- CAN 2010
Le Togo suspendu !
Non, non : on ne rêve pas. La CAF a décidé de suspendre aujourd'hui le Togo pour les CAN 2012 et 2014. Le motif ? Le retrait des Éperviers de cette CAN 2010 décidé par leurs autorités gouvernementales à la suite du mitraillage mortel de Cabinda (deux victimes). Consternant...
Que vaut la parole de la CAF ? Il faut se souvenir que le samedi 9 janvier, lendemain du mitraillage du bus togolais, et veille de l’ouverture de la CAN, les responsables de la CAF avait assuré à la délégation des Éperviers que ces derniers n’encourraient aucune sanction pour les prochaines CAN en cas de retrait légitime de la compétition… Cependant, il faut rappeler que des “pressions” des autorités angolaises et de la CAF avaient pesé sur les Togolais, les enjoignant même de rester et de concourir. Constant Omari, membre du comité d’organisation de la CAN, avait même rappelé que le Togo risquait en cas de forfait des sanctions prévues par le règlement de la CAN : « Le forfait déclaré moins de vingt jours avant le commencement de la compétition finale ou pendant celle-ci entraîne une amende de 50.000 dollars et la suspension de l’association nationale concernée pour les deux éditions suivantes de la Coupe d’Afrique des nations » .
Tout s’est accéléré dans la nuit de samedi à dimanche, durant laquelle les joueurs et le staff avaient décidé de jouer la CAN, en hommage notamment à leurs deux camarades tués au cours de l’assaut (le chargé de communication Stanislas Ocloo et l’entraîneur adjoint Abalo Amelete). Mais le dernier mot viendra des autorités gouvernementales du Togo, constantes depuis le vendredi du drame : les Éperviers doivent rentrer à la maison. Dont acte : le Togo déclarera forfait et rentrera au pays. Précision : les joueurs togolais avaient émis le souhait de revenir jouer en Angola, après les trois jours de deuil au pays. Requête quasi inaccessible, vu le match du lundi contre le Ghana forcément annulé…
Voilà. On en était resté là. Le forfait togolais avait été enregistré, sans menace de sanctions quelconques, avec la poursuite de la compétition dans un Groupe 3 réduit à trois équipes (Côte d’Ivoire, Ghana et Burkina Faso). Et aujourd’hui, l’incroyable décision de la CAN est tombée : le Togo est suspendu pour les deux prochaines CAN ! Avant de commenter cette sanction très sévère, on ose espérer que la fédération togolaise aura la possibilité de faire appel. Dans un premier temps, auprès de la CAF, et éventuellement auprès de la FIFA. On ose croire que les statuts des diverses commissions disciplinaires des hautes autorités du foot autorisent l’exercice d’un droit de recours. Si c’est le cas, on suivra de très près l’issue des tractations juridiques entre les parties concernées. Mais si la décision de la CAN se révélait ferme et définitive, aujourd’hui comme demain (en cas de recours autorisé mais sans suite), alors la CAF se déshonorerait. Déjà, pour manquement à la parole donnée le 9 janvier. Ensuite, en prenant cette décision à la veille de la finale de la CAN, Ghana-Égypte : pareille annonce plombe à nouveau une compétition qui n’avait pas besoin de ça et qui va s’achever sur une note aussi noire qu’elle avait commencé. Enfin, pour le respect des victimes et de leurs familles, c’était le pire message qu’on pouvait leur renvoyer à la figure…
D’autres considérations vouent la CAF aux critiques les plus sévères. Son règlement lui accorde le pouvoir de surseoir à sanctionner puisqu’il prévoit des « cas de force majeure qui restent réservés et sont tranchés par le commission d’organisation » . La fusillade de Cabinda et les deux morts qui en ont résulté ne constitueraient-ils pas un cas de “force majeure” quant au retrait des Éperviers ? En outre, on est choqué des termes du communiqué de la CAF, qui justifie la sanction, par la voix de son président Issa Hayatou : « Le Comité exécutif (de la CAF) vient de suspendre le Togo pour deux Coupes d’Afrique des nations. C’est une sanction réglementaire. Il y a eu une interférence gouvernementale, ce que nous ne pouvons pas accepter » . Des « interférences gouvernementales » … Si on suit bien la CAF, cette dernière s’en est d’abord prise au gouvernement togolais en punissant l’équipe du Togo ! En quoi les joueurs et le staff sont-ils responsables d’une décision politique de leurs gouvernants qui les dépassait ? On se demande en quoi ils auraient pu s’opposer à pareil ordre…
La CAF a introduit là une confusion des genres qui mêle inutilement sport et politique au détriment d’un de ses membres les plus illustres du moment (le Togo était quand même représentant africain lors du dernier Mondial 2006 en Allemagne)… On ose encore espérer que la CAF n’ait pas été très mal influencée par les autorités politiques angolaises qui ont vécu le retrait togolais comme un véritable camouflet quasi diplomatique. L’attaque de Cabinda ayant déjà mis à mal son prestige continental. Le forfait des Éperviers s’achevant donc en affront supplémentaire. On touche là aux “susceptibilités nationales” des États qui, même si elles n’existent pas qu’en Afrique, portent tout de même une ombre de discrédit sur tout le continent.
On reste choqué par la décision de la CAF qui dans ce drame se sera quasiment toujours exonéré de ses propres responsabilités, sauf celles concernant son pouvoir disciplinaire. Après tout, stricto sensu, la CAF n’a en effet fait “qu’appliquer le règlement”. Alors, est-ce que l’Angola sera elle aussi sanctionnée pour les risques qu’elle a fait prendre aux quatre équipes de ce Groupe 3, concourant sur le territoire “dangereux” du Cabinda ? Confiera-t-on ou non dans l’avenir l’organisation d’un autre tournoi majeur (CAN juniors, ou autres) ou d’un événement important (finale de la Ligue des Champions de la CAF) à l’Angola ? Est-ce que la CAF se penchera sur ses responsabilités d’avoir confié cette CAN 2010 à l’Angola sans s’assurer, oui ou non, que toutes les conditions d’organisation et de sécurité étaient bien réunies ? Et la FIFA ? Qu’a-t-elle à dire, va-t-elle réagir à cette sanction ou laisser la CAF décider souverainement ? Et les autres nations du football africain : est-ce que ce coup-ci Ivoiriens, Ghanéens, Burkinabés et tous les autres vont se solidariser avec les Éperviers ?
L’esprit de la CAN, c’est le jeu, la joie, l’amitié entre les peuples, le rendez-vous attendu tous les deux ans d’un continent pas toujours à la fête. L’Afrique c’est aussi la survivance des traditions ancestrales, comme le respect dû aux morts. La Confédération du Football Africain s’est égarée.
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