Leipzig : Cheminots contre chimistes
A Leipzig, l'extinction de la RDA paraît avoir sonné définitivement le glas du foot de haut niveau. Et pour cause : ses deux clubs historiques, le FC Lokomotive et le BSG Chemie (rebaptisé FC Sachsen en 1990), bataillent aujourd'hui en cinquième division allemande. Finaliste de la Coupe des Coupes en 1987, le fameux Lok n'a plus le prestige d'antan quand le FC Sachsen est à nouveau au bord de la faillite. Dimanche dernier, c'était derby : près de 15 000 fans s'éparpillaient sur les gradins du Zentralstadion. Parce que de l'autre côté du Rhin, on ne vibre pas que pour la Bundesliga. Reportage.
Si la violence extrême régissait encore il y a peu les rapports entre « lokistes » et « chemistes » , les choses semblent s’être quelque peu apaisées (voir So Foot n°65), et les éternels belligérants se surprennent même à se débusquer des ressemblances. En l’occurrence, c’est un ennemi commun qui joue le rôle du tiers conciliateur : le RB Leipzig – un autre club local, à peine débaptisé de son ancien nom – sur lequel la firme Red Bull vient de jeter son dévolu, et prédestiné à une ascension à la Hoffenheim. Dans les deux camps, on ne mange pas de ce pain là et on tendrait presque à unir ses forces pour nuire à l’envahisseur. Il n’empêche, la haine mutuelle reste tenace.
12h30 : le stade et ses alentours sont rigoureusement quadrillés par une polizei sur le pied de guerre. Pour donner le ton, des pétards explosent bruyamment de-ci de-là. Malgré tout, le public possède une certaine teneur familiale, les grands gaillards à l’air méchant côtoyant grand-pères et mères de famille.
13h : à une heure du coup d’envoi, on réalise qu’il y a quand même du monde pour un match de CFA. Sur les gradins, les ultras lokistes font face à leurs homologues chemistes et lâchent les premières valves de quolibets. Au fur et à mesure, le décor s’affine : deux jolis kops bien garnis, séparés par des latérales plus que clairsemées.
Sur le rectangle, on assiste à une première mi-temps correcte, engagée. Seul face au but vide, à un mètre, un joueur du Chemie se ridiculise en expédiant la balle à mille lieues du cadre. Face à ce spectacle tantôt plaisant tantôt pathétique, les supporters oscillent entre poussées d’enthousiasme et élans de consternation.
Côté ambiance, c’est un véritable festival de décibels. Les deux kops se livrent un duel vocal permanent, alternant les odes à la gloire de leur club bien-aimé et salves d’insultes à l’intention de leur meilleur ennemi. De temps à autre, c’est l’ensemble du public qui est convié à reprendre un chant, pour un résultat pas loin d’être extraordinaire.
Cinquième division oblige, la seconde période sera plus poussive, sans crescendo. Sur le terrain, le jeu s’enlise dans la médiocrité la plus totale, aucune équipe ne parvenant à emballer le match. Au fur et à mesure que les minutes s’égrainent, les fans apparaissent de plus en plus blasés. « Match nul, au moins on ne perd pas contre l’ennemi » entend-t-on en tribune chemiste. Pas l’ambition la plus débordante…
75ème minute : en manque d’adrénaline, un groupe de lokistes – placés non loin d’une banderole portant l’inscription « crime boys » – provoque l’interruption de la rencontre en craquant quelques pétards. Cinq minutes de pause, le speaker qui balance la morale du fair-play et la partie peut reprendre. Il ne se passera rien d’autre : 0-0, score final.
Bien que les fans du Lok aient été légèrement plus nombreux et bruyants que ceux du Chemie, l’opposition des gradins fut équilibrée, et de qualité. Si le FC Lokomotive et le FC Sachsen se partagent encore le soutien populaire à Leipzig, on craint tout de même que Red Bull ne mette bientôt tout le monde d’accord…
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