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- J29
- Montpellier-Nantes (2-3)
Le tunnel du Préjuce
Préjuce Nakoulma a le don de se faire désirer. Après avoir posé un lapin à son nouvel employeur, qui l’attendait à son retour de la CAN en février, et laissé les supporters dans l'expectative, le Burkinabè a décidé de montrer enfin qui il est vraiment en inscrivant un doublé à Montpellier.
Le 24 février dernier, lors de la réception de Dijon, la Beaujoire a enfin pu mettre un visage sur un nom qui, jusqu’ici, sonnait plus comme une énigme. Une apparition courte, un quart d’heure en fin de match, mais suffisante pour que Préjuce Nakoulma puisse montrer au public qu’il est aussi insaisissable sur un terrain que dans la vie. Un personnage dont le Nantais Jules Verne aurait adoré narrer les aventures rocambolesques. Son contrat de deux ans et demi signé le 31 janvier par correspondance depuis le Gabon, où il portait haut les couleurs d’un Burkina Faso troisième de Coupe d’Afrique des nations, l’attaquant devait débarquer le mardi suivant la compétition en Loire-Atlantique. Pourtant, les dirigeants nantais ont dû se demander s’ils finiraient par accueillir un jour « le meilleur joueur de la CAN » , d’après les mots de son sélectionneur Paulo Duarte. Car personne ne s’est pointé à l’aéroport ce jour-là. Waldemar Kita n’apprendra que le vendredi suivant que son joueur et son agent ont débarqué incognito en ville sans avoir prévenu personne. Soulagement du côté des Canaris, qui commençaient à redouter un remake de l’épisode Kolbeinn Sigþórsson.
Mais qu’a bien pu fabriquer Nakoulma pendant tout ce temps ? Personne ne le sait vraiment. A-t-il prolongé son séjour au pays où « après la CAN, les joueurs ont toujours besoin d’un petit temps pour souffler, avant de rentrer » , comme le suggérait Sérgio Conceição ? Est-il repassé par la Turquie, où il a résilié en décembre son contrat avec Kayserispor après y être arrivé l’été 2016 ? Le principal concerné invoquait des raisons médicales, lui qui, dans le passé, a déjà « menti sur son état de santé » comme l’indiquait la Fédération burkinabè de football (FBF) en 2015. Ce qui lui valut une exclusion provisoire de sa sélection. Si les conditions de son arrivée ont de quoi intriguer, cette histoire est déjà oubliée dans le vestiaire nantais. « Quand il s’est présenté au groupe, il s’est excusé pour son retard, sans en préciser le motif » , raconte son coéquipier Valentin Rongier. « Nous, on n’a pas cherché à en connaître les raisons, ça ne nous regarde pas. »
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— Pierre M® (@PierroMorin) 9 février 2017
Le tour d’Europe en 120 mois et dix jours
Pour comprendre quel genre de joueur les dirigeants nantais ont dégoté, son parcours n’est pas d’un grand secours, car l’Étalon de vingt-neuf ans connaît sa première expérience dans un grand championnat européen cette année seulement. En 2006, le natif de Ouagadougou débarquait en Europe par la petite porte, plus exactement par le Granica Lubycza Królewska dans le championnat amateur polonais. Suivent huit saisons de bourlingue, de prêts en transferts, dans les clubs du pays : l’Hetman Zamość, le Stal Stalowa Wola, le Górnik Łęczna le Widzew Łódź et enfin le Górnik Zabrze où il arrivera enfin à se démarquer et mettre le cap sur la Turquie. En 2014, Nakoulma s’engage en première division avec le club de Mersin İdman Yurdu, avant d’être cédé deux ans plus tard à Kayserispor. Alors qu’il touche enfin du doigt le haut niveau, le joueur résilie son contrat après treize matchs et deux buts. Dix ans pour en arriver là, pas étonnant qu’il ait fallu plus d’une semaine pour trouver le chemin de Nantes. Seules ses prestations avec sa sélection, où il compte trente-quatre apparitions, ont pu donner à Sérgio Conceição quelques clés au moment de recruter le dragster burkinabè. « Je l’ai souhaité parce qu’il a des qualités différentes des attaquants que l’on a ici. C’est un joueur explosif, rapide. J’ai regardé ses matchs à la CAN. Je suis content qu’il soit venu. Il arrive avec une mentalité de travailleur, avec un bon état d’esprit » , commentait le Portugais lors de la présentation de Nakoulma.
Polyvalent, capable de jouer en pointe comme sur les deux côtés d’un milieu à quatre, il peut apporter une concurrence rafraîchissante sur les postes offensifs, avec un profil complémentaire à ceux de Sala, Stępiński, Bammou ou Pardo. D’ailleurs, les premières impressions à son égard sont également positives dans le groupe, comme le rapporte Valentin Rongier : « Préjuce est quelqu’un de jovial, souriant, sociable. De notre point de vue, son intégration s’est bien faite et j’espère que c’est aussi son ressenti. » Il aura donc fallu attendre plus d’un mois après son arrivée et 180 minutes de jeu pour savoir ce que vaut vraiment le Burkinabè. Lors de sa première titularisation face à Monaco (4-0), Nakoulma a eu du mal à exister comme l’ensemble de son équipe, mis à part sur de rares contre-attaques. Mais à Montpellier, celui que son père a prénommé d’un néologisme de sa composition ( « Pré » comme « premier » et « juce » comme « justice » ) a pu prouver que les derniers canaris à éclore peuvent aussi jouer les premiers rôles. Son doublé plein d’opportunisme et d’anticipation – il est à la réception d’un centre que tout le monde voyait filer derrière le but, puis reprend de volée un ballon repoussé par le gardien – ressemble à un coup de pouce du destin. La lumière au bout du tunnel.
Par Mathieu Rollinger
Propos de Valentin Rongier recueillis par MR