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Legarda, dernier jet
Henri Legarda s’était dit stop après sa douloureuse fin d’aventure au Mans FC. Il a finalement repris du service à Kinshasa, au Congo, en tant que conseiller, pour huit mois seulement, la violence ayant repris le dessus sur le football. Antoine Sellès, son beau-fils parti avec lui, est aussi revenu au pays.
Antoine Sellès est âgé de vingt-six ans. Brun ténébreux, barbe de trois jours, costard noir et cravate bleue, un véritable profil de jet-setteur aux penchants italiens. Il y a deux ans, le natif du Mans traînait dans les couloirs de Groupama « tapissés d’une sorte de moquette verte style années 80 » , chargé d’études et de conception de produits. « J’étais promis à un bel avenir là-bas, ils venaient de me donner une promotion juste avant l’été et je devais à nouveau évoluer en janvier 2016 » , s’amuse-t-il à dire avant d’ajouter : « Je ne pouvais pas rester, l’opportunité du DCMP Imana était trop belle. » Après un stage au sein du club de Diambars, au Sénégal, en 2011 en tant que chargé de développement de marketing pendant quelques mois, puis un job dans l’organisation des JO de Londres l’année suivante, Antoine Sellès exerce sa première fonction officielle dans le milieu du football à Imana, le club le plus titré du Congo, comptant douze championnats et treize coupes nationales au palmarès. Comment est-il arrivé ici ? Grâce à son beau-père, Henri Legarda, la mère d’Antoine étant en union avec ce dernier.
« En aucun cas, je n’avais le dernier mot… »
Président du Mans FC de 2001 jusqu’à la liquidation judiciaire du club en 2013 et sa rétrogradation en DH, Henri Legarda avait juré ne pas remettre les pieds dans le football. Ou du moins pas officiellement. Lors de la saison 2009-2010, Le Mans FC (alors appelé Le Mans Union Club 72) évoluait encore en Ligue 1. Trois ans et 14,4 millions d’euros de déficit après, le club de la Sarthe se retrouve relégué en Division d’Honneur (6e division), alors qu’il était pensionnaire d’un nouvel écrin flambant neuf de 25 000 places, la MMArena. Dénoncé, par les supporters et certains dirigeants, comme l’un des principaux responsables de cette descente aux enfers, Henri Legarda détient une cote de popularité chez les Manceaux égale à celle de François Hollande chez les Français. Faible. Encore marqué par le naufrage de son club et des critiques, voire des menaces lui étant adressées, il ne voulait plus entendre parler de football, encore moins de présidence. Seulement, en décembre 2014, Gentiny Ngobila Mbaka, président du DCMP Imana l’invite à le rejoindre à la tête d’un club historique en grande difficulté ces derniers temps. Après de longs mois d’hésitation, le fondateur-directeur du groupe Vallée finit par céder, en juillet 2015.
« Ça traînait en longueur, car je ne voulais pas revenir, puis j’ai finalement accepté, mais seulement en tant que conseiller ayant de l’expérience après avoir présidé un grand club de France pendant treize ans. En aucun cas, je n’avais le dernier mot, il appartenait au président Ngobila avec qui je m’entendais très bien » , assure l’intéressé. L’ex-président du Mans FC et le chef d’Imana se sont rencontrés via des connaissances en commun qui ont permis aux deux hommes de tisser des liens de bonne camaraderie ces dernières années. Les objectifs du Français étaient simples : mettre ce club congolais aux normes européennes, travailler le développement de partenariats, le marketing, la communication et former une équipe compétitive. « Cela faisait sept ans qu’Imana n’avait rien gagné. Sept ans de défaites contre le rival Vita, l’autre club de Kinshasa. On a donc fait venir des joueurs et des membres du staff comme Paolo Rongoni, préparateur physique passé par Le Mans de 2005 à 2011. » Dans les bagages d’Henri Legarda se trouvait également Antoine Sellès. « C’était un projet intéressant, il y avait vraiment quelque chose à faire, c’est ce que j’ai dit à Antoine et Gentiny Ngobila, qui est un charmeur, a réussi à le convaincre » , explique le co-président. Personnalité politique reconnue au Congo, mais aussi chef d’entreprise, Ngobila a cette facilité à convaincre les personnes de le suivre dans ses projets. En avançant des engagements forts, le pratiquant d’arts martiaux a su séduire Henri Legarda et Antoine Sellès qui finissent par rejoindre le projet.
Tout reconstruire
À Kinshasa, Antoine Sellès occupe sa première fonction officielle en ce qui concerne le ballon rond, un début qu’il a savouré. « C’était vraiment fantastique, on a établi un plan de développement de douze à dix-huit mois que l’on a fini en six mois. » Franco Torchia, ex-responsable de recrutement formation au Mans avant de rejoindre Imana comme directeur sportif, pouvait compter sur une base de joueurs déjà présent. Antoine, lui, se présentait face à une page blanche. « Tout était à construire. Le club était absent sur les réseaux sociaux et aujourd’hui, plus de 30 000 personnes suivent la page Facebook. Il n’y avait pas non plus de site, cela laisse de la place à la créativité. » La gestion du budget du club était aussi un véritable chantier à réguler selon Henri Legarda. Antoine Sellès en a vite pris conscience. « Lorsque nous sommes arrivés, on ne pouvait pas évaluer les dépenses. Il n’y avait qu’un jeu de maillot et quelques ballons pour quarante-huit joueurs sous contrat dont neuf attaquants de pointe, ce qui veut dire un sur le terrain, deux sur le banc et six en tribunes qu’il fallait payer. Ils partaient à quarante-cinq en déplacement, c’est limite si le facteur partait avec eux aux frais du club. Des primes étaient données à des joueurs qui ne jouaient même pas, raconte l’ex-DG, effaré. À notre départ, on comptait vingt-huit pros, c’est déjà plus convenable. Nous sommes le troisième budget du pays avec environ 2,7 millions d’euros. »
Jets de pierres et agressions : quand « la nature a horreur du vide »
L’embellie du DCMP Imana va durer de juillet à décembre. Onze matchs sans la moindre défaite, une victoire tant attendue sur le rival de Vita, un soutien populaire et des retombées économiques, une vraie réussite pour Henri Legarda. « Nous sommes dans un pays de quatre-vingts millions d’habitants, dans une capitale de quatorze millions d’âmes. Dix mille spectateurs étaient présents à notre premier entraînement. Et puis c’est l’Afrique ! Les chants, les tam-tams, une autre ambiance, les supporters n’ont rien à voir avec ceux d’Europe, ce sont des fanatiques. À notre arrivée, l’un des plus grands journaux locaux publiait que le sponsoring sportif était un fantasme européen, or, en six mois, le club a réussi à obtenir 630 000 dollars de partenariats » , et ce, notamment grâce à l’arrivée de sept sponsors locaux qui ont considérablement augmenté les bénéfices du club. Pourtant, la situation va vite se dégrader. Henri Legarda, seulement conseiller et co-président à titre honorifique, n’était présent sur le sol congolais qu’une semaine sur six. La totalité des responsabilités étaient prises par le président Gentiny Ngobila. Or, ce dernier est devenu commissaire de la République de la province de Mai-Ndombe après une campagne de deux mois et demi, laissant la présidence du club vacante. Le point de chute de l’aventure Legarda.
« Tant que Ngobila était là, le développement se faisait régulièrement, mais la nature a horreur du vide. Pendant son absence, les ex de l’association du club sont revenus. Alors que nous avions nommé Daniel Bréard comme entraîneur lorsque Zahira, l’ex-coach, a démissionné, conséquence d’un désamour entre sa personne et les supporters, ils ont installé un autre coach qui n’avait même pas de contrat. C’est difficile de continuer dans ce cas. » Le climat autour du club se tend alors de plus en plus et la violence s’installe. « Si l’Afrique est l’école de la patience, Kinshasa en est son université. Cependant, il est difficile de contenir un public si nombreux. Je pense qu’à partir du moment où l’association a repris la main, des gens ont mis de l’huile sur le feu. Vous achetez facilement cinq cents personnes pour manifester et jeter des cailloux au Congo comme autre part » , déplore l’ex-coprésident. Les fans d’Imana ne supportent plus le coach Zahira ni même le secrétaire générale du club, Félicien Kuluta, alors que la volonté des grands dirigeants était de les conserver. Fin février, des violences éclatent au stade des Martyrs qui compte 90 000 places assises, Antoine Sellès décrit des « jets de pierre sur le terrain depuis les tribunes, puis sur le bus des joueurs, une pelouse envahie suivie d’agressions dans les vestiaires, en partie dues à des infrastructures trop vétustes, délabrées et non sécurisées » . Pour les deux Manceaux, c’en est trop. « Les entraînements n’étaient même plus sûrs. Nous ne sommes pas venus pour tout cela, mais pour monter un club avec notre savoir-faire » , regrette Henri Legarda.
Clap de fin
À la suite de ces incidents, Henri et Antoine décident de rentrer au bercail. Le club continue malgré tout son championnat, qualifié pour les play-offs et actuellement 3e du groupe. « Les deux premiers se qualifient pour la Ligue des champions africaine, le troisième pour la Coupe de la CAF, donc nous sommes encore présents » , annonce l’ex-directeur général qui avait promis une belle fête pour les quatre-vingts ans du club. « Elle se fera, nous avons un partenariat avec un brasseur, et cette fête s’inscrit dans les clauses du contrat » , assure Antoine, qui garde des relations avec le club. Henri Legarda, de son côté, ne regrette pas l’expérience Kinshasa, mais ne veut plus entendre parler de présidence : « Qui trop embrasse mal étreint, comme avait fait l’ex-président du Mans. Ce métier vous prend du temps et vous bouffe, quand on finit un championnat, on commence le suivant. Je ne veux plus de présidence ni être en titre. Déjà, en arrivant à Kinshasa, je ne souhaitais pas m’occuper de football, j’ai payé lourdement avec Le Mans et j’ai eu ma dose. Chaque expérience vous permet d’évoluer et de grandir et j’en ai eu une très bonne. Quand tout va bien tout le monde est là, mais quand vous mettez de l’argent de votre poche, que ça ne marche pas et qu’on vous insulte, cela fait mal. Je vis le passé avec philosophie, mais je n’oublie pas pour autant. »
Toutefois, Henri Legarda ne lâche pas l’Afrique, ce continent qu’il aime tant. En tant que président du Mans, il avait attiré de nombreux Africains, aux diverses destinées : les Ivoiriens Didier Drogba, Romaric, Gervinho, le Guinéen Ismaël Bangoura aussi. Il s’y rend régulièrement pour apporter son soutien à des associations, des tournois, voire des projets éducatifs. « L’Afrique avance, je l’ai toujours dit. Peut-être étions-nous en avance et qu’on reviendra pour faire ce qui était prévu. C’est notre devoir d’aller apprendre, d’aller travailler avec les Africains, développer un business, puis leur laisser, c’est comme ça qu’ils se développeront. »
Par Clément Brossard