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Leandro Depetris : « Pour qu’ils me mettent dans un avion quand j’avais 11 ans… »

Propos recueillis par Aquiles Furlone
7 minutes
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Et si sa famille avait accepté l’offre de l’AC Milan quand il avait 11 ans ? Et s’il n’avait pas soulevé de la fonte démesurément quelques années plus tard, au point de perdre l’essence de son jeu ? Avec des si, Leandro Depetris aurait vécu la grande carrière qu’on lui promettait. Plus en vue que Messi à la pépinière de Newell’s Old Boys, il se retrouve, deux décennies plus tard, à San Vicente, dans l’anonymat du championnat régional argentin.

En 1999, alors que tu évoluais chez les jeunes de Newell’s Old Boys, l’AC Milan te voulait, mais cela ne s’est pas fait et tu n’as jamais eu par la suite la grande carrière espérée. Que se serait-il passé, à ton avis, si tes parents avaient accepté le deal du Milan, à l’époque ?Tout le monde me dit : « Si tu avais rejoint le Milan, comme Messi a rejoint le Barça à 13 ans, tu serais aujourd’hui à Milan ce que Messi est à Barcelone. » Mais ça, c’est de la fiction. En vérité, on n’en sait rien.

Gamin, est-ce que tu étais vraiment ce crack qui dribblait tout le monde ?C’est un peu gênant de le dire, mais maintenant que j’ai dépassé la trentaine, je le dis : c’est vrai que j’étais au-dessus des autres. Pour qu’ils me mettent dans un avion quand j’avais 11 ans, direction Milan, il se passait quelque chose d’anormal. Le club milanais nous a offert à moi et à ma famille la même chose que Barcelone a offert ensuite à la famille Messi : une maison, un emploi si mon père voulait travailler, la même chose pour ma mère, tout.

C’est un peu gênant à dire, mais c’est vrai que j’étais au-dessus des autres. Pour qu’ils me mettent dans un avion à 11 ans, direction Milan, il se passait quelque chose d’anormal.

Pourquoi cela ne s’est pas concrétisé ?Mes parents ont toujours été des travailleurs, ils ont fait des études. Nous ne sommes pas issus d’un milieu défavorisé comme cela peut être le cas pour d’autres joueurs. Dans mon entourage, on était trop confiant. On pensait avoir la boule de cristal dans la main, et on entendait : « C’est un monstre, un phénomène, à tout moment, il peut exploser ! » Ils pensaient que c’était quelque chose qui ne pouvait pas ne pas arriver. Mais cela ne s’est pas produit.

Tu as pu en parler avec ton père depuis ?À vrai dire, non, chacun a son propre caractère, et c’est un sujet difficile à aborder. Ce que je veux dire, c’est qu’intérieurement, il sait qu’il a fait une erreur. Je suppose qu’il aimerait me voir à la télévision ou depuis la tribune de San Siro et non pas ici à San Vicente, avec vingt personnes dans les gradins. On ne se le dit pas face à face parce que la vie continue. Cela fait plus de deux décennies, et nous ne pouvons pas revenir en arrière en 1999.

Tu vois ton parcours comme une succession d’erreurs en forme de boule de neige. Et parmi celles-ci, le fait d’avoir voulu, à l’âge de 17 ans, te bâtir un corps hyper musclé lors de tes premiers mois à Brescia, en deuxième division italienne à l’époque. Comment en es-tu arrivé là ?Là-bas, j’ai constaté qu’il n’était plus aussi facile pour moi de dribbler deux ou trois rivaux comme je l’avais toujours fait. Puis j’ai commencé à me dire que je devais compenser cela. Je me suis dit : « Je vois que je ne fais plus autant de différences qu’avant. Ici, il faut être dur, fort, épais, pour se battre en milieu de terrain. » Et je suis allé trop loin. En fin de compte, je n’ai pu faire ni l’un ni l’autre.

Tu étais suivi ou conseillé par quelqu’un ?Non ! Je l’ai fait seul, sans demander à personne et sans la moindre connaissance. J’ai commencé à soulever des poids – même pas ce que je voulais, je faisais ce que je pouvais. Ce n’est pas comme si un préparateur physique du club était venu me voir et m’avait dit « tu dois devenir fort ». Non, rien de tel. C’est de ma faute. Je me suis fait un film dans ma tête. J’allais à la salle après l’entraînement ou je faisais de la muscu chez moi, seul, deux ou trois heures par jour. Une folie totale ! C’est un peu inexplicable que j’aie fait cela, en fait…

J’allais à la salle après l’entraînement ou je faisais de la muscu chez moi, seul, deux ou trois heures par jour. Une folie totale !

À quel point le changement physique était perceptible à l’époque ? J’ai pris pas mal de masse musculaire sur la balance. J’avais plus de force, bien sûr, mais cela ne me servait pas, bien au contraire, cela m’a porté préjudice parce que j’ai perdu en explosivité, dans le démarrage rapide balle au pied que j’avais toujours eu. Même mes jambes sont devenues grosses. En fait, ce n’était pas un travail adapté à mes caractéristiques.

Rétrospectivement, tu te dis quoi en repensant à cette période ?En y repensant maintenant, cela me semble incroyable ! Moi qui ai toujours été un joueur créatif, un dribbleur, un passeur, et qui suis un grand fan de Riquelme, de cette manière de jouer et de concevoir le football… Mais à ce moment-là, je ne sais pas ce qui m’est arrivé : je voulais être un Gattuso. Je voulais devenir un autre joueur, une autre personne. Aujourd’hui, je reconnais que j’avais tort, que je me suis lourdement trompé, parce que ce n’était pas mon essence. Ce n’était pas possible, je ne pouvais pas jouer comme ça.

Tu t’en es aperçu longtemps après ?Je n’ai pas tardé à réaliser ce qui se passait. Le truc, c’est qu’après avoir fait tant de différences sur le terrain, et constatant qu’à 17, 18 ans je ne pouvais plus faire ces différences comme à 12 ou 14 ans, j’étais à moitié résigné. Après quelques années, je me suis calmé et, avec le temps, mon corps est redevenu comme avant.

Finalement, la deuxième division italienne aura été le plus haut niveau que tu as atteint au cours de ta carrière. Pourquoi ?Ce n’est pas seulement à cause de la musculation, mais cela y a contribué, c’est sûr. C’est pour ça que je dis que mon cas était une chaîne d’erreurs. De l’époque où ma famille a décidé de ne pas vivre à Milan à tout ce qui est arrivé par la suite. Il y avait toujours une erreur qui venait du fait de vouloir réparer la précédente. Et dans cette longue liste d’erreurs, l’une d’entre elles est celle d’avoir passé tout ce temps à la salle de musculation, parce qu’elle m’a amené à changer, pour le pire, ma façon de jouer… Bon, ce n’est pas non plus comme si j’avais fait des erreurs toute ma vie. En fin de compte, je suis un pibe en bonne santé, je ne bois pas d’alcool, je ne me drogue pas, je ne cours pas après les filles. Sauf que je ne pouvais plus revenir à haut niveau. Attention, je n’ai peut-être pas compris toutes les raisons non plus. Mais avec tout l’espoir que j’avais placé en moi quand j’étais enfant, pour moi, c’est inexplicable d’en être là aujourd’hui.

Avec tout l’espoir que j’avais placé en moi quand j’étais enfant, en être là aujourd’hui, pour moi, c’est inexplicable d’en être là aujourd’hui.

Aujourd’hui, tu joues à San Vicente, un club de village dans la région de Rosario. Est-ce que tu as de la rancœur contre le football ?Non. J’aime le football. L’année dernière, je suis revenu ici, au club de San Vicente. Il y a deux ans, j’ai obtenu mon diplôme d’entraîneur. Le club m’a proposé de gérer les équipes de jeunes. Donc j’entraîne les enfants et en parallèle je joue avec l’équipe première. L’argent gagné durant mes années de professionnalisme m’a permis d’acheter un terrain et d’y faire construire une maison.

Financièrement, tu en es où ?J’ai ma maison et un petit bout de terrain, mais cela ne me suffit pas pour vivre, je dois travailler. Je veux dire, je ne suis pas en mauvaise posture, mais je ne pouvais pas rester assis et regarder la vie passer… Les Messi sont montés dans ce train qui ne passe qu’une fois, les Depetris non.

À lire : l’enquête « Salut les Musclés » dans le numéro 180 de SO FOOT actuellement en kiosques, où l’on se penche sur les conséquences de la course à l’armement physique dans le foot.

Dans cet article :
Quand la Sampdoria veut gagner du temps... et finit par perdre des points
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Propos recueillis par Aquiles Furlone

Traduction : Florian Lefèvre

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