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L’éléphant Barry
De Boubacar Barry Copa, on connaît surtout son quart d’heure warholien en finale de la dernière Coupe d'Afrique des nations. S'il a désormais rejoint le cimetière des éléphants, derrière le héros du peuple ivoirien se cache surtout un incroyable destin, des faubourgs d'Abidjan aux pelouses de Jupiler League. Entre manque de talent et travail acharné, une seule vérité : cela aurait pu se jouer à un bus près.
Au moment où sa frappe s’est figée sans bruit dans la lucarne de Braimah, le gardien ghanéen, le monde de Boubacar Barry Copa a basculé. Vingt-trois ans après, la Côte d’Ivoire renouait avec le succès en Coupe d’Afrique, au terme d’une finale homérique conclue aux penaltys. Grâce à lui, le pestiféré. C’était si beau pour être vrai qu’il n’a pas su retenir ses larmes au moment de s’expliquer. « Je ne suis pas grand, ni par le talent, ni par la taille. Mais j’ai toujours eu envie d’apprendre, j’ai voulu travailler et progresser. Les critiques, ça fait toujours avancer » a-t-il expliqué entre deux sanglots face aux caméras : « J’ai une pensée pour ma maman. Je sais qu’elle souffrait, parce que je ne jouais pas. Merci à elle, merci à tous les Ivoiriens. Il n’y a pas de place pour tout le monde ; mais il y a la place pour le travail. Dieu m’a récompensé. » Plus que nulle autre, l’histoire de Boubacar Barry Copa est en effet l’histoire d’un gamin sans réel talent qui a beaucoup bossé pour réaliser sa destinée. Au bout de son chemin, il a trouvé l’éternité.
« Cela a été une telle émotion, je comprends qu’il ait été ému. On n’imagine pas ce que représente un titre de champion d’Afrique sur le continent, d’autant plus que cela faisait dix ans que la Côte d’Ivoire était en crise » , souligne d’entrée Hervé Renard, le sélectionneur ivoirien : « Aujourd’hui, tout le monde est content, on a l’impression que les sombres années n’ont même pas existé. » Avant même le moment fatidique, Boubacar avait déjà craqué pas mal de fois. Comme en ce jour de mai 2007, quand il a annoncé aux supporters de Beveren qu’il quittait le club, après quatre années de services rendus. Il faut dire que l’homme n’est pas du genre à renier ses émotions. La première, autant qu’il s’en souvienne, c’était dans le bureau de Patrick Rampillon, le recruteur du Stade rennais. « Patrick était la seule personne qui avait confiance en moi à l’époque » , témoigne l’intéressé, alors fraîchement débarqué en Bretagne : « Il m’a dit qu’il s’était battu pour me donner six mois de test, que j’avais six mois pour tout apprendre, pour m’adapter au climat. Dans son bureau, je lui ai demandé pardon et j’ai fondu en larmes. » Émotif, Boubacar Barry Copa l’est certainement pour une bonne raison : d’une manière ou d’une autre, il sait qu’il ne devrait pas vraiment être là. Entre imposture permanente et travail acharné, il s’est accroché à son rêve d’enfant, celui de devenir gardien professionnel, sans jamais rien concéder.
Promotion dorée
Comme souvent, l’histoire commence dans les faubourgs poussiéreux d’Abidjan. Élevé à Dakar dans une famille nombreuse et très pieuse – un père commerçant et une mère femme au foyer –, Boubacar débarque en Côte d’Ivoire alors qu’il est encore enfant. Entre deux cours à l’école, sa passion, c’est de jouer au football. Pied nus sur les terrains vagues de la capitale, le jeune milieu de terrain constate très tôt qu’il n’est pas le plus doué. Trop âgé, il ne parvient pas à intégrer la prestigieuse académie Mimosifcom de Jean-Marc Guillou, où s’entraînent déjà Yaya Touré, Kolo Touré et Aruna Dindane. À l’ombre des palmiers du centre de formation de Sol Béni, le plus beau du pays, les tests anonymes s’enchaînent, les refus s’entassent. Jusqu’au jour où il tombe sur cette annonce. « Jean-Marc Guillou cherchait un gardien » , se souvient-il. Prêt à tout pour passer pro, il postule : « J’ai répondu à toutes leurs demandes, mais sans réponse. Je pense qu’ils ont mis ma candidature à la poubelle, comme à chaque fois. » Après avoir vu une quarantaine de gardiens se faire recaler, les amis de Boubacar implorent pourtant leur entraîneur de lui donner sa chance dans les buts. Le coach français cède face à tant de détermination. « Ils ont prévenu ma sœur, qui m’a ensuite annoncé la nouvelle. Quand je l’ai finalement crue, je suis parti comme une balle en direction du centre » , se souvient l’Ivoirien, le sourire aux lèvres : « J’allais emprunter le bus quand je vois passer le car de l’académie dans la rue. J’ai couru après comme un fou en faisant de grands gestes ! Les joueurs m’ont reconnu et ont fait arrêter le véhicule ! Je suis monté, et c’était parti. »
Sauvé des eaux, Boubacar se contente donc du poste de gardien, dont il apprend petit à petit les subtilités. « À la base, Copa voulait jouer au milieu de terrain. Il est revenu nous voir plein de fois pour poser sa candidature, mais la concurrence à son poste était trop élevée » , se rappelle Jean-Marc Guillou, encore amusé. « Cependant, j’ai très vite vu chez lui des dispositions pour être gardien. Il était déjà assez grand pour son âge et plus vieux que les joueurs de la première promotion. Il avait déjà une très grande vitesse et donc une grande détente, sa plus grande qualité. » Au fil des entraînements, son appétit pour le ballon est néanmoins contenté : « Chez nous, le gardien était plus un libéro qu’un portier. Compte tenu de notre possession de balle d’au moins 75% à chaque match, il avait l’habitude d’utiliser ses pieds. » À la fin des années 90, son destin va pour la seconde fois basculer. Venu de Bretagne observer la fameuse promotion en 2001, Patrick Rampillon va très tôt tomber sous le charme du gardien : « Il n’avait pas un profil morphologique impressionnant. Pour être franc, ce n’était ni le plus doué ni le plus talentueux. Mais j’ai dû faire un arbitrage avec nos possibilités financières. Aruna Dindane et Yaya Touré étaient déjà suivis par des formations anglaises et néerlandaises, à des tarifs auxquels on ne pouvait pas s’aligner. J’ai donc dû chercher le meilleur rapport qualité/prix. Au niveau des gardiens, on avait un manque et j’ai tout de suite senti qu’il avait quelque chose. »
Débuts ratés
Plus que son niveau intrinsèque, c’est surtout le caractère de Boubacar qui va lui faire marquer des points : « Sa personnalité m’a séduit tout de suite. Il avait une bonne éducation, sur le terrain il respectait les autres et se montrait collectif. En dehors, il était très humble, dégageait beaucoup de simplicité. Je n’ai eu que des bons échos à son égard, c’était une personnalité qui faisait l’unanimité » , explique le recruteur, avant de préciser : « C’était un gardien de but moderne qui n’avait pas les pieds carrés… Il était très fort quand il s’agissait de repartir de derrière. Il avait en plus une forme d’agilité et d’intelligence : il anticipait beaucoup, il voyait tout. Je me suis dit que les entraîneurs du Stade rennais pourraient plus tard améliorer sa technique. » Très vite, le transfert est acté : « Quand je lui ai annoncé qu’on voulait l’accueillir à Rennes, il est devenu fou. Pour lui, c’était un véritable cadeau de Noël. » La suite va pourtant être moins facile qu’escomptée. À l’époque, Boubacar a vingt-deux ans et pas mal de retard dans sa formation. Envoyé en réserve, il se retrouve avec d’autres gardiens qui ne lui rendent pas la vie facile. « Je n’avais aucune expérience dans les cages, déplore-t-il. Eux jouaient à ce poste depuis longtemps, moi je ne savais pas faire les prises de balle, les plongeons, les placements… pour résumer, je ne connaissais rien. »
Si son niveau est insuffisant, Copa convainc tout le monde par ses qualités humaines – Paul Le Guen, alors coach du Stade rennais, conseillera ainsi à ses joueurs de prendre exemple sur la mentalité de l’Ivoirien. Rampillon : « C’était un exemple pour tout le monde, ça change des jeunes que l’on peut croiser aujourd’hui dans les centres de formation. Il avait la rage de réussir, il était en mission pour les siens. Quand on voit les conditions dans lesquelles il vivait avant… Il était conscient de sa chance et n’a jamais lâché. » Malheureusement, le gardien ne joue pas en équipe première. Rennes, qui devait constituer un tremplin pour lui, s’avère être un palier trop difficile à franchir, au point de ne jamais disputer le moindre match avec les pros. « On ne lui a peut-être pas donné assez de temps, mais ce n’était pas facile de s’imposer dans les buts : à l’époque, il y avait Bernard Lama et Petr Čech, deux monstres aux profils morphologiques différents. Il lui manquait quelques centimètres » , se dédouane Rampillon. Barry Copa ronge donc son frein tout en restant impliqué jusqu’au bout des ongles, sa marque de fabrique partout où il est passé. « Il ne sort presque jamais » , sourit M’Baye Leye, son coéquipier à Lokeren : « Nous sommes très potes, mais je ne suis jamais sorti avec lui. Le nombre de ses escapades se compte sur les doigts d’une main. »
Histoire belge
En 2003, son avenir en Ille-et-Vilaine est bouché. Alors que Guingamp lui propose d’être la doublure de Ronan Le Crom, Copa refuse et décide de filer à Beveren, en D1 belge. Dans ce club historique, mais habitué depuis plusieurs années à se battre dans le fond du panier de crabes, l’Ivoirien retrouve ses anciens amis du centre de formation Mimosifcom, venus coloniser le Plat Pays. Parmi eux, Gervinho, Dindane, Yaya Touré… les mêmes qui à l’époque avaient vu leur pote Boubacar quitter l’Afrique avant eux. Soudée, la colonie ivoirienne offrira à la postérité un fantastique reportage où on voit les futures stars recevoir des cours de néerlandais, durant lesquels ils finissent pas rapper en récitant leurs mots de vocabulaire. « Ça nous fait encore rigoler quand on en parle » , savoure le gardien, « mais maintenant ils ne sauraient plus articuler le moindre mot. » Très ouvert, Boubacar s’acclimate et commence à apprécier la culture flamande, même si, actuellement, il a encore du mal à s’exprimer dans la langue de Rubens. « Le côté flamand lui va mieux que le wallon, estime Leye. Il aime bien cette mentalité où tout est bien rangé, bien carré, où les gens se focalisent sur leur propre vie. » Il s’impose alors pour la première fois de sa carrière en équipe première, où il se forge une réputation de gardien fiable et régulier. À la rétrogradation de Beveren en 2007, Copa signe à Lokeren, à trente kilomètres à peine. « C’est un grand professionnel, assène son ancien coéquipier, Ivan Leko. C’est le genre de gars qui peut amener de l’intensité à une équipe tout au long de la saison. Il adore faire des blagues pour détendre l’atmosphère, mais une fois sur la pelouse, c’est une autre personne, extrêmement concentrée. » Neuf saisons et près de 230 matchs plus tard, voilà le gardien ivoirien devenu une figure de Jupiler League, où sa capacité à gicler dans sa surface fait merveille. « Je pense que le public belge m’aime beaucoup. Dans tous les stades où j’ai été, j’ai été acclamé, que ce soit à Anderlecht, au Standard ou à Bruges… » , reconnaît sans fausse modestie l’intéressé, capable de se lier d’amitié avec un bénévole d’un club adverse. « On se téléphone cinq ou six fois par an, balance Dédé, bénévole du RAEC Mons. Lors de la naissance de son dernier enfant, il m’a sonné à deux heures du matin pour me l’annoncer, c’est le joueur le plus humain que j’ai rencontré. » Vainqueur des Coupes de Belgique 2012 et 2014, Copa est porté en haute estime à Daknam. « C’est une icône, ça fait tellement longtemps qu’il joue ici, tout le monde a du respect pour Boubacar » , assène son coéquipier belge Denis Odoi, sous le charme. « Il a beaucoup d’expérience dans les matchs ou les moments difficiles. C’est une très bonne personne, avec beaucoup de respect pour tout le monde, qui nous amène énormément dans le vestiaire. Le mec a quand même participé à trois Coupes du monde ! » Tout au long des années 2000, Barry fait en effet son trou au sein de la sélection ivoirienne. Remplaçant à la Coupe du monde 2006, il passe titulaire dès la Coupe d’Afrique 2008. Qualifié par deux fois en finale de la CAN aux côtés de Drogba, il voit pourtant à chaque fois ses rêves de triomphe s’envoler. « J’imaginais pour toute cette génération un destin beaucoup plus grand que ce qu’on leur a permis de réaliser, regrette avec le recul Jean-Marc Guillou, conscient de la valeur de ses protégés. Elle aurait dû remporter quatre coupes d’Afrique et connaître une finale de Coupe du monde si l’environnement avait été à la hauteur. Dans cette désillusion, les joueurs ont aussi leurs responsabilités. »
La revanche du bouc émissaire
Les responsabilités, c’est d’ailleurs lui qui va rapidement les endosser. Frustré, le public ivoirien cherche un bouc émissaire face aux contre-performances répétées des Éléphants, souvent placés, mais jamais gagnants. « Quand on perdait, on ne disait pas que l’équipe était mauvaise, mais que Copa Barry n’était pas au niveau, pose Alain Gouamené, le gardien historique qui a offert la CAN 1992 à la Côte d’Ivoire, au terme de la séance des tirs au but, comme son héritier. C’était toujours de sa faute. S’il s’était raté en finale cette année, il ne mettait plus le pied au pays. » Vilipendé, critiqué, le gardien n’avait pourtant pas grand-chose à se reprocher. Lors de la CAN 2012, il avait porté la Côte d’Ivoire en finale contre la Zambie sans encaisser un seul but dans le jeu sur l’ensemble de la compétition. Après la Coupe du monde au Brésil, il a pourtant accepté de laisser la place de numéro 1 à Sylvain Gbohouo, du Séwé Sport San Pedro. « Avant la compétition, je lui ai annoncé par téléphone qu’il ne serait pas titulaire, explique Hervé Renard, auréolé de son deuxième succès d’affilée en Coupe d’Afrique. Il était déçu forcément, mais il m’a dit qu’il tenait quand même à venir pour l’amour du maillot. Je me souviens des mots qu’il a prononcés, car ils m’ont marqué : « Je suis au service de la nation. »C’est ce qui me plaît le plus chez lui, c’est un homme droit et respectueux, qui a un amour profond pour son pays. Tout du long, il a fait preuve d’un état d’esprit remarquable, même en étant remplaçant. Et au moment où on a eu besoin de lui, il a répondu présent. Il a su saisir sa chance au meilleur des moments pour terminer de la plus belle des manières. »
La veille de la finale, Gbohouou se blesse à l’entraînement. La suite, c’est une séance de tirs au but mémorable au cours de laquelle le souffre-douleur détourne deux tentatives ghanéennes, avant de marquer lui-même le penalty de la victoire. « Au moment où il s’est avancé, j’étais sûr qu’il allait marquer, jubile Hervé Renard. Un gardien formé par Jean-Marc Guillou sait forcément tirer. » Entre-temps, le joueur a surtout marqué les esprits par ses simulations répétées, destinées à perturber les tireurs adverses. Étendu sur la pelouse, le sosie de Tupac et de Chris Paul – même s’il avoue une admiration pour Céline Dion, Hélène Ségara et Shy’m – a fait admirer ses talents d’acteur. « Pour les crampes, on va dire qu’il a joué de son expérience, il a été intelligent, rigole son sélectionneur, sous le charme de ce numéro victorieux et bien rodé. Il a beaucoup appris tout au long de sa carrière et ça lui a servi dans ce moment décisif. » Quand il a ouvert son pied pour tirer, peut-être Boubacar s’est-il souvenu de tous ces moments ? Peut-être a-t-il pensé à sa maman avant de marquer l’histoire de son pays à jamais ? « En Côte d’Ivoire, on brûle assez vite ce qu’on a un jour idolâtré, mais l’inverse est aussi vrai, conclut l’entraîneur français. Aujourd’hui, partout dans le pays, c’est un héros. Son histoire est exceptionnelle et prouve qu’un destin peut très vite basculer. » De quoi regarder le chemin parcouru avec gourmandise, et se souvenir de ceux qui ne l’on jamais épargné. Comme ce jeune gardien à Rennes, qui lui a rendu la vie impossible il y a bien des années : « Je ne me souviens même plus de son nom, mais je pense qu’il joue dans un club de DH désormais. Dernièrement, je l’ai vu avec sa femme dans un jeu télévisé de TF1, j’ai bien rigolé. »
Par Christophe Gleizes et Émilien Hofman