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Le triste destin du Stade Alain Giresse
A l’heure où l’on spécule sur les primes de matches des internationaux français, que la plèbe aimerait voir reversées au football amateur, dans un petit bled de Gironde, à Langoiran, on pleure sur le sort d’un terrain de football devenu anonyme. Sauf qu’il s’agit-là du stade Alain Giresse, aujourd’hui menacé par un projet immobilier. Quelques chose qui représente bien plus qu’un simple rectangle pour footeux. Et à ce stade, c’est Gigi qui a les boules…
Langoiran, ses vignobles, sa quiétude, ses rues allongées, ses maisons du XVIe et ses commerces désaffectés. Petit village d’un peu plus de deux mille âmes, sis au bord de la Garonne, à vingt-cinq kilomètres de Bordeaux. Un fief bien à l’intérieur des terres, en apparence paisible. Problème : il connait la tourmente. L’objet du délit ? Son stade, en plein bourg. LE stade. Son couac. Soit une menace directe sur le stade Alain Giresse, du nom de l’un des meilleurs footballeurs français de tous les temps. Et pour cause, « le Prince de Lescure » est né pas loin, et la maison familiale se trouve à quelques encablures du rectangle vert… ou plutôt jaune, maintenant. Parce que le pré, il sert plus souvent aux chameaux des cirques itinérants qu’au footeux du cru ! Malheureusement pour la population, malheureusement pour le football. Seule l’équipe locale de vétérans s’y risque, le vendredi soir. Et encore, sans prétexte, puisque la bière post-match a des relents amers. Cette aire de jeu qui faisait la fierté des très jeunes, des moins jeunes et des vieux, ne frissonne sportivement que lorsque les habitués du dojo situé à côté la fréquentent. Terminé les parties endiablées. Terminé les plateaux de gamins. Terminé les rassemblements intergénérationnels sur ce qui est au final considéré comme la vraie place du village qui, ailleurs autour, n’existe pas. Mais certains font de la résistance et refusent la fatalité. Soit des sportifs, des passionnés, des locaux et des opposants au projet qui se trame. Parce que l’herbe haute, les trous, le drainage déficient, les ampoules grillées des quatre projecteurs ornementaux, l’insalubrité des infrastructures, les chiottes dégeu et l’abandon, tout simplement, ils en ont marre. Pour preuve, cette pétition qui circule, signée par près de 1000 contestataires (dont environ 650 résidant dans la commune, ndlr), pur témoignage d’une opposition solidaire.
Mais pourquoi tout ce tapage ? Parce que la municipalité en place a projeté de construire un nouveau stade, sur les hauteurs rocheuses de la cité ; un synthétique. Plus cher à l’achat, mais moins en entretien, et plus rentable, donc. Soi-disant. Ça a marché, la plèbe a gobé. Cool, en apparence. Sauf que géologiquement parlant, ça semble difficile à bâtir, qui plus est sur des champignonnières. Financièrement, pas évident non plus de supporter un coût élevé quand on a a du mal à faire des demandes de subventions. « Ils ne travaillent pas ! Ils ne savent pas monter des dossiers » , indique courroucé Philippe Lespinasse, membre actif et frondeur du C.P.L.F.C. Traduire : Castres-Portets-Langoiran Football Club, entente de plusieurs bourgades (qui évolue en championnat district) et seule alternative à la survie de l’activité. Mais celui qui est aussi maître de conférences en journalisme ne s’arrête pas là. « Pour moi, un stade, c’est un patrimoine universel… C’est comme la forêt amazonienne ou la banquise ! Ici, c’est un lien social. Pour un projet aussi important qui va transformer irrémédiablement et en profondeur le village, qui par ailleurs est déjà en train de perdre tous ses commerces de proximité, le minimum, c’est de convoquer une réunion publique au cours de laquelle le maire doit exposer son projet. On peut aussi se demander pourquoi ce projet n’était pas dans son programme de campagne au moment des élections… C’en est même un déni démocratique ! Et l’agonie d’un stade, c’est triste » , regrette ce mordu de transparence auquel on reproche d’habiter à « Le Tourne », bled enclavé dans… Langoiran ! Quand la passion prend l’avantage, on part direct en prolongation. 1-1. Mais pourquoi tant d’obstination de part et d’autre ? « Au départ, il y a cette proposition de projet écologique sur cette zone devenue bonne à lotir… C’est une réserve foncière au cœur du village, ajoute-t-il. Et dire qu’ils ont déjà vendu l’école de musique qui est devenue une maison particulière, et cédé le cinéma pour un euro symbolique… » Mais cette fois, c’est une étude primée, aussi, réalisée par le cabinet d’architectes Djuric-Tardio – proche de Jean Nouvel ; lire le texte évoquant « Le village au passé vieillissant et introverti qui a vocation de se rénover » –, qui sanctionne l’esquisse. Dont acte. Mais le hic, c’est que le maire de la commune, Raoul Orsoni, est aussi notaire. Et ça, ça sent le conflit d’intérêt à plein nez. Appartenance droite, ex UDF à présent démuni d’étiquette, l’édile n’a pas répondu à nos appels, ni à nos messages. Dommage. Pas de débat public, pas de communication ; bref, pas cool Raoul. Le comble, c’est qu’Orsoni a été le premier président de la fusion du C.P.L.F.C…
Une fierté bafouée
Ce stade, il est détérioré et dangereux ; un argument de poids pour cette municipalité chloroforme, qui laisse croupir les défenseurs de l’identité culturelle locale dans la Garonne. Et ça, ça énerve aussi Pascal Boschet, le responsable de l’école de foot, quasi contrainte à la délocalisation. « Ici, on n’a plus rien : on a de moins en moins de jeunes licenciés, concède-t-il. On peut à peine faire des entraînements avec les U6, U7 et U9, c’est risqué pour leur sécurité, et il n’y a pas de douches. Alors, les parents refusent de laisser leurs gamins sur un terrain dans cet état. On va à Portets où les installations sont bonnes, explique-t-il. Ici, on ne peut essayer que cinq mois sur douze, et encore, avec des ballons brillants que l’on a été obligé d’acheter, sinon, on ne les voit pas ! Après, il ne faut pas s’étonner que l’on passe d’environ 200 licenciés il y a six ans à 120 maintenant. » La rage. Ces types ont la rage aux dents. Normal, ce sont les mômes qui trinquent. Des enfants qui résistent eux-aussi, avec leurs moyens, pour sauver le patrimoine ; le leur. « Ils viennent encore jouer à temps perdu, fait observer l’éducateur. Et on voit aussi des gens jouer au frisbee ici… Y en a même un qui vient taper des balles de golf de temps en temps ! » Cet endroit, palmarès officiel d’une bourgade dans laquelle l’équipe fanion joue depuis 1922, a été rebaptisé en 1994, avec l’aide du Variétés Club de France et de ses potes, tous venus pour leur « Gigi » national. Une fête, mais une fierté bafouée en 2012. « Quand les adversaires (vétérans, ndlr) viennent, c’est la honte, explique Philippe Lespinasse. Ils nous disent que c’est indécent d’offenser ainsi la mémoire d’Alain Giresse. Ce stade, c’est l’histoire du sport populaire, libre et gratuit. Mais ça, comme ce n’est pas rentable, ça ne convient pas à certains. » L’aire de jeu, qui porte le nom d’un garçon ayant revêtu à 47 reprises la tenue tricolore, Champion d’Europe (1984) et de France (1984 et 1985), meilleur buteur de la Coupe de l’UEFA en 1983 et Ballon d’Argent en 1982, entre autres, ressemble plus à un stade africain perdu dans la brousse ; en moins vivant. Et en moins bien, forcément. La terre battue en moins, aussi. Encore un peu de patience et ça viendra ! Avec des murs ocre et vert, tagués, salis, souillés, et sans tribune, en guise de cadeau bonus.
Un stade africain en moins bien
Pour l’ex sélectionneur du Mali, la situation devient insupportable. « Ce stade est délabré et impropre, parce qu’il y a un projet immobilier dessus, chose que je ne peux que déplorer, confie Giresse. C’est l’histoire du village, c’est un poumon vert (sic) et plein de choses… La nécessité d’avoir ici des bâtiments pour je ne sais quelle raison, je ne la maîtrise pas. Je suis un peu vieille France, mais ça ne correspond pas à l’idée que j’ai du village et de ce que ce stade peut représenter là-bas. » C’est clair, net, précis, et surtout sincère. Modestie oblige, intégrité de rigueur, « Little Big Man » – qui sera décoré de la Légion d’Honneur le 20 août prochain – est ému, touché. Dans sa chair, dans sa pureté d’âme. Dans son patronyme. « Alors, qu’il porte mon nom, c’est une chose. Mais s’il portait un autre nom, j’aurais exactement le même raisonnement… tout ça, ça n’a rien à voir, ajoute-t-il. Je suis né dans ce village, donc je connais toute l’histoire de ce terrain. Un jour, il a porté mon nom… Mais tout d’un coup, l’enlever (le terrain, ndlr) : non !, s’emballe-t-il. Ça ne correspond pas à ce qu’il est, à ce qu’il doit être. La mairie a pris une autre orientation… On peut considérer qu’il n’avait aucune utilité ? Bon, ok, c’est leur avis, mais pas le mien. Je ne cautionne pas du tout l’organisation d’un projet immobilier dans ce cas-là. Voilà… Mais moi, après tout, je ne suis rien… » Que l’homme aux 586 matches de D1 (et 164 buts) se détrompe, il n’est pas « rien » . Giresse, à Langoiran, c’est presque tout. L’atout majeur, même. Un numéro 10 devenu numéro 1 qui, grâce à un dribble – presque – involontaire, est passé devant les vignes, la tonnellerie et la forteresse médiévale qui veille sur une ville qui semble morte, délaissée. Paradoxe saisissant : le projet résidentiel amènerait du monde, certes. Mais il paralyserait un espace de verdure unique.
Quant à l’herbe artificielle en prévision un peu plus haut, l’ancien capitaine emblématique des Girondins n’y croit guère plus que ses concitoyens. « Un synthétique, oui… proposé par le promoteur, seulement pour faire passer la pilule ! Mais il n’aura jamais l’homologation (car également situé en pente, ndlr). Donc, ce ne sera jamais un stade qui pourra permettre la compétition, vu que dans les collines, rien que le terrassement serait pharaonique. » Bref, on le comprend, « Gigi » a les boules. Et des grosses. Poli, toujours respectueux, mais ferme de ton, la sensibilité à fleur de peau comme toujours, l’ex membre du « Carré magique » France 82, se livre, et contient sa rage. Tout en se gardant de parler au maire. « Je vous dis uniquement ce que je pense, mais je n’ai pas à m’adresser à lui. J’ai le droit, modestement, en tant que personne originaire de Langoiran, puis en qualité de personne à laquelle on a demandé un jour de donner son nom au stade, de le faire. Mais cela ne me donne aucun autre droit. » La polémique enfle, la politique tance, la menace gronde. Et pendant ce temps-là, le stade dépérit, l’herbe crame, et les gosses sont partis à la pêche. Mais à la rentrée, il faudra trouver une vraie solution au problème. En attendant que le premier magistrat de la commune (Le) tourne sa veste. Ce serait probablement la meilleure chose pour le sport local et la jeunesse longoiranaise. Mais « les promesses n’engagent que ceux qui les croient. » Et c’est Philippe, ce résistant de la première heure, qui le dit…
Par Laurent Brun, à Langoiran