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Leicester, le cœur des hommes
L'effet de surprise a fait son temps. Leaders à égalité avec Arsenal, les Foxes sont entrés dans la phase décisive de leur quête de printemps. Pendant ce temps, Claudio Ranieri ne cesse de renforcer son discours sur un maintien désormais assuré. Tout est pourtant encore possible quand on rêve.
Il ne bouge pas. Il reste de l’autre côté de la ligne, comme un professeur aux lunettes rondes, le cheveu grisé par près de trente ans passés à fouler du cuir de ses chaussures les pelouses grasses. Face à la presse, il ne cesse de parler de « miracle » , d’un « rêve » . L’été dernier, à 63 ans, Claudio Ranieri a décidé de fuir la lumière pour ce qui ressemble à une dernière mission. Des retrouvailles avec une Angleterre quittée onze ans plus tôt, laissant derrière lui les plans du futur Chelsea de José Mourinho. Cette fois, l’Italien a posé sa mallette de cuir au cœur des Midlands, à Leicester. Quand il est arrivé, le Leicester City FC ressemblait à un miraculé, sauvé de la chute en mai par sept succès lors des neuf dernières rencontres de la saison.
Une saison terminée avec 41 points, soit seulement six d’avance sur le premier condamné, Hull City. C’était il y a huit mois. Nous sommes en janvier 2016 et mercredi soir, en s’imposant au courage au cœur de la banlieue londonienne, à Tottenham (1-0), Leicester a déjà dépassé son total final de l’exercice précédent. Le club est second, à égalité avec Arsenal, est entré dans une lutte inavouée pour un titre de champion d’Angleterre et n’a perdu que deux rencontres. Dans les couloirs de White Hart Lane, le discours creusé dans l’expérience est, pourtant, toujours le même : « On a atteint notre objectif de quarante points. C’est le principal, le club sera en Premier League la saison prochaine.(…)Je pense que beaucoup de monde se demande ce qu’il se passe à Leicester, comment on peut faire ça, mais je n’ai pas de réponse à leur donner. Je ne sais pas jusqu’où on peut aller. »
« Comme si personne ne voulait être champion »
Ce discours, Claudio Ranieri le répète chaque semaine. Invariablement. Comme si l’important était les quarante points nécessaires au maintien. Intimement, il le sait : son équipe a changé de dimension et n’est plus regardée de la même manière. Le 29 décembre dernier, quelques minutes après un nul obtenu face à Manchester City (0-0), Ranieri le disait avec encore plus de pudeur : « Nous, on ressemble à un sous-sol qui se bat avec des villas avec piscine. Aujourd’hui, ce n’est pas facile pour nous, mais on veut se battre avec n’importe qui.(…)Ce qu’on fait est un miracle. J’aimerais que ça continue, mais ce n’est pas facile. J’aimerais que mes joueurs continuent de se battre comme aujourd’hui. » L’entraîneur italien a donc fixé ses objectifs : quarante nouveaux points sur la seconde partie de saison où Leicester ira à Manchester City, à Arsenal, à Chelsea ou encore à Manchester United. « Si on termine avec 79 points, je serai content, très content » , expliquait-il mercredi soir. L’an passé, avec ce total, City avait terminé deuxième de Premier League avec, au 10 janvier, 47 points pris et deux défaites. Leicester a aujourd’hui 43 points avec un effectif largement inférieur à celui des Citizens la saison dernière. Mais aussi un caractère de rêveur supplémentaire.
Car cette saison, et Claudio Ranieri le reconnaît, le championnat « est fou » . « C’est comme si personne ne voulait être champion » , riait il y a quelques semaines l’Italien. Certains le disent alors frileux, manquant d’ambition dans une saison où tout semble réussir à son équipe. Le match à Tottenham l’a prouvé : ces Foxes-là ont une part de chance que les autres n’ont pas. C’est avec ça que veut jouer Ranieri. En ça que son discours est cohérent. Dans la notion de maintien. Celui des pieds sur terre dans un effectif où les fêtes ont pesé physiquement. À Tottenham mercredi, Marc Albrighton a passé une partie de la rencontre les mains sur les hanches, au bord de la rupture, tout comme Jamie Vardy ou encore Okazaki. L’usure est morale et physique. « Le discours reste le même. On veut réussir nos objectifs, le maintien même si depuis le Boxing Day, c’est plus dur physiquement. On avance en équipe, on tire tous dans le même sens » , explique le défenseur Yohan Benalouane. En France, l’exemple du Montpellier 2012 revient en tête avec un effectif limité mais talentueux, capable de faire tomber le PSG à l’usure et à l’envie. Reste que la quête de Leicester a quelque chose d’encore un peu plus fort, dans un championnat fermé à l’ouverture. Depuis l’arrivée de la Premier League en 1992, à l’exception de Blackburn et de l’exploit de 95, quatre clubs seulement se sont partagé les 22 autres couronnes (Arsenal, Chelsea, Manchester United et Manchester City).
La ligne du CV
Aujourd’hui, l’effet de surprise Leicester est passé. Vardy a battu son record, Riyad Mahrez a reçu cette semaine son titre de footballeur maghrébin de l’année devant Benatia et Brahimi, et Kasper Schmeichel semble avoir dépassé le stade du fils de. N’Golo Kanté ne cesse de multiplier la taille de ses poumons et de briser la porte de l’équipe de France sans que Deschamps ne le voit. Les grosses cuisses de Wes Morgan sont rentrées dans le paysage, celles de Huth semblent avoir vingt ans. « On sait de quoi on est capables, mais on ne sait pas quand et jusqu’à quand » , détaillait il y a quelques jours Ranieri. Ce groupe a ce truc en plus, un esprit, une âme pour vivre ce rêve ensemble. Jusqu’au bout, et on sent qu’il veut y croire malgré les crampes et les blessures. Car derrière tout ça, il y a un bricoleur devenu bâtisseur. Un professeur qui a su se faire écouter. Ranieri garde son calme éternel, il attend pour exploser. À White Hart Lane, il l’a fait à un moment où lui-même n’y croyait plus. En mai, il veut connaître l’apothéose. Lui qui n’a jamais été champion.
Par Maxime Brigand