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Mamadou Sakho, de héros en bas

Par Julien Faure et Clément Gavard
9 minutes

Après un accrochage avec Michel Der Zakarian, Mamadou Sakho a mis fin à son histoire avec Montpellier, d'un commun accord avec le club. À la veille d'un déplacement au PSG, où le défenseur s'est construit, et près de dix ans jour pour jour après son doublé mémorable face à l'Ukraine. Des hauts et des bas dans une carrière qui ne lui aura pas toujours appartenu.

Mamadou Sakho, de héros en bas

Ce n’était pas le jour d’une finale de Coupe du monde ni celui d’un match pour remporter un trophée, mais ils sont nombreux à se souvenir où ils étaient le 19 novembre 2013. Ce n’est pas tant la date qui importe, c’est le moment. Celui d’un basculement, d’une soirée à part au Stade de France, où les Bleus s’étaient réconciliés avec leur public dans une chaleur rarement atteinte dans l’enceinte dyonisienne. Un succès contre l’Ukraine pour décrocher un ticket inespéré pour le Mondial au Brésil (3-0, après une défaite 2-0 lors du barrage aller). Un héros, aussi, pas celui qu’on attendait. Au milieu de Karim Benzema, Franck Ribéry, Paul Pogba ou Mathieu Valbuena, la cape revient à Mamadou Sakho, devenu l’icône du soudain renouveau tricolore après avoir signé un doublé, deux buts de renard des surfaces, dans la folie de Saint-Denis. « Il était juste derrière moi dans le bus, il était très déterminé, rembobine Valbuena. Parfois, il y a une bonne étoile et c’était sa soirée. Il n’avait même pas les mots pour le décrire. » Une star française était née, à quelques stations de métro du 18e arrondissement de Paris, son véritable lieu de naissance.

Dix ans après ce qui peut être considéré comme le point de départ d’un âge d’or de l’équipe de France, les Bleus ont accouché de nouvelles idoles, et Sakho a poursuivi sa route, à sa manière, entre les obstacles et parfois loin de la lumière. Depuis 2021, il est revenu en Ligue 1, son premier amour, à Montpellier, où il évoluait dans un certain anonymat, sans le costume de titulaire depuis quelque temps (7 minutes de jeu cette saison). Le défenseur de 33 ans en est sorti la semaine dernière à la suite d’une altercation avec Michel Der Zakarian, racontée dans différentes versions. L’entraîneur montpelliérain a livré la sienne de façon laconique en conférence de presse : « Il ne s’est rien passé dans le vestiaire, juste un petit accrochage, c’est tout. On en rajoute beaucoup. » Ce jeudi soir, à la veille de Paris-Montpellier, Sakho a publié un communiqué dans lequel il « décline toute responsabilité » et annonce son départ. La fin d’une histoire, encore une, et un point d’interrogation planant autour de la suite à donner à une drôle de carrière.

À Paris, un adulte avant l’heure

Celle avec le PSG, son club de presque toujours (2002-2013), s’était terminée au poste de gardien de but à Lorient et avec des larmes à l’occasion d’un dernier tour d’honneur au Parc des Princes. Depuis, Mamad’ n’a retrouvé son ancien jardin qu’une fois, pour onze petites minutes, lors d’une défaite 5-2 avec Montpellier en août 2022. Il ne le retrouvera à nouveau pas ce vendredi, décidément. C’est bien là, à Paris et dans ses banlieues que « la force tranquille », son petit surnom, s’est construit comme joueur, mais aussi comme homme, entre Conflans Saint-Honorine au centre de préformation du Paris Saint-Germain, le Camp des Loges et la porte de Vincennes, où il habitait. Sa vie ne ressemble pas à celle des autres. Ses potes sont «  choqués » quand ils découvrent sa précarité, lui rassemble ses premiers deniers gagnés grâce au foot pour offrir un pèlerinage à La Mecque à ses parents. Il n’a que 12 ans.

Après le décès de son père, dans son regard, on sentait qu’il y avait eu un changement. Et il ne dérogeait pas à sa ligne de conduite. C’était “il faut que je finisse pro le plus tôt possible parce que ma famille en a besoin.”

Tripy Makonda

L’année suivante, il perd son papa. Il a 13 ans et tout change. « Quand mon père est décédé, devenir pro est devenu une obligation », confiait-il à So Foot en décembre 2018. Un déclic brutal constaté par Tripy Makonda, à ses côtés depuis son arrivée au PSG et membre de la génération 90 : « Dans son regard, on sentait qu’il y avait eu un changement. Et il ne dérogeait pas à sa ligne de conduite. C’était “il faut que je finisse pro le plus tôt possible parce que ma famille en a besoin. Cette charge qu’il a prise auprès de sa famille, il s’y est engagé. » Dans le confort du centre de formation, quelque chose d’inédit pour lui, il ne peut s’empêcher de penser aux conditions de vie des siens. Il apprend à respecter les règles et l’emploi du temps serré, entre l’école et les entraînements. Il prend 13 centimètres en un été, mais il est encore derrière Maxime Partouche en taille. Il n’est pas non plus le premier cité quand il faut faire des pronostics sur les pépites appelées à percer. Makonda : « Ce n’était pas le plus talentueux, mais c’était un bosseur. »

Le couple de mots « leader naturel » est revenu sept fois dans la bouche de Valbuena pour parler de Sakho. Il n’y a pas de hasard, Makonda confirme : « Au fur et à mesure que je le côtoyais, ça devenait un peu mon modèle en matière d’état d’esprit. » Il l’a vu rejoindre le groupe professionnel dès ses 16 ans, ce qui n’avait rien de commun à l’époque. Le jeune défenseur est sûr de sa force et ne veut pas compter sur les autres pour avancer, ce qui le pousse à s’offrir une voiture sans permis pour se rendre au Camp des Loges. En octobre 2007, il est nommé capitaine par Paul Le Guen pour un déplacement à Valenciennes (0-0), sans la « peur d’avoir cette charge au niveau du bras gauche, c’était normal pour lui », dixit Makonda. Un statut qui ne l’empêche pas de rester à l’écoute des tauliers et de faire l’éponge. « Quand il voulait progresser sur un point précis, il allait voir Claude Makélélé et Sylvain Armand pour en discuter avec eux, se souvient Makonda. Quand il a commencé à voir Greg Coupet venir à la muscu à 8h30, il s’y est mis aussi. » Même refrain plus tard en équipe de France quand « il y avait Franck (Ribéry), Pat’ (Évra), Benzema, c’était quelqu’un de très à l’écoute des anciens », pose Valbuena.

K.-O. et debout

Sur le terrain, Sakho n’est pas seulement un défenseur costaud, « techniquement il est propre », assure Makonda. En 2013, entre son moment de gloire au Stade de France et ses premiers pas avec le Liverpool de Steven Gerrard, sa carrière semble pouvoir prendre un nouveau tournant, encore plus réjouissant. Les obstacles ne sont pas toujours faciles à enjamber. Il y a les nombreuses blessures, la difficulté de s’imposer en Premier League et les aléas du foot. Comme ce contrôle antidopage positif en 2016, quelques jours après son but à Anfield dans un match fou contre Dortmund en Ligue Europa, pour l’une de ses dernières apparitions sous le maillot red. Le défenseur sera finalement blanchi, obtenant même réparation et des excuses de l’AMA en 2020, sans que cela n’efface l’immense préjudice d’être passé à côté d’une finale de Coupe d’Europe (contre le FC Séville) et de ne pas avoir été retenu dans la liste des 23 de Didier Deschamps pour l’Euro en France à cause de sa suspension. « Cette histoire a pu l’affecter, c’est compliqué de reprendre le train après ça, estime Valbuena. Au-delà du Mamadou Sakho très dur comme on peut le voir sur le terrain, c’est un affectif et il est très famille. C’est quelqu’un de touchant. » C’est souvent plus que du foot avec Sakho, c’est une histoire à protéger. « Je pense que ce qui l’a le plus marqué, c’est que le nom de Sakho soit sali et traîné dans la boue, dit Makonda. Quand ton nom de famille commence à circuler de mauvaise manière, ça peut durer toute la vie, il ne voulait pas ça. Maintenant, le nom de Sakho est propre. »

Il y avait un gros respect, mais il a mis à l’aise tout le monde. Les jeunes joueurs allaient naturellement vers lui, il a pu en recadrer quelques-uns, il parlait beaucoup avec Elye Wahi.

Olivier Dall’Oglio

Le Parisien de naissance et de cœur sait tourner les pages. En arrivant à Montpellier à l’été 2021, il était question pour lui de se relancer après une saison quasi blanche à Crystal Palace et pour le club héraultais de ramener un joueur d’expérience dans un groupe jeune et orphelin de Vitorino Hilton. Il a débarqué en jeune trentenaire dans un vestiaire où certains rookies, sûrement impressionnés par le bonhomme, l’ont accueilli en le vouvoyant. « Il y avait un gros respect, mais il a mis à l’aise tout le monde, rejoue Olivier Dall’Oglio, son premier coach au MHSC. Les jeunes joueurs allaient naturellement vers lui, il a pu en recadrer quelques-uns, il parlait beaucoup avec Elye Wahi. Il le faisait toujours au bon moment et de manière très calme. » Il s’est aussi reconnu en Maxime Estève, jeune défenseur à la recherche de bons conseils et qui a fini par lui passer devant dans la hiérarchie. Le sens de la vie jusqu’à cette histoire opaque avec Der Zakarian, qui a « énormément surpris » Valbuena. « Je ne vois pas Mamad arriver jusque-là, il pouvait dire les choses sans trop mettre les formes sur un terrain, mais ça s’arrêtait là », continue-t-il. En 2016, sa relation avec Jürgen Klopp était devenue très fraîche à Liverpool, le technicien allemand l’écartant d’une tournée estivale américaine en raison de ses retards. En ce qui concerne l’affaire héraultaise, Dall’Oglio déplore un vestiaire qui « n’est plus sacré » et assure ne jamais avoir eu de problèmes avec le joueur, aussi connu pour sa voix douce. 

«  Je le vois bien au Paris FC »

Ce n’est peut-être pas encore l’épilogue de cette drôle de carrière, commencée il y a déjà seize ans. Dall’Oglio : « En commençant tôt, il peut y avoir une usure mentale, surtout quand on a eu des pépins et qu’il faut redémarrer, c’est très dur. » Sakho aurait pu aller plus haut comme il aurait pu rester plus bas. « Dans un coin de sa tête, je pense qu’il aurait aimé faire mieux, il en avait les capacités, mais il doit être satisfait de son parcours », imagine Valbuena. Le principal intéressé avait répondu avoir atteint beaucoup de beaux objectifs auprès de So Foot (capitaine du PSG, champion de France, joueur des Bleus, etc.), avant d’élargir sa vision des choses au-delà du terrain : « Je pense que tous les joueurs doivent énormément au football. Il a participé à notre éducation dès notre plus jeune âge. On n’a pas forcément grandi avec nos parents, donc c’est à travers lui qu’on a découvert la valeur du travail, le respect, le sens du partage, le sens du collectif, la rigueur. Le football, c’est une forme d’éducation qui fait de nous des personnages publics. Il faut le remercier. »

Et maintenant, la fin ? Dans un sourire, Makonda glisse qu’il l’imagine enfiler le costume de politicien, « un truc comme ça », lui qui œuvre depuis plus de douze ans à aider les plus démunis en Europe et en Afrique avec son association AMSAK. Pour Dall’Oglio, il a des « qualités naturelles pour accompagner des jeunes », même quand il aura basculé dans la vie d’après. Il faudra d’abord ranger les crampons, ce qui n’est peut-être pas à l’ordre du jour, il ne le dit en tout cas pas dans son communiqué. « Je le vois bien au Paris FC, c’est son club, pronostique Makonda. Il a commencé là-bas, il y a un terrain à son nom et c’est dans Paris. » Pour boucler la boucle, et terminer son parcours comme il l’a commencé : la tête haute.

« Humainement, Gasset est ce qui se fait de plus rare dans le foot »

Par Julien Faure et Clément Gavard

Tous propos recueillis par JF et CG, sauf mentions

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