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Lee Casciaro : « Je ne suis pas un héros »

Propos recueillis par Rodolphe Ryo
9 minutes
Lee Casciaro : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je ne suis pas un héros<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Catalogué comme l'une des pires équipes des éliminatoires, Gibraltar affronte ce samedi soir les champions du monde allemands. Si la bande à Neuer ne devrait pas avoir trop de difficultés pour repartir avec les trois points, elle devra toutefois se méfier de Lee Casciaro. À 33 ans, celui qui partage son temps entre le foot et son job de policier est devenu le premier buteur de Gibraltar en match officiel, en mars dernier. Un but symbolique qui a valu à l'attaquant les honneurs de la presse internationale et a fait la fierté de tout un peuple.

Première question, comment te sens-tu à quelques heures d’affronter l’Allemagne ?

Je ressens un mélange d’excitation et de stress. La nervosité commence un peu à monter, mais je pense que c’est tout à fait normal. On va quand même jouer les champions du monde !

Au match aller, en novembre 2014, vous aviez presque créé la surprise en ne vous inclinant « que » 4 buts à 0. Comment expliques-tu ce résultat ?

Je me souviens qu’on avait très bien joué défensivement. On ne leur avait quasiment pas laissé d’espaces dans notre propre moitié de terrain. Ils avaient vraiment eu du mal à s’approcher de nos buts et avaient été obligés de forcer un peu leur jeu en tentant leur chance de loin.

Allen Bula, votre sélectionneur depuis novembre 2010, a été remercié et remplacé en mars dernier par l’Écossais David Wilson, jusqu’alors assistant de Bula. Qu’est-ce que ça a changé pour vous et quelles sont ses consignes avant ce match retour contre l’Allemagne ?

Ça a tout de suite était facile avec Dave. On le connaissait très bien et on était habitués à ses méthodes d’entraînement. Mais quand il a pris les rênes de l’équipe, il nous a présenté sa propre philosophie de jeu et on peut dire que ses idées sont assez différentes de celles d’Allen Bula. Dave insiste beaucoup sur notre jeu offensif. Il nous demande de nous projeter rapidement vers l’avant, de jouer tous les coups à fond et de ne surtout pas hésiter à tenter notre chance. On ne doit pas faire semblant d’attaquer. On n’a rien à perdre. On doit aussi être meilleurs dans notre pressing et dans la conservation quand on récupère le ballon. Ce qui est aussi très important pour lui, c’est que l’on prenne du plaisir et que l’on s’amuse sur le terrain. Dave insiste beaucoup sur ces points.

Revenons un peu à toi. Qu’est-ce que tu as ressenti lors de ton premier match avec la sélection ?

C’était un rêve qui se concrétisait. J’avais 17 ans quand j’ai été appelé pour la première fois. J’ai vraiment profité de chaque instant parce que je me disais que ce serait peut-être ma seule et unique apparition sous le maillot de Gibraltar. Aujourd’hui, j’en ai 33 et j’ai peut-être près de 100 matchs avec Gibraltar, mais je ressens toujours la même fierté de représenter mon pays, qui plus est au haut niveau. Et je pense que c’est ce que ressentent tous les joueurs qui ont la chance de jouer pour leur pays. Peut-être que maintenant je savoure encore plus parce que j’ai 33 ans et que je sais que ça ne durera pas éternellement.

Ce n’est pas trop frustrant d’être attaquant quand on joue dans une équipe qui peine pour se créer des occasions ?

Non ! Même si je n’ai aucune idée du nombre exact de buts que j’ai marqués pour Gibraltar avant qu’on soit reconnu par l’UEFA en 2014, je sais que j’en ai mis pas mal ! Depuis qu’on est reconnu, je n’ai marqué qu’une fois en compétition.
J’ai parfois lu dans la presse que j’étais un héros

Ce but, justement, c’était contre l’Écosse le 29 mars dernier lors d’un match de qualification pour l’Euro 2016. On joue la 19e minute et 72 secondes après l’ouverture du score des Écossais, tu es servi à l’entrée de la surface, tu croises ta frappe et tu égalises. Finalement, vous perdez 6 buts à 1, mais tout le monde a retenu que Gibraltar avait marqué son premier but en match officiel. Qu’est-ce que tu as ressenti quand tu as vu le ballon au fond des filets ?

Je n’ai pas de mots pour expliquer ce que j’ai ressenti à ce moment-là. C’était extraordinaire pour moi, pour l’équipe et pour Gibraltar. C’était un rêve qui devenait réalité. On écrivait l’histoire de notre sport et de notre pays. Ce but, je m’en souviendrai toute ma vie.

Les médias britanniques ont beaucoup parlé de ce but, certains t’ont même présenté comme un héros. Un mois après, l’effervescence est-elle retombée ?

C’était complètement fou. Je ne m’attendais pas à un tel traitement médiatique. Je crois que ce but a fait le tour du monde. J’ai eu beaucoup de demandes d’interviews. Des journalistes du monde entier ont essayé de me contacter. Je ne sais même plus combien. Et effectivement, j’ai parfois lu dans la presse que j’étais un héros. Selon moi, ce n’est pas du tout le terme approprié. Je ne suis pas un héros, mais simplement quelqu’un qui est fier d’avoir participé à écrire l’histoire de Gibraltar. Et puis ce but n’est pas une finalité en soi. Je compte bien en mettre d’autres !

Et qu’est-ce qu’il s’est passé quand tu es rentré à Gibraltar ?

Gibraltar est un petit pays (environ 30 000 habitants), donc tout le monde connaît tout le monde et les nouvelles vont vite. Mais maintenant, je crois que les gens me reconnaissent encore plus qu’avant dans la rue (rires).

Quel est ton parcours ? Tu vis à Gibraltar ?

Oui, toujours ! Je suis né à Gibraltar, c’est ici que j’ai grandi, que je me suis marié et c’est également ici que je travaille, en tant que policier pour le ministère de la Défense de Gibraltar.

Quand as-tu commencé à jouer au foot ?

En fait, je crois que j’ai toujours joué au foot. Quand j’étais gamin, mon père nous emmenait toujours jouer avec lui avec mes deux frères, Kyle et Ryan. Et je jouais partout, dans la cour de récréation, à la plage… et puis à 8 ans, j’ai rejoint Lincoln Red Imps, le plus gros club de Gibraltar, que je n’ai jamais quitté. Lincoln, le club et la ville, c’est toute ma vie et ma famille. Je connais certains joueurs de l’équipe depuis que je suis jeune.
Mon principal revenu, c’est celui que je gagne comme policier

Comment arrives-tu à gérer ton job de policier et le football ?

J’arrive à m’adapter et à m’organiser. Je m’entraîne entre 3 à 4 fois par semaine avec Lincoln et j’arrive à gérer avec mon travail. Et quand je joue avec la sélection, je prends des congés.

Et comment ça se passe avec tes collègues ? Ils ne t’ont pas trop charrié après ton but contre l’Écosse avec la couverture médiatique dont tu as fait l’objet ?

Si, bien sûr, un petit peu. Mais ils étaient surtout contents pour moi.

Tu es payé en tant que footballeur ?

Seulement depuis la saison dernière, en tant que joueur semi-professionnel. Mais mon principal revenu, c’est celui que je gagne comme policier.

À Lincoln, tu évolues dans un championnat semi-professionnel. Tu n’as jamais eu l’opportunité de passer pro ?

La plupart des enfants qui grandissent en jouant au foot rêvent de devenir professionnel un jour. Moi, quand j’étais petit, je rêvais de jouer en Angleterre. Mais certains ont plus de chances que d’autres. Je n’ai pas eu cette chance. J’ai déjà eu des contacts, notamment à Dagenham & Redbridge, un club de quatrième division anglaise, mais ça n’a rien donné. Maintenant, à mon âge, ce serait trop difficile de passer pro. Aujourd’hui, je suis semi-pro à Lincoln Red Imps, en première division, comme tous les joueurs à Gibraltar, hormis quelques exceptions.

Cette saison, vous avez encore remporté le championnat avec Lincoln, comme chaque année depuis 2003.

Oui, c’est génial ! Mais c’est surtout beaucoup de travail. On n’a perdu qu’un seul match cette saison, pour un nul et une défaite. Et on a mis 80 buts. On a aussi entre 9 et 11 joueurs de notre équipe en équipe nationale, ce qui est plutôt pas mal, non ?

En étant champion, vous avez décroché votre ticket pour le premier tour qualificatif de la Ligue des champions. L’an dernier, vous aviez perdu contre Tórshavn, un club des îles Féroé. Mais vous aviez quand même eu le droit à la petite musique de la Ligue des champions, non ?

Même pas ! Je pense qu’il faut passer quelques tours avant d’y avoir le droit. Cette année, on espère vraiment passer ce premier tour. C’est clairement l’objectif de l’équipe. On n’a même pas fêté notre titre de champion, car on espère le fêter en même temps que notre qualification pour le second tour de la Ligue des champions. Rendez-vous début juillet pour le résultat.

Tu parlais de tes frères tout à l’heure. Quand tu étais jeune, tu jouais avec eux dans la cour de récré. Maintenant, tu joues avec eux en club et en sélection. Tu le vis comment ?

C’est une grande fierté. Quand tu entres sur un terrain, et que tu partages ce moment avec tes frères, tu te dis que tu as beaucoup de chance. Je crois que ça rend aussi mes parents assez fiers de nous, parce qu’ils viennent toujours nous voir jouer, que ce soit à domicile ou à l’extérieur.

Quel est ton meilleur souvenir en sélection ?

Certainement notre premier match de qualification pour l’Euro 2016, contre la Pologne. On pouvait enfin toucher au haut niveau. C’était un rêve qui se réalisait et j’ai pu le vivre avec mes frères. Après, je pense aussi forcément au but que j’ai mis contre l’Écosse, et également à notre match contre les Allemands. Ils m’ont impressionné tactiquement et techniquement. Jouer contre Neuer, Götze, Boateng … c’était encore un autre rêve qui devenait réalité, même si bien sûr, quand le match commence, tu oublies que tu as l’Allemagne en face de toi. J’ai aussi pu échanger mon maillot avec Toni Kroos.
L’Espagne a un problème avec Gibraltar

Quel est ton rêve avec la sélection ? Gagner un match en qualifications ?

Ce serait fantastique, mais il faut être réaliste. Rivaliser avec les autres équipes de notre groupe serait déjà un bon début et un rêve pour nous.

Gibraltar joue ses matchs à domicile à Faro, au Portugal. Ce n’est pas trop compliqué pour vos supporters ?

C’est clair que jouer à Gibraltar serait l’idéal pour nous et pour nos supporters. Mais bon, ils viennent quand même nous soutenir partout en Europe. C’est arrivé qu’ils soient quelques centaines à venir nous supporter, et quand on sait que la population de Gibraltar est d’environ 30 000 habitants, on peut dire que c’est exceptionnel. On ne peut pas avoir mieux comme supporters.

Quel est le meilleur joueur de votre sélection ? Peut-être votre milieu offensif Liam Walker, qui joue également à Lincoln et qui n’avait pas été loin de mettre un but à Neuer au match aller ?

Ce n’est pas facile de sortir quelqu’un du lot, mais c’est vrai que Liam est notre meilleur joueur techniquement, mais il est aussi très bon dans son repli défensif.

Que penses-tu de l’évolution du foot à Gibraltar ? Même si vous prenez parfois des claques (défaites 7-0 contre l’Irlande et la Pologne en septembre et octobre derniers), vous semblez capables de poser des problèmes à chaque équipe. Et la sélection a été reconnue par l’UEFA l’an dernier, c’est un pas en avant, non ?

Je pense que depuis que nous sommes reconnus par l’UEFA, le niveau du football à Gibraltar a progressé. La Ligue se professionnalise et devient plus compétitive car de nouveaux joueurs et entraîneurs arrivent. C’est quelque chose que l’on ne voyait pas il y a encore quelques années.

C’est un sujet délicat, mais on sait que les relations diplomatiques entre Gibraltar et l’Espagne sont assez tendues, car Gibraltar est un territoire britannique revendiqué par l’Espagne. Quel est ton avis à ce sujet ?

C’est un problème d’ordre politique, et je ne souhaite pas trop m’étendre sur cette question, même si je ne sais pas pourquoi l’Espagne a un problème avec Gibraltar. Je suis concentré sur mon jeu et sur le prochain match.

Dernière question. Tu as 33 ans, quand penses-tu arrêter le foot ?

Quand mes jambes me diront d’arrêter, ou quand mes entraîneurs me diront qu’ils n’ont plus besoin de moi.
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Propos recueillis par Rodolphe Ryo

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