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Lech Walesa, un dieu du stade contre le pouvoir
Le 14 novembre 1982, Lech Walesa, meneur de la contestation ouvrière et futur président de la Pologne, était libéré de prison. Ce soir, en jouant face à la Slovénie, les Polonais auront peut-être une pensée pour celui qui avait profité d'un match face à la Juve pour faire une démonstration de force il y a trente-trois ans.
La moustache a blanchi depuis les folles années 80, et sa silhouette s’est un peu empâtée. Mais à soixante-six ans, ce 4 septembre 2010, Lech Wałęsa est encore fringant et sourit sans discontinuer aux photographes. Accompagné de Józef Młynarczyk, gardien polonais vainqueur de la Ligue des champions 1987 avec Porto et troisième de la Coupe du monde 1982, d’une chanteuse des années 70 amie des footballeurs, et du quadruple champion olympique de marche Robert Korzeniowski, l’ancien président de la République de Pologne reçoit officiellement le titre ronflant d’ « ami numéro 1 de l’Euro 2012 » .
Une distinction évidemment honorifique, mais Lech Wałęsa est un homme d’honneur et prend sa mission très à cœur : « J’ai eu un certain nombre de fonctions différentes dans ma vie, mais celle-ci a quelque chose de spécial. Je suis enthousiasmé par la façon dont je vais la mener à bien. J’aime gagner quand je participe et je veux gagner la bataille des préparatifs pour l’Euro. Ce n’est pas un événement purement sportif, mais un motif de fierté nationale. La Pologne et l’Ukraine se sont retrouvées en tant que pays il n’y a pas si longtemps, et nous devons préparer le meilleur tournoi possible. Les deux pays peuvent faire beaucoup pour unir toute l’Europe. » Le soir même, l’Ukraine et la Pologne s’affronteront en amical, histoire de marquer le coup. Un peu moins de deux ans plus tard, les meilleurs footballeurs du continent débarqueront en Europe de l’Est pour l’Euro, dont certains matchs se joueront dans le tout neuf stade Energa de Gdańsk. Dans cette ville où, en 1983, Wałęsa avait profité d’un match de foot pour changer le cours de l’histoire.
Profiter de Platini
Un coup de machine à remonter le temps, et nous voilà le 28 septembre 1983. Le stade Energa ne sortira de terre que vingt-huit ans plus tard, mais aux abords du stade municipal de Gdańsk, quelques dizaines de milliers de Polonais s’agitent. Dans la foule, clope au bec et mèche dans le vent, Lech Wałęsa se faufile pour accéder jusqu’en tribune. Leader syndicaliste et opposant au régime, il sait que les autorités polonaises sont dans une impasse : son syndicat, le Solidarność, n’est pas reconnu par l’État et l’arrêter lui donnerait une médiatisation dont il pourrait tirer bénéfice. Un cauchemar pour le gouvernement communiste, qui préfère laisser voguer, tout en gardant un œil sur lui. Wałęsa avait déjà été arrêté et emprisonné presque un an en 1981, quand le général Wojciech Jaruzelski avait appliqué la loi martiale dans le pays.
Mais depuis sa libération le 14 novembre 1982, il y a trente-quatre ans jour pour jour, les consignes sont claires : pas touche à Wałęsa. De toute manière, ce soir, il aurait été impossible de le repérer. Prévu pour accueillir 12 000 personnes, le stade de Gdańsk s’apprête à en engloutir le triple pour le premier match de l’histoire du club sur la scène européenne. Il ne s’agit que d’un seizième de finale retour de Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe (C2), mais l’invité est de marque, et le Lechia Gdańsk reçoit la Juventus. Trapattoni sur le banc, Scirea avec le brassard, Platini avec le numéro 10, bref, le match du siècle pour le club polonais. Forcément, presque tout le pays serait devant la télé au moment du match, alors Wałęsa et ses gars du Solidarność voulaient en profiter pour se permettre un petit coup d’éclat.
Les ultras de Gdańsk
Lech Wałęsa entretient avec la ville de Gdańsk, tout au nord du pays, face à la mer Baltique, une relation particulière. Ouvrier électricien sur les chantiers navals de la ville – nommés les chantiers Lénine – depuis la fin des années 60, il avait déjà participé aux émeutes de 1970, mouvement lancé par les travailleurs à la suite de la hausse des prix. Mais le régime polonais de l’époque n’était pas du genre à rigoler, et envoya l’armée nettoyer la zone, avec quelques dizaines de morts à la clé. Une décennie plus tard, en 1980, il menait une autre révolte et obtenait les accords de Gdańsk en faisant plier les dirigeants. Solidarność était né dans la foulée, et Wałęsa incarcéré peu après. Mais même dans les moments les plus durs, le stade de Gdańsk, avec le chantier naval, était resté un endroit de contestation, où les syndicalistes aimaient se retrouver. Le jour du match, le Lechia résiste bien, malgré la défaite 7-0 à l’aller.
Et en tribunes, la première mi-temps s’écoule sans aucun incident. Mais durant l’entracte, tout part en vrille. Les hommes forts du Solidarność se montrent, Lech Wałęsa pointe le bout de son nez face aux caméras, et immédiatement, la foule se met à hurler : « Solidarność ! Solidarność ! » Les autorités sont dans les cordes, la télévision d’État pète son plomb et diffuse toute la seconde période sans son. Wałęsa, lui, doit être sorti du stade par ses amis avant la fin du match pour ne pas prendre de risques. Un mois plus tard, il reçoit le prix Nobel de la paix. En novembre 1990, après la chute du régime, il devient président de la République lors d’élections libres. Dix-sept ans avant que son camarade de révolution, Michel Platini, ne s’offre lui aussi un destin présidentiel à l’UEFA.
Par Alexandre Doskov