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Lemar, partout et nulle part
Alors qu'il semble paradoxalement presque assuré d'être du voyage en Russie pour la Coupe du monde, Thomas Lemar est en train de rater dans les grandes largeurs sa saison à l'AS Monaco. Et ses probables adieux avec.
« Je ne vais pas le cacher, j’étais un peu déçu. Il ne faut pas cogiter là-dessus. J’ai continué à travailler pour que ces clubs essaient de revenir durant un mercato prochain. » En voulant jongler entre sincérité et langue de bois, on laisse parfois échapper de mauvais signaux. C’est ce qu’a fait Thomas Lemar dans une interview diffusée dans l’émission Téléfoot le dimanche 25 mars. Alors que le Monégasque avait été l’auteur d’une prestation plutôt aboutie avec l’équipe de France deux jours plus tôt contre la Colombie, Didier Deschamps disait de son joueur qu’il faisait « tout » pour aller à la Coupe du monde. Si « tout » ne se résume qu’au maillot bleu, oui, sans doute. Malheureusement pour eux deux, si les matchs amicaux des Bleus clignotent comme des sapins de Noël pour le grand public, ils n’éclairent pas pour autant la forêt de matchs qui peuple une saison.
Mercato, tôt ou tard
À la fin du mois d’août 2017, au bout d’un mercato estival agité sur le Rocher, la trêve internationale braquait déjà les projecteurs sur le jeune gaucher. Auteur d’un doublé contre les Pays-Bas, Thomas Lemar était sujet aux folles rumeurs du 31 août, l’envoyant tantôt à Liverpool, tantôt à Arsenal pour des sommes avoisinant les cent millions d’euros. Trop tard, Monaco avait déjà trop gagné et trop perdu pour laisser partir celui qui devait désormais endosser le costume de leader technique d’une équipe en reconstruction. Il était sans doute un peu grand ou alors Lemar ne l’était peut-être pas encore assez. Le fait est que, sept mois plus tard, l’influence du numéro 27 sur les performances de son équipe n’est pas tout à fait nulle, mais elle est négligeable par rapport à son statut.
Tous les autres joueurs offensifs alignés régulièrement dans le onze de Jardim ont pesé positivement à un moment ou un autre de la saison. Radamel Falcao, avec son incroyable efficacité lors de la phase aller ; Rony Lopes par sa décisivité en 2018 et plus globalement son profil de dynamiteur ; Keita Baldé par ses éclairs lors de matchs clés ; enfin, Jovetić qui, malgré sa fragilité physique, a connu quelques semaines de grâce totale à un moment où son équipe en avait besoin. Lemar, lui, n’a pas grand-chose à mettre en avant. Même sur le plan des statistiques, le dernier des recours, il ne fait pas illusion avec trois petits buts et huit passes décisives toutes compétitions confondues. Anecdotique pour un maître à jouer qui a le privilège de tirer la plupart des coups de pied arrêtés.
Terrain vague
L’ancien Caennais a des circonstances atténuantes. Il est vrai que le profil de latéral intérieur de Jorge ne l’aidait pas à combiner en début de saison, celui de latéral gauche de fortune d’Andrea Raggi encore moins aujourd’hui. Mais ça n’explique pas les mauvais contrôles, les dribbles téléphonés, les passes envoyées en touche et autres grossièretés techniques indignes de ses qualités. Surtout, Jardim a tenté de trouver des solutions, notamment en offrant sur plusieurs matchs un rôle plus axial à son meneur de jeu. Après une poignée de prestations encourageantes à ce poste, l’effet escompté n’a pas perduré et l’élégant gaucher donne depuis l’impression de s’agiter pour rien sur tout le front de l’attaque. Il redescend, fait des tours sur lui-même, va à droite, à gauche, mais ne distille que trop rarement de bons ballons à ses coéquipiers. Et il en perd beaucoup. Vingt contre Paris lors de la finale de la Coupe de la Ligue, par exemple.
Sa prestation trois jours plus tard au Roazhon Park était du même acabit. Elles le sont presque toutes. La faute à qui ? Au joueur ? Au club ? Difficile de tout mettre sur le dos d’un transfert avorté quand, dans le même temps, Fabinho réalise, lui, une saison honnête, bien que nettement en dessous de la précédente. Mais c’est tout de même là l’un des effets pervers d’une politique au succès incontestable, qui repousse certaines limites et en touche d’autres : la projection permanente des pépites sous contrat sur l’étape suivante les extrait parfois du présent. Compliqué de reprocher à un joueur de penser à son prochain transfert alors que ses propres dirigeants y pensent sans doute autant que lui. Lemar travaille pour qu’Arsenal et Liverpool se battent de nouveau pour lui. On n’en doute pas. Même s’il aurait probablement mieux valu pour tout le monde qu’il travaille avant tout pour défendre ses couleurs actuelles. Elles sont rouges également, mais elles manquent peut-être un peu d’éclat dans ces moments-là.
Par Chris Diamantaire