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L’émir d’Islande
Le premier match réussi des Islandais à l'Euro a été un nouveau succès pour Lars Lagerbäck et son co-sélectionneur, Heimir Hallgrímsson. Tous les deux sont à la tête du drakkar islandais jusqu'à la fin de la compétition, après laquelle le second récupérera pleinement les clés de la maison.
Heimir Hallgrímsson a fêté ses 49 ans le 10 juin dernier, et les porte à merveille. Grand, blond, élancé, le sourire franc, la poignée de main ferme et l’air rieur, il est de ces Européens du Nord qui respirent la santé et l’hygiène de vie parfaite à plein nez. Avoir été footballeur professionnel pendant vingt ans aide à rester en forme, forcément. « Tu dois être solide pour être islandais ! » se contente-t-il d’avertir, en guise d’explications sur le fameux moule dans lequel la nature a jeté ses compatriotes. Et en particulier quand on débarque tout droit des îles Vestmann, aurait-il pu ajouter. Tout petit archipel coincé sous l’Islande, séparées des côtes par un bras de mer de dix kilomètres, les îles Vestmann ont produit un nombre impressionnant de joueurs professionnels pour une terre de 4000 habitants. Un environnement hostile, accessible uniquement par ferry si la météo le permet, et où l’effort forge la mentalité, comme l’a montré l’éruption volcanique de 1973 après laquelle toutes les familles ont dû quitter le coin. Parmi elles, celle de Hermann Hreiðarsson, ancien capitaine de la sélection islandaise et vainqueur de la FA Cup en 2008 avec Portsmouth : « Du jour au lendemain, les familles ont dû abandonner leur maison et s’entasser sur des bateaux pour se sauver. Ensuite, les hommes sont retournés sur l’île pour tout nettoyer. » Pour les coachs du club local, l’IBV, c’est certain : « Heimir Hallgrímsson a insufflé ça à l’équipe nationale. »
Premier ministre du président Lagerbäck
Les îles Vestmann sont fières de leur Heimir, et ce dernier le leur rend bien. « Je suis très fier de venir de là-bas. Vestmann est l’incarnation de l’Islande » , affirme-t-il solidement, lui qui y est né avant d’y réaliser une bonne partie de son parcours professionnel, puis d’y devenir entraîneur des équipes féminines puis masculines. C’est d’ailleurs ses bons résultats à la tête de l’IBV qui poussent les gars de la Fédération islandaise à regarder de son côté en 2011. L’équipe d’Islande ne représente alors rien sur l’échiquier du football mondial, mais est en train d’amorcer une métamorphose. Les jeunots de l’équipe espoir ont frappé fort en se qualifiant pour l’Euro espoir de 2011, en battant entre autres l’Allemagne 4-1 en éliminatoires, et le Suédois Lars Lagerbäck est arrivé à la tête de la sélection. Devenu professionnel de la reprise de petites équipes après ses succès avec la Suède et le Nigeria, Lagerbäck accueille immédiatement Heimir Hallgrímsson parmi ses adjoints. Ce dernier prend rapidement du galon, et en 2014, alors que démarrent les éliminatoires de l’Euro 2016, Lars Lagerbäck et Heimir Hallgrímsson fusionnent au poste de sélectionneur pour former une doublette inédite. « Il est arrivé au meilleur moment, quand on avait les meilleurs joueurs, et il a tout organisé » , se réjouit Heimir en prenant du recul. Car en 2014, leur feuille de route était toute tracée : les deux co-sélectionneurs travailleront main dans la main jusqu’à l’Euro 2016, après quoi Lagerbäck quittera ses fonctions pour laisser Hallgrímsson seul au pouvoir.
Coach et dentiste
Après la réussite de leur mission et la qualification historique pour l’Euro, Heimir Hallgrímsson se rend compte de l’exploit accompli. « C’est Lars Lagerbäck qui a fait un travail formidable » , démarre t-il, avant de revenir sur sa propre évolution : « Quand la Fédération m’a appelé, je pensais être capable de prendre en main l’équipe seul. Je te le dis du fond du cœur. Je pensais être assez bon pour entraîner la sélection, mais après deux ans avec Lars, je peux dire honnêtement que je n’étais pas prêt. » Sur le papier, la philosophie de jeu islandaise n’a pas été foncièrement révolutionnée : un 4-4-2 posé et appliqué, pas d’acrobaties, et un jeu direct sans fioritures. L’évolution a plutôt été opérée dans la mise en valeur de chaque élément, et de l’utilisation intelligente de chaque joueur, un travail rendu possible par la cohésion entre Lagerbäck et Hallgrímsson. « Coacher en duo, ça marche bien » , assure tranquillement ce dernier, devenu entraîneur avant même d’avoir arrêté sa carrière de joueur : « Avec l’IBV, j’entraîne depuis vingt ans ! » Là-bas, c’est lui qui a fait venir David James, alors âgé de plus de 40 ans, qui s’est immédiatement adapté à la vie locale en filant des coups de main dans l’usine de poisson du coin ou en clouant lui-même les panneaux publicitaires sur le bord du terrain. Une vie simple, à l’islandaise, à laquelle tient Hallgrímsson qui exerce encore son métier de dentiste dès qu’il le peut. « J’ai encore mon cabinet à Vestmann, et des dentistes qui travaillent pour moi. J’aime avoir cet à-côté. » Il est peut-être là, le secret des dents longues des Islandais.
Par Alexandre Doskov