de Coupe de France entre le SC Bastia et l’Olympique de Marseille, une tribune construite en moins de dix jours s’effondrait au stade Armand-Cesari. Bilan : 19 morts et plus de 2300 blessés. Pour beaucoup, c’était il y a longtemps. Pour certains, c’était hier. Et tous les jours depuis. Une image résume à elle seule l’étendue de la tragédie.

C’est une de ces photos qui hantent et paraissent tout résumer d’un événement funeste. Dessus, il y a tout. Cette mer de fer et de taule, d’abord, couchée au sol et ne signifiant plus rien. Comme un chien qui a mordu son maître jusqu’au sang et somnole au soleil comme si rien ne s’était passé. Ce qui s’est effondré gît à la lumière sur la terre claire de Furiani. Au fond, on voit ce qui a refusé de tomber, la carcasse de cette arène de bric et de broc, mais aussi le cadavre de la joie, de la ferveur, de la vie qui l’avait animée quand le jour déclinait et que l’ambiance montait. Puis il y a le ciel, insupportablement bleu, insupportablement clair, comme s’il tenait à stipuler que la vie devait continuer, comme si rien ne s’était passé.

Quand je vois cette photo… tout remonte… les larmes aussi.

D’autres personnages fixent ce spectacle macabre, cette nature morte, mais au premier plan, il y a surtout cet enfant qui a l’air de pleurer. Ses yeux à lui ne regardent rien. Ils sont plissés, fort. Comme s’ils ne voulaient plus jamais rien voir. Ou effacer l’image qu’ils venaient d’enregistrer et que le cerveau derrière eux ne pouvait comprendre. Le front du gamin de Furiani est collé contre la rambarde de fer qui doit le rafraîchir. Puis il porte ce survêtement Reebok aux couleurs désuètes, que l’on s’arracherait aujourd’hui en fripes. En Corse, on dit que tout le monde connaît quelqu’un qui a été touché par la catastrophe de Furiani. Ce n’est pas forcément vrai et tout le monde ne sait pas qui était cet enfant. Mais tout le monde le connaît. « Quand je vois cette photo… tout remonte… les larmes aussi », a ainsi déclaré une septuagénaire. Ce garçon était le fils d’un éducateur du club, ancien joueur du SEC Bastia de 1969 en 1971. Trente ans plus tard, il vit sa vie et n’a plus envie de parler de clichés pris à un âge où il ne se rendait compte de rien. Il ne sait pas quoi dire.

« Une photo touchante et magnifique »

Le 5 mai 1992, Josepha Guidicelli était encore plus jeune que lui. Elle avait 4 ans et perdait dans la catastrophe son père, le journaliste Pierre Guidicelli. « C’est une photo forte, souffle-t-elle. C’est le contraste qui la rend bouleversante : celui entre la ferraille et cet enfant. Le fait que ce soit à travers ses yeux que la tragédie est vue. On dirait qu’il ne peut pas se détacher de la tragédie. Il ne tient pas la rambarde, il s’y accroche. » Trois décennies plus tard, personne n’a oublié la peine qui régnait alors en Corse, mais les détails se sont perdus. L’auteur de la photo lui-même ne peut plus raconter ses souvenirs. Photo-journaliste breton, André Durand avait été dépêché sur place par l’AFP. Il avait connu la guerre Iran-Iraq, la chute de Ceausescu et les manifestations sur la place rouge de Moscou qui annonçaient la fin de l’URSS. Il a ensuite vu la Somalie, la Palestine, un camp de concentration près de Sarajevo. Il est mort en 2020. Alors photographe pour Le Provençal, Gérard Koch était aussi sur place. Il pense que la photo a été prise « de deux à quatre jours après le drame. On peut voir qu’ils avaient déjà un peu nettoyé, ramassé des indices, mis les barrières. Les gendarmes avaient presque fini leurs investigations. Les gens venaient se recueillir là : déposer des fleurs, des rubans, des écharpes. Certains portaient des minerves, d’autres avaient des béquilles. Ce gamin qui se recroqueville, c’est une photo touchante et magnifique. »

Cette photo montre l’ampleur du désastre. Un contraste entre l’horreur et l’innocence.

C’est aussi une photo qui bouleverse, car elle réveille en sursaut des sentiments enfouis par beaucoup. Mercredi soir était diffusé à Bastia 5 mai 92, un court métrage réalisé par la comédienne Corinne Mattei. « Je connais des gens qui n’ont pas parlé du drame pendant trente ans, assure-t-elle. Cette photo montre l’ampleur du désastre. Un contraste entre l’horreur et l’innocence. Lors de l’avant-première, on a senti une émotion très forte dans le public. On a mis des images sur des sentiments enfouis profondément. Cela fait mal et cela fait du bien en même temps. » Après la catastrophe, Mattei n’est pas allé se recueillir à Furiani. Elle était trop occupée à préparer les funérailles de son frère, Christian. « Je vivais à Paris, et on m’a dit qu’il était grièvement blessé. Je suis tout de suite rentrée. En fait, il était déjà décédé. Il avait 27 ans, et les derniers mots qu’il m’a dit, au téléphone, quelques heures avant le match, c’est« je vais faire la fête ». J’ai donc décidé de raconter cette journée, qui devait être une fête. Il était allé se munir de drapeaux, il se préparait à vivre un grand moment. » Plutôt que le pendant ou l’après, le film de 18 minutes raconte donc l’avant. Il s’achève dans la tribune, juste avant qu’elle s’écroule. Il raconte ce que l’enfant de Furiani ne montre pas. « On montre l’effervescence et la joie, mais rien du drame, de l’horreur, de la sidération. Pourtant, pendant tout le film, on sait vers quoi on s’avance. L’objectif est de montrer à quel point la vie peut être belle et s’arrêter d’un seul coup. »

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Par Thomas Andrei

Photo : André Durand/AFP.

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