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Le tifo qui fait tache
RED OR DEAD. Trois mots, mais surtout une image pour un tollé national, presque mondial. Connu et apprécié pour leur ferveur, les supporters du Standard de Liège ont, semble-t-il, dépassé les bornes dimanche lors du retour de leur ancien capitaine dans ce qu'on appelle l'Enfer de Sclessin.
Depuis quelques jours déjà, les observateurs attentifs du championnat belge pouvaient s’en douter. Le Standard-Anderlecht qui allait avoir lieu n’allait pas être un match amical. Parce qu’il ne l’a jamais été, mais surtout parce que les Rouches allaient recevoir l’homme qui était encore il n’y a pas si longtemps leur capitaine emblématique. Celui qui avait remis le Standard de Liège sur la carte du football belge grâce aux deux titres consécutifs raflés en 2008 et 2009. Un doublé et une fin de série. Après 25 ans sans titre, le Standard de Liège s’était retrouvé une âme grâce à Steven Defour. Une sorte de capitaine courage, flamand, mais bilingue, travailleur increvable, mais artiste doué au corps surtatoué. Le genre d’homme auquel on s’identifie plus facilement qu’à un autre quand on est supporter. Jusqu’en 2011, il était donc l’idole des Liégeois ; depuis son départ pour Porto et jusqu’à son retour en Belgique, il était passé au statut de légende vivante. À compter de son transfert chez l’ennemi anderlechtois, il est devenu le plus grand pestiféré du football liégeois. Dimanche, il a encore réussi à offrir le succès au Standard en quittant la pelouse après seulement 52 minutes de jeu pour un deuxième carton jaune, mais il a surtout fait des supporters liégeois les nouveaux mal aimés du football belge.
« Après le match, ils ont fermé nos locaux et les rues adjacentes, c’était contrôle d’identité pour tout le monde. Malgré tout, il n’y a pas eu de débordements. Et à la radio, les politiques parlent d’incitation au meurtre et à la haine, ça va beaucoup trop loin ! » Ces mots sont ceux d’un des auteurs de la fameuse banderole. Un homme qui préfère garder l’anonymat compte tenu des circonstances, mais qui ne se renie pas pour autant. Pour ce supporter de longue date du club liégeois, comme pour les autres défenseurs du tifo, la représentation du Jason Voorhees de Vendredi 13, film d’horreur américain datant de 1980, décapitant Steven Defour est une image. Pour eux, une image de la violence, ce n’est pas forcément de la violence. Parce qu’un stade de foot reste un lieu d’exutoire. Un lieu où la tolérance sociale est forcément un peu plus importante qu’ailleurs. Comment expliquer sinon les coups de boule, les fractures et les insultes propagées sur les terrains de football. Le problème de ce tifo, et quoi qu’en pensent peut-être ses instigateurs, c’est qu’il tombe sans doute au mauvais moment. 24 heures seulement après une vidéo montrant un otage japonais décapité par des membres de l’État islamique, moins de trois semaines après les meurtres perpétrés dans les bureaux de Charlie Hebdo et quelques mois seulement après le vote en France de la loi Cazeneuve sur l’apologie du terrorisme. En France, et au vu du climat actuel, il est à penser qu’une telle banderole aurait eu pour conséquence la dislocation pure et simple des deux groupes de supporters concernés par sa création. En Belgique, la question est encore à l’étude, mais ne fait pas vraiment débat, puisque les sanctions semblent attendues par tous.
« Incitations à la haine et bêtise humaine »
Ce dimanche 25 janvier, les deux kops de l’emblématique tribune « côté terril » de Sclessin voulaient taper un gros coup pour la réception du rival mauve. En collaboration, le Hell Side, mais surtout les Ultra Inferno ont donc mis sur pied un tifo qui deviendra vite celui dit « de la honte » . Une toile géante de plus de 1000 m2 qui fait réagir partout dans le monde, mais qui agite surtout la Belgique tout entière. Pour la majorité des journaux francophones du Royaume, la banderole des supporters liégeois éclipsait même la victoire politique et démocratique de Syriza en Une des quotidiens. L’édito du journal Le Soir en attestait via les mots sans appel de son rédacteur en chef, Christophe Berti : « La provocation des supporters fait partie de l’ADN du football, et elle fait même son charme depuis un siècle. Mais ici, il n’est pas question de folklore ou de moquerie, ni même de liberté d’expression, mais de respect des lois, d’incitation à la haine et de bêtise humaine, décidément incommensurable. » Les mots sont durs. D’autant plus quand ils sont majoritaires et répétés tous azimuts en Belgique. Dépassée, la communication du Standard de Liège se refuse à « cautionner un message qui heurte » . Depuis dimanche 14h30, Olivier Smeets, le responsable comm’ du Standard, est assailli de toute part. Injoignable à l’heure de rédiger ces lignes, il avait toutefois pris le temps de préciser à la presse belge ne pas avoir été mis au courant de la mise en place d’un tel tifo arguant que les visuels montrés en cours de semaine n’étaient pas les bons.
Un geste en forme de fracture entre la direction et ses supporters qui se prolongera vite par la prise de sanctions fortes envers les coupables. À cet égard, les propos du vice-président du club, Bruno Venanzi, ne trompent pas : « Les premières sanctions sont des interdictions de stade et interdiction de déplacement pour les fautifs qui sont déjà connus et reconnus. Nous allons aussi organiser une réunion avec le bourgmestre de Liège, d’ailleurs à sa demande. Demain, avec les groupes de supporters pour travailler plus en amont et de manière préventive pour éviter ce genre de mauvaise surprise. (…) Jusqu’à nouvel ordre, il y aura une interdiction de tifos malheureusement. » Les sanctions ne devraient pas s’arrêter là, même si en Belgique, la Fédération belge de football n’a pas (encore) le pouvoir de réprimer directement des supporters pour de tels agissements. Ce sera donc bien au club ou à la cellule football du ministère de l’Intérieur de sanctionner, dans un premier temps, les fautifs déjà identifiés. Cathy Van den Berghe, directrice faisant fonction de la Cellule football du ministère de l’Intérieur, expliquait hier lundi, au micro de la RTBF, les différentes astreintes possibles : « Les sanctions vont de 250 euros d’amende à 5000 euros et de 3 mois à 5 ans d’interdiction de stade. La loi football prévoit qu’on peut utiliser l’un ou l’autre, ou les deux. Ici, vu que les faits sont assez graves, il est plus que probable que la sanction soit cumulée : amende et interdiction de stade. »
« On voulait juste marquer le coup »
Au vu du tollé généré par l’affaire, Willy Demeyer, le bourgmestre de Liège, a, lui, personnellement demandé aux personnes concernées de près ou de loin par l’affaire de rester discrètes dans les médias. Malgré tout, il a toutefois été possible de s’entretenir avec l’une des 50 personnes ayant participé à la création de ce tifo géant. Un supporter impliqué qui a forcément préféré rester anonyme : « Je ne sais pas si j’ai intérêt à alimenter tout ce qu’il se dit depuis dimanche. Il vaut peut-être mieux qu’on s’écrase, parce que pour nous, ça sent le caca. Charlie ou pas Charlie, j’ai l’impression qu’on s’est fait baiser dans cette histoire. » Il y a de la rancœur, mais il y a surtout beaucoup d’incompréhension dans les propos de cet ultra désabusé par les conséquences d’un acte qu’il n’aurait jamais cru prendre une telle importance : « Nous, on le prépare depuis six semaines, notre tifo, et à la limite, les événements de Charlie Hebdo, cela nous a confortés dans notre idée. Tout le monde parle de liberté d’expression depuis trois semaines et là, tout le monde s’offense parce que nous faisons un dessin imaginaire. On nous prend pour des meurtriers. Les gens partent vraiment en couille. »
Tristes, mais en colère, les supporters liégeois sont maintenant dans l’attente d’une sanction qui risque bien de faire jurisprudence en Belgique. Connaissant la fébrilité de celle qu’on appelle – pour raison architecturale principalement – « la maison de verre » , l’on pourrait croire à un leurre. À lire la véhémence avec laquelle s’expriment les différents éditorialistes aux quatre coins du pays, néerlandophones comme francophones, c’est tout le football belge qui semble attendre impatiemment de voir l’Union belge de football monter au créneau. Il en irait même de sa crédibilité. Pour leur défense, les supporters liégeois préfèrent encore jouer l’apaisement : « Le foot, on dit souvent que c’est la guerre, on utilise un langage belliqueux. Mais pour nous, ce qu’on a fait, cela s’appelle un symbole. Steven Defour, pour nous, il n’existe plus. À la limite, s’il revient l’an prochain, on ne le sifflera même pas. Là, c’était la première fois, on voulait juste marquer le coup. »
Ce lundi 26 janvier était publié en fin de journée un communiqué sur le site des Ultras Inferno. Vous pouvez le retrouver dans son intégralité via le lien suivant :
http://www.ui96.net/FR/actualites_details/743
Par Martin Grimberghs, à Bruxelles