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Des Bleus coincés dans l’entre-deux-tours
Le huitième de finale des Bleus survient au lendemain d’un premier tour d’élections législatives qui ouvrent encore un peu plus les portes du pouvoir à l’extrême droite. Notre sélection nationale peut-elle encore rendre heureux des Français qui ne s’aiment plus ?
Jules Koundé s’était exprimé clairement ce dimanche 30 juin, avant que celui-ci soit officiellement funeste : « C’est un jour important pour la France et pour son futur. Par les temps qui courent, voter est un devoir autant qu’un droit. […] Le RN n’est pas une solution. Ce n’est pas une leçon, c’est juste mon opinion. Et vous en ferez ce que vous voulez. » Couplée à la sortie d’Ibrahima Konaté, cette déclaration intervenait après le long silence qui avait suivi les quelques réactions initiales des Bleus, souvent sollicité en conférence de presse à ce sujet. Marcus Thuram avait certes assumé son hostilité éthique envers le RN, mais ses autres coéquipiers s’étaient montrés davantage évasifs, tel Aurélien Tchouaméni, Ousmane Dembélé ou le très légitimiste Kylian Mbappé. Olivier Giroud et Didier Deschamps soulignaient de leur côté, à l’image de la FFF, l’importance de l’engagement civique du vote. Il serait un peu simpliste néanmoins de leur attribuer une participation au scrutin en forte hausse (66%).
Le reste du temps, nos internationaux donnaient l’impression de se sentir pris en otage par un contexte qui venait gâcher leur fête. Le nez cassé du capitaine avait constitué une diversion opportune, et le sélectionneur national semblait presque soulagé de s’exprimer sur l’ennui procuré par le jeu proposé depuis le début de la compétition. Seulement, les résultats du premier tour de l’élection législative vont inévitablement les renvoyer dans l’œil du cyclone. Frôlant les 34%, le RN peut désormais espérer une majorité absolue dans une semaine. La fameuse déclaration commune annoncée, qui se fait tellement attendre, interviendra forcément dans une configuration encore plus dramatique que prévu.
Le moment de bascule ?
D’autant que le parti de Marine Le Pen n’a pas manqué de leur mettre la pression. Le député Julien Odoul leur intimait ainsi l’ordre de se taire : « Le citoyen Marcus Thuram n’a jamais dit un mot pour exprimer sa tristesse quand Thomas, Lola et toutes les autres jeunes victimes ont été massacrés par la racaille. Ras-le-bol de ces donneurs de leçon privilégiés qui prennent les Français pour des imbéciles ! » Une parfaite rhétorique du « Nous contre eux », classique chez ce courant politique, qui a rapporté 12 millions de voix. Ce lundi face à la Belgique, les Bleus vont ainsi rentrer sur le terrain avec cette suspicion sur les épaules, devenus aux yeux d’une partie du pays et peut-être du futur gouvernement, par essence, des citoyens de seconde zone.
Pourtant issus pour la plupart des quartiers populaires et de l’immigration, ils se révèlent au premier chef, eux et leurs proches, concernés par les mesures que prendrait une majorité RN. Une vérité que s’est malgré tout permis de rappeler Ibrahima Konaté : « Moi, mes parents ont des boulots comme femme de ménage, éboueur, avec des horaires pas possibles, et quand je vois qu’on ne met pas en avant ce genre de personnes qui ont donné leur santé entre guillemets pour la France, ça m’attriste. […] La France est un pays magnifique. Certains n’ont que les chaînes d’infos pour s’informer et, eux, je ne peux pas leur en vouloir. Ils ont du mal à démêler le vrai du faux. » On ne peut non plus oublier que les premières odeurs de suspicion envers les binationaux ont commencé à se putréfier dans le football, notamment lors de l’affaire des quotas en 2011.
Mal à l’aise, en difficulté pour s’exprimer collectivement, même si Kylian Mbappé l’a malgré tout promis dimanche en conférence de presse, l’équipe de France sera-t-elle en mesure de rassembler un pays qui se hait comme rarement dans son histoire récente ? Une défaite accéléra-t-elle la libération de la parole raciste que nous vivons en ce moment ? Et quel goût aura demain une qualification possible ? Que feront-ils surtout si après une finale remportée le 14 juillet, jour de Fête nationale, un Jordan Bardella Premier ministre descend sur le terrain les féliciter et poser pour la photo ? Peut-être une occasion de discuter avec Kylian Mbappé de leur origine algérienne commune ?
Par Nicolas Kssis-Martov