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Lei Clijsters : ce père de championne qui a tout gagné
Dans les années 2000, la Belgique a découvert le tennis féminin en même temps que l'avènement de Justine et Kim. Derrière le succès de la seconde, il y avait un ancien Diable rouge reconverti en papa poule. Un homme parti trop tôt, mais qui laisse derrière lui un sacre européen et un but en Coupe du monde. Le papa de Kim Clijsters s'appelait Lei et maîtrisait aussi bien que sa fille l'art du grand écart.
Pour une fois, Lei a le sourire et les chaussettes presque entièrement relevées. Il était temps, à 34 ans. Et en même temps, on le comprend. Celui qui dispute sa deuxième Coupe du monde consécutive avec les Diables rouges n’a plus grand-chose à perdre en Italie. Dans quelques jours, il raccrochera définitivement les crampons avec la sélection et, ce 17 juin 1990 contre l’Uruguay, il veut juste rendre un dernier service à la nation. Sacré meilleur joueur de Belgique deux ans plus tôt, il monte sur la pelouse de Vérone plus décontracté que jamais, mais avec l’envie de faire bonne impression, comme toujours. « Le meilleur libéro de l’époque » dixit Philippe Albert – compagnon d’aventure chez les Diables et à Malines – se sent presque léger. De son côté, Kim, la fille qu’il a eue avec Els Vandecaetsbeek, championne de Belgique de gymnastique, n’a que 7 ans, mais est déjà promise au plus grand avenir. Albert en était déjà conscient : « À l’époque, il s’en occupait déjà beaucoup et nous en parlait parfois. Ce n’était pas un fêtard, mais quelqu’un d’intelligent qui avait un grand sens des responsabilités et de l’esprit de famille. Et puis, il savait que sa fille avait du talent. » En attendant de jouer les backpackers de luxe aux quatre coins du globe avec l’ex de Lleyton Hewitt, Lei (ou Léo pour les francophones) s’offre donc une dernière opération séduction contre la Celeste. Une pige qui commence mal. Sa première touche de balle est un désastre de passe en retrait qui offre à Enzo Francescoli une première occasion de martyriser Michel Preud’homme. Sauf que quand un Clijsters est en difficulté, il sort le grand compas. Une course de 40 mètres et une relance ultra propre plus tard, les Diables repartent à l’attaque. Dix minutes plus tard, Lei ouvre le score d’une tête plongeante smashée imparable. Un début de match à l’image d’une carrière. Des hauts, des bas, des blessures et des retours tonitruants.
26 ans, toujours puceau
Avant d’être le premier défenseur auréolé du Soulier d’or (trophée récompensant le meilleur joueur évoluant en Belgique), Lei était un joueur comme les autres. De ceux qui se rêvaient milieu de terrain avant de finalement reculer dans le jeu. Contraint et forcé. Comme ses contemporains, il fantasme sur Beckenbauer mais n’a pas son talent. Comme tout footballeur qui débute, Lei galère. Remplaçant au Club de Bruges pendant des années, il découvre le monde du foot pro à 26 ans après avoir joué à la jeune fille au pair avec René Vandereycken. Le tournant arrive en 1983. Cette année-là, Lei signe à Waterschei et tout s’accélère. En quelques semaines, le père de Kim passe de la folie d’une demi-finale de Coupe d’Europe des vainqueurs de coupes aux affres de la maladie. « C’est là que tout a commencé. Il a eu une première alerte avec l’apparition d’une verrue de petite taille sur le front. » De sept ans son aîné, Georges Leekens observe de loin, mais n’a pas oublié grand-chose. Les médecins lui décèleront finalement une tumeur cancéreuse à la tête. Du jour au lendemain, Lei apprend qu’il n’a plus que huit semaines à vivre. Après des mois de combat, l’obstiné obtiendra finalement un rab’ de 23 ans. Un laps de temps que l’intéressé mettra à profit pour laisser une trace indélébile dans l’histoire du sport belge.
La reconnaissance du trapu
Et l’aventure commence dès 1986. Au Mexique, la Belgique sort son bleu de chauffe pour atteindre les demi-finales du Mundial. Au service d’un Enzo Scifo en grâce, Gerets, Demol, Grün et Renquin se sacrifient. Clijsters, lui, bouche les trous en cours de match, mais ne joue aucun rôle lors de la défaite des Diables contre l’Argentine. Georges Leekens, entre-temps passé du statut de casseur de jambes professionnel à celui d’entraîneur en formation, se souvient : « Après la défaite contre l’Argentine, Guy Thys m’avait confié avoir longtemps hésité à lancer Clijsters dans l’entre-jeu pour stopper Maradona. C’était un des rares qui auraient pu le mettre en cage. » Guy Thys n’en fera rien, et Clijsters ne sortira pas du banc ce jour-là. Le jour de gloire de Lei arrive finalement deux ans plus tard au Stade de la Meinau de Strasbourg en finale de la Coupe des vainqueurs de coupes. Capitaine d’une équipe de Malines qui ressemble étrangement à cette Belgique laborieuse de 1986, Lei est aux commandes de ce qui est alors considéré comme la meilleure défense du continent. En finale, le KV se joue de l’Ajax, et Lei lève le deuxième trophée de sa carrière après une Coupe de Belgique en 1987. Un an plus tard, Malines est champion de Belgique et Lei sacré meilleur joueur du royaume. Entre-temps, Malines a aussi remporté la Supercoupe d’Europe 1989 contre le PSV. Un magnifique pied de nez de la Belgique du foot à l’omnipotent voisin hollandais. Plus que n’importe quel autre joueur, le capitaine malinois symbolise alors cet état de grâce du football belge.
Les adieux d’un géant
En 1993, éclaboussé par la reconnaissance du milieu, Lei met fin au spectacle. Il ne lui reste plus que 16 ans à vivre et il veut les passer auprès de ses filles, Kim et Elke. Trop forte pour la plupart des joueuses de leurs âges, les deux sœurs écrasent autant leurs adversaires que la terre battue à chacune de leurs sorties. Même Georges Leekens fait les frais de la domination du clan Clijsters sur le tennis belge : « Ma belle-fille, Gally De Wael, joue aussi au tennis, mais vu son âge (8 ans de moins que Kim, ndlr), elle se prenait toujours des raclées. On va dire que c’était plus un sparring-partner qu’autre chose. » Gally ne dépassera jamais la 430e place au classement WTA, Elke ne fera pas beaucoup mieux (389e), mais en 2003, Kim occupera simultanément la première place tant en simple qu’en double. Au détriment de la relation entre Lei et Philippe Albert : « Quand la carrière de Kim s’est envolée, on n’a plus eu beaucoup de contacts avec Lei, il était toujours en voyage avec sa fille qu’il accompagnait sur chacun des tournois. » Alors que Justine Henin et son père se déchirent par presse interposée, le clan Clijsters offre à la Belgique l’image d’une famille unie et aimante. Bien éduquée, trilingue et accessible, Kim a tout de la belle-fille idéale. Toujours présent en tribunes, Lei a abandonné depuis bien longtemps sa casquette de compétiteur acharné, pas encore celle de paternel. Plus discret qu’un père Williams, moins orgueilleux qu’une mère Hingis, Lei à l’avantage de connaître le milieu du sport professionnel par cœur et de ne jamais mettre la honte à sa fille. Sans éclat, mais avec amour, il suivra Kim jusqu’au bout de sa première carrière en mai 2007. C’est très précisément à ce moment-là que Kim décidera à son tour de se consacrer à sa future progéniture. En février 2008, Kim offre un dernier cadeau à son père en la personne de sa première fille, Jade. Moins d’un an plus tard, Lei décédera des suites d’un cancer des poumons à l’âge de 52 ans. Il n’en fallait pas plus pour que Kim annonce son retour à la compétition. Un dernier grand écart qui fera de Kim Clijsters la première maman à occuper la première place du classement WTA.
Par Martin Grimberghs