- Euro 2020
- 8es
- France-Suisse (3-3, 5 tab 4)
L’élimination de la France est-elle mauvaise pour le moral ?
L’élimination de l’équipe de France n’impliquera pas que des conséquences sportives. Si naturellement, il s’impose de relativiser l’événement, la participation des Bleus à l’Euro au moment où le pays sortait petit à petit des restrictions sanitaires suscita un engouement et des attentes spécifiques, bien au-delà de ce que nous avions connu par le passé. Du président de la République au simple tenancier de bar, la désillusion de lundi soir oblige à repenser l’été ainsi que la rentrée de septembre.
Lors de son déplacement à Clairefontaine, Emmanuel Macron avait expliqué ce qu’il espérait de la sélection nationale : « On ne peut pas demander à l’équipe de France de résoudre les difficultés de la nation(…), mais le sport peut contribuer à ces moments d’union nationale. » En gros, les Bleus ne vaincront pas la Covid ni ne relanceront l’économie, mais ils peuvent nous redonner le moral ou en tout cas de quoi affronter les épreuves qui s’annoncent encore à l’horizon post-virus (si tant est que le danger se révèle effectivement conjuré). Par le passé, l’EDF avait déjà joué ce rôle. Mais a posteriori. En 1998 ou en 2018, elle pansait les plaies d’une nation divisée par les questions de société ou encore traumatisée par les attentats, en venant décrocher le Graal d’une Coupe du monde.
Cette fois, il n’y aura donc pas de fin heureuse. Le retour sur Terre s’avère d’autant plus douloureux que le statut de favori posé sur leur épaules ainsi que le storytelling présidentiel leur imposaient quasiment un service minimum dans le dernier carré. Y compris Kylian Mbappé, qui a perdu son totem d’immunité. Les Français et Françaises voulaient gagner. D’abord pour eux-mêmes. Après une année de pandémie, de privations, de dépression confinée et de télétravail asphyxiant. Impossible, sinon, de comprendre que, dès les matchs de poule, les rues aient été envahies de fumis et de klaxons, surtout après un nul inespéré face au Portugal, fêté à l’instar d’une qualification en finale. Le symptôme dépassait le cadre de l’émergence d’un nouveau variant de footix.
L’économie de la pinte
Premier thermomètre de ce besoin d’une tectonique du bonheur, les bars. Les troquets, quel que soit leur genre, s’étaient étendus à la Napoléon sur les trottoirs, avaient déployé des tentes provisoires en cas d’averses impromptues et surtout disposé des écrans partout où c’était techniquement possible. Leurs propriétaires comptaient sur un parcours idyllique des Bleus pour rattraper leur trésorerie, ce qui, en retour, aurait permis de mesurer la renaissance d’un optimisme tricolore parmi nos concitoyens. Il était aussi envisageable que les performances de Benzema ou Griezmann entraînent dans leur sillage une curiosité ou une appétence pour les autres rencontres, et donc une réplique sur le tiroir caisse.
Là, il y a fort à parier qu’il sera plutôt simple de se trouver une table bien placée en terrasse pour la suite de la compétition. Une telle analyse peut paraître bas du front et proche de la pinte, surtout pour déterminer l’état d’esprit de l’Hexagone. Pourtant, elle participe d’un faisceau guère réjouissant. L’abstention durant les élections régionales et départementales avait démontré, même s’il ne s’agit pas de l’unique cause évidemment, la difficulté des Français et Françaises à replonger dans le bain, à s’immerger dans les affaires courantes. Le foot aurait permis, avec l’éphémère parenthèse enchantée des soirées en tee-shirt et bermuda, de s’y remettre par le plaisir individuel et la joie nationale. Politiques et publicitaires vont devoir se creuser les méninges pour fournir son opium au peuple.
La tristesse avant la crise ?
Car l’avenir ne sera pas radieux. L’économie, une fois les aides de l’État oubliées, va devoir se manger une crise dont l’ampleur demeure incertaine. Le chômage va sûrement continuer de grimper. Il n’y a guère d’échéance, y compris un Tour de France qui ne cesse de chuter, pour occulter ces angoisses pendant nos quelques petites semaines de vacances. Les JO s’annoncent compliqués, et de toute manière, au-delà du nombre de médaille, il est quand même peu probable qu’ils apportent la même sensation et intensité qu’un doublé de Karim en finale contre l’Angleterre. Le retour de la Ligue 1 et du public dans les stades n’auront, en outre, forcément pas la même saveur. N’oubliez pas de vous abonner à Amazon Prime pour Clermont-PSG…
Par Nicolas Kssis-Martov