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Le troisième club de Milan est une œuvre d’art
Dans l’ombre écrasante de l’Inter et du Milan pousse un club aux ambitions démesurées. Fondé il y a deux ans seulement, l’AS Velasca serait, selon son président « la troisième équipe milanaise ». Pas pour ses joueurs, le nombre de fans ou la puissance économique, mais pour son âme et son projet. Car le Velasca n’est pas qu’un club de foot. C’est aussi une œuvre d’art.
Velasca est encore très loin des sommets. L’équipe évolue actuellement en douzième division, un championnat géré par le clergé. Son stade, à vingt minutes de marche de San Siro, Velasca le partage avec pas moins de sept autres formations. Alors, forcément, lorsqu’on demande au président, Wolfgang Natlacen, ce qui lui permet de balancer de telles déclarations, il refuse de porter le chapeau : « C’est une des étiquettes qu’on nous a données, assure-t-il, avec un sourire en coin. Peut-être parce que le projet du club fait l’unanimité. Il n’est pas lié à une rivalité de quartier, mais représente un renouveau du football milanais. » Le projet ? Créer un club de foot comme on crée une œuvre d’art. Un objet footballistique inédit qui, par essence, ne peut avoir de contours totalement définis.
Blasphème et encre qui dégouline
Première étape pour faire d’un club de football une œuvre d’art : lui donner le nom d’une tour en béton de 26 étages bâtie dans les années 1950 au cœur de la cité lombarde. Deuxième étape : considérer chaque match comme une performance artistique, dont la beauté déborde naturellement hors de la pelouse. « Quand tu arrives au stade, tu as un défilé d’œuvres d’art, pose Wolfgang. Tu as beau être en douzième catégorie, tout est surdimensionné. Tu te demandes ce qu’il se passe. » Ces œuvres d’art ou « objets utiles » ne sont rien d’autres que les artefacts que l’on rencontre habituellement dans un stade. Mais entièrement repensés par des artistes. On peut citer le brassard de capitaine tricoté par Patricia Waller, le tableau de substitution de Patrizia Novello ou, surtout, le brassard de deuil en cuir noir d’Eric Pougeau. Celui dont Wolfgang semble le plus fier : « Dessus, il y a marqué : « Dio Cane » ( « Dieu chien » en VF, ndlr). C’est un blasphème. Comme la ligue est gérée par le clergé, il est interdit. On est la seule équipe au monde à ne pas pouvoir porter de brassard sous peine d’être disqualifiés ! On évacue la mort ! On ne peut pas mourir ! »
En plus des objets utiles, réalisés par des artistes collaborateurs, l’AS Velasca accueille chaque saison un artiste sponsor, qui conçoit le maillot et une œuvre qui se retrouve plaquée sur le ventre des joueurs. « Ça change du boucher ou du garage du coin, s’amuse Wolfgang, plus humblement que vous ne le pensez. Ça fait une publicité à l’artiste qui verse aussi une donation, dans la mesure de ses moyens. On limite les maillots à 300 exemplaires que l’on vend, ce qui permet au club de survivre. » L’année passée, Zevs, un Parisien d’une trentaine d’années, plaçait un logo Adidas vintage blanc bâfré d’un logo Nike noir aux encres qui dégoulinent. Comme si Velasca jetait un seau d’eau à la face du foot business. Wolfgang se marre : « Certains joueurs étaient surpris. Ils demandaient : « l’encre n’a pas séché ou quoi ? » La première année, ils ne comprenaient pas non plus pourquoi il y avait un parpaing sur le maillot. »
Cette saison, c’est un certain Jiang Li qui a séduit le board de Velasca. « Les récents changements de propriétaires du Milan et de l’Inter m’ont poussé à chercher un artiste chinois, explique Wolfgang. J’ai adoré ce qu’il faisait et comme je devais aller en Chine, je lui ai proposé qu’on se rencontre. » En mai dernier, dans la chaleur de Beijing, Wolfgang, épuisé par le trajet, grimpe dans un taxi pour rencontrer son futur sponsor. Au bout de la ville, il atterrit dans un centre commercial. Jiang Li porte un sweat-shirt gris, commande des bières et de la soupe aux raviolis avant de payer avec son portable. Au deuxième rencard, la note, principalement des Tsing Tao servies dans de mini-fûts et du canard laqué, est réglée par Wolfgang. « C’est toujours la relation humaine qui me fait choisir le sponsor, développe le président. Il était euphorique quand je lui ai proposé, puis assez stressé. Tout comme moi. Mais il me rassurait tout le temps. » Le résultat, dévoilé le 1er octobre, n’est pas aussi évident que les deux maillots précédents et joue sur les détails. « Sur le flanc, Jiang Li a fait sérigraphier des ombres chinoises, avec un magicien et un dragon qui crache des boules de feu. Ou des ballons. Le badge reprend les couleurs du drapeau chinois. Parce qu’une théorie, suivie par la FIFA, dit que le football viendrait de Chine. Puis il y a la calligraphie, en velours, qui peut se traduire en chinois comme : « donner quelque chose à manger ». Ce qui se prononce : « ve-la-sca ». »
Benne en bronze et projet sportif
Âgé de 35 ans, Wolfgang a toujours fait coexister en lui deux passions. Celle d’Otto Dix, Jean-Michel Basquiat et de l’art en général, avec celle du football et notamment du Milan, jusqu’à que le Calciopolli le refroidisse. Un héritage laissé par son père, amoureux de peinture, de photos et de Maldini, Cesare, puis Paolo. Par le biais de Velasca, Wolfgang veut montrer aux autres qu’art et football peuvent coexister. « La distinction des milieux sportif et intello, qu’on oppose souvent, n’a pas lieu d’être, lâche-t-il. On le prouve en ayant déjà plus de supporters que les autres clubs de notre division. Ça peut monter à cent personnes. C’est souvent des gens qui ne sont pas fous de foot et qui viennent essayer, voir les œuvres en mouvement. On a même des étrangers : Turcs, Américains, Anglais. » Curieux plus que passionnés, les fans du Velasca ne sont pas vraiment des tifosi types. À l’inverse des joueurs qui, hormis leurs maillots, n’ont rien de particulier. « Ce sont de vrais joueurs amateurs, insiste Wolfgang. Ils sont là pour jouer. Ils veulent gagner pour ne pas descendre et avoir plus de supporters. Sur les 26, il y a un seul artiste de métier, qui essaie d’en vivre. Même si on leur dit qu’ils sont tous des artistes. Comme les supporters se rapprochent du foot, nos joueurs se rapprochent de l’art. » Milieu de terrain axial, Pietro Fornari, 24 ans, a signé pour Velasca à l’intersaison. Responsable du marketing pour le Club Med au civil, il a rejoint le club pour son professionnalisme, la passion de ses dirigeants et un peu pour « l’exposition médiatique » , avoue-t-il sans gêne. « Ce qui est cool, c’est que le côté artistique nous affecte directement, explique-t-il. Ça peut affecter les performances. Les efforts fournis par les artistes, les sponsors et le management pour développer l’esthétique de l’équipe, ça nous pousse à jouer le football le plus beau et divertissant possible. »
Originaire de Parme, Fornari aime aussi évoluer avec des joueurs d’horizons variés. « On a un futur avocat, un barman, un ancien responsable de communication » , énumère-t-il en souriant. Une escouade complétée entre autres par un plombier, un maraîcher et une flopée d’étudiants. Le capitaine, Agostino Zicca, 29 ans, est à la tête d’une entreprise familiale qui s’occupe « de chaudières et de tuyauteries » . Impliqué dans le projet, il a récemment mis la main à la pâte et a créé sa première œuvre d’art : une benne à ordures, dans laquelle les joueurs ont présenté leurs nouveaux maillots, sponsorisés cette saison par Le coq sportif. Le président explique : « À Londres, la Skip Gallery avait créé une benne à ordures en acier. Ça m’a plu et m’a inspiré. Notre capitaine l’a reproduite, avec l’aide de sa compagnie. Le projet me rappelait un peu le nôtre : un pied dans le système, un pied en dehors. La narration du club se fait contre lecalcio marcio. Le foot pourri. On fait du recyclage. »
Son combat pour un football différent, le Velasca le gagne déjà un peu chaque jour. « Définir, c’est limiter » , disait Oscar Wilde. Une maxime qui correspond à la formation milanaise, qui ne se fixe aucune limite, ni artistique ni sportive. Cette année, Pietro joue le titre et assure que « l’équipe en est capable » . Forcément, l’objectif principal de Wolfgang le rêveur est un peu différent. « La chose la plus importante, c’est d’écrire une belle histoire, assure-t-il, avant de switcher sur le sportif. Les joueurs ont besoin de résultats pour y croire. L’autre but, c’est donc de gravir les échelons et monter le plus haut possible. » Et donc, jusqu’en Serie A ? « Oui ! Cela ne doit pas être une obsession, mais ce serait incroyable, conclut-il. Ça concrétiserait un rêve, pour les joueurs aussi. Si dans dix ou vingt ans on y est, ce serait la plus belle chose que certains joueurs du début soient toujours dans le projet. Là, on sera vraiment la troisième équipe de Milan. Sur tous les points. » Une équipe d’esthètes, assurément.
Par Thomas Andrei