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Leipzig, la révolution est en marche
Une audace insoupçonnable et récompensée à Tottenham en 8es de finale de C1 (0-1) mercredi dernier, une démolition de Schalke sur sa propre pelouse (0-5, quatre passes décisives de Christopher Nkunku) samedi en championnat : pas grand-monde ne résiste à la puissance du RB Leizpig en ce moment. Jeune, décomplexée tout en revêtant la solidité d'un vieux briscard, l'équipe de Julian Nagelsmann a déjà les moyens de mettre l'Allemagne et l'Europe à ses pieds.
Manchester City a tout tenté. Et tentera tout jusqu’au bout. Sergio Agüero, David Silva, Kevin De Bruyne, des artistes à la pelle, dirigés par un manager qui aura révolutionné presque à lui tout seul les canons du football anglais. Grâce en partie à Pep Guardiola, l’Angleterre a regardé ce Manchester City et son football de rêve avec les yeux de Chimène pendant des années. Elle l’a admiré. Elle se sera souvent inclinée. Mais elle ne l’aura jamais aimé. Accepter ce Manchester City, marionnette aux fils tirés par une puissance étrangère, comme l’un des siens, ça, jamais. Et les Skyblues ne pourront rien faire, sauf pleurer sur l’épaule de leurs alter ego, le RB Leipzig au premier rang. En Allemagne, le club de Saxe est confronté à la même problématique depuis un copeau de temps. Football attractif, vent de liberté, parfum de différence : tous balayés d’un revers de main par une gifle de tradition et de purisme. Mais à l’inverse de leurs compères citizens, les Roten Bullen ne désespèrent pas de conquérir les cœurs de l’Europe. Ils sont même déjà en train d’y parvenir.
Un labo en expansion
Pourquoi ? Comment ? Déjà parce que le RB Leizpig a des faux airs d’Ajax 2018-2019, cette équipe qui avait passé un bon coup de balai dans une C1 lestée d’inertie par son football sans calcul et son esprit libre et indépendant. Il faut voir jouer ce Leipzig pour comprendre qu’il est souvent la promesse de voir du beau football, des joueurs qui se cherchent en permanence, du mouvement, des combinaisons délicieuses, de l’audace et une quête constante d’esthétisme. Il fallait voir jouer ce RB Leipzig à Tottenham mercredi dernier en 8es de finale aller de C1 (0-1), prendre d’assaut ce stade hostile sans l’ombre d’une appréhension, bousculer sans ménagement le finaliste de la saison dernière et cette vénérable institution qu’est Tottenham, brûler d’envie de reléguer aux oubliettes ce football du vieux monde symbolisé par José Mourinho pour imposer le sien, avec sa modernité et sa créativité. Présent pour la première fois à ce stade de la compétition, le club d’ex-RDA apporte intrinsèquement un élan de fraîcheur que sa manière intrépide de l’aborder n’a fait que renforcer.
À l’instar de l’Ajax, Leipzig a aussi ce côté « laboratoire du football » – même si les motivations axiologiques divergent largement. L’objectif : prendre un échantillon (un jeune joueur), le soumettre à une batterie de tests pendant des années, pour finalement arriver à un produit fini susceptible de remplacer les vieux médicaments du marché. À la différence des Rouge et Blanc qui piochent dans les matières premières locales pour alimenter leur labo, le RB a fait le choix de l’importation, façon AS Monaco (l’achat de jeunes talents à très fort potentiel). Une stratégie qui en fait d’office un paria moins honni que les milliards de City : non, Leipzig ne tape pas du poing sur la table en embrigadant les meilleurs mercenaires du marché sans laisser de miettes à la concurrence. L’objectif est plutôt de bâtir un petit empire avec des enfants-soldats enrôlés tellement tôt qu’on en oublie d’où ils proviennent. L’objectif n’est (surtout) pas de se faire des juteuses plus-values à la revente, mais plutôt de construire, de grandir et de séduire avec ces inputs progressivement imbibés de mindset Red Bull.
Nagelsmann, nice man
Et c’est là où la stratégie de la multinationale autrichienne est en train de porter ses fruits. Esprit start-up, innovation, jeunesse : le RB Leipzig porte en lui les valeurs que la marque revendique comme siennes. Les idées révolutionnaires du visionnaire Ralf Rangnick, un effectif de 23 ans de moyenne d’âge, des jeunes cadres (Timo Werner, Dayot Upamecano) qui brûlent d’ambition et qui réclament toujours plus de responsabilités, un chef de meute (Julian Nagelsmann) pas plus vieux que ses prétendus subordonnés… Comme l’Ajax, le RB bénéficie de la sympathie qu’on accorde sans sourciller aux gamins insouciants et pétillants. Et en plus de l’Ajax, les Roten Bullen possèdent un entraîneur aux qualités humaines débordantes, parfois détonant, toujours naturel, ultra-proche de ses joueurs (toujours facile quand on a 32 ans) et dont la priorité est de construire un cadre épanouissant pour son groupe ( « le football, c’est 30% de tactique et 70% de compétence sociale » , déclarait-il).
30% susmentionnés qui pourraient eux aussi faire tomber les verrous les plus tenaces d’Europe. Certes, le déroutant 3-1-4-2 (coucou l’OL) distillé par celui qui était entraîneur d’Hoffenheim à l’époque n’est plus aussi révolutionnaire aujourd’hui, mais le jeune technicien a lui aussi évolué entre-temps. Son système préférentiel, avec trois centraux, deux pistons et deux milieux centraux, offre le triple avantage de sécuriser la défense, dominer les ailes (grâce aux virevoltants Angeliño et Nordi Mukiele) et gérer le tempo au milieu (contrôlé par l’époustouflant Konrad Laimer). Sans mentionner les ravages accomplis plus haut, où un Christopher Nkunku retrouvé nourrit des esthètes comme Timo Werner, Patrik Schick ou Marcel Sabitzer. Mais la grande force de Nagelsmann est de savoir faire jouer ses troupes dans une variété bluffante de systèmes, choisis en fonction des caractéristiques de l’adversaire. 3-4-2-1, 4-4-2, 4-2-3-1… Les possibilités sont infinies, et le RB les maîtrise toutes à merveille, grâce au travail de mémorisation et de combinaisons à l’entraînement. La saison dernière, l’Ajax s’était écroulé en C1, puni par son insouciance et son manque de polymorphisme. Ce Leipzig encore tendre aura probablement du mal à aller aussi loin. Mais cela ne l’empêchera pas d’infliger une nouvelle et différente leçon aux cadors du Vieux Continent.
Par Douglas de Graaf