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Le syndrome du pays-hôte
Malgré sa victoire (2-1), l'équipe de France a découvert, ce vendredi face à son public et à la Roumanie, qu'accueillir une compétition n'était pas forcément qu'une partie de plaisir. Gorge serrée, sensation d'étouffement, les Bleus ont avoué qu'avant le soulagement du but de Dimitri Payet, ils étaient tétanisés par l'enjeu. De quoi se poser quelques questions s'ils ne veulent pas exploser en vol comme le Brésil 2014.
Olivier Giroud était d’humeur à lâcher quelques sentences définitives, ce samedi après-midi à Clairefontaine, au lendemain de la victoire française contre la Roumanie. « La construction de la route vers la réussite n’est jamais terminée » , a-t-il par exemple déclamé, avant de répondre à une question à propos de son éventuelle faute sur le gardien roumain lors de l’ouverture du score par un très métaphorique : « Sauter les bras le long du corps, ça n’a jamais mené personne bien haut. » Adil Rami, lui, était d’humeur badine, multipliant les petites vannes et répondant à une question en italien, « juste pour montrer que je parle toutes les langues » . La preuve ultime, s’il en fallait une, qu’une frappe des vingt mètres dans la lucarne peut s’avérer être un efficace antidépresseur.
Car avant le missile de Payet à la 89e minute, les Bleus faisaient moins les malins. « On s’est fait la réflexion après le match, on était crispés, admet Giroud aujourd’hui. Je ne vais pas rentrer dans les détails : les bouches pâteuses, du mal à déglutir. Des symptômes qui témoignent d’une grosse appréhension, d’une crispation. Les passes étaient peut-être moins assurées, moins claquées, moins précises, peut-être que ceci explique le surplus inhabituel de déchet technique. » Juste après la rencontre, Patrice Évra décrivait déjà cette rare forme de laryngite collective : « Il faisait chaud, beaucoup de joueurs disaient qu’ils avaient la gorge sèche, qu’ils n’arrivaient pas à respirer. L’appréhension, ça te fait consumer un peu d’énergie. » L’appréhension ?
Sûreté nucléaire
Depuis des semaines, les joueurs de l’équipe de France ont répété à quel point le soutien du public serait primordial pour aller loin. Ce serait donc plus compliqué que ça. « Il y a tellement de passion, de ferveur derrière cette équipe de France, c’est quelque chose d’extraordinaire, mais ça donne des obligations, disait Didier Deschamps juste après la douloureuse victoire de son équipe. On connaît le Stade de France, mais il y a la cérémonie, le protocole. Psychologiquement, ça n’a pas été facile à gérer. » Alors qu’elle reste sur deux compétitions à domicile remportées, la France vient donc de découvrir qu’être le pays-hôte pouvait parfois se transformer en cadeau empoisonné.
Il y a deux ans, le Brésil a montré tout l’éventail de ce que peut apporter ce statut lors de sa Coupe du monde. Être chez soi peut permettre de bien se tirer d’une performance moyenne, comme lors de la victoire inaugurale de la Seleção contre la Croatie (3-1). L’organisateur peut même se transformer en véritable bulldozer que rien n’arrête, à l’image du quart de finale étouffant des Brésiliens contre la Colombie à Fortaleza. Mais le statut est radioactif. Comme une centrale nucléaire, capable d’éclairer une ville et aussi de la rayer de la carte si elle est mal entretenue. En demi-finale, contre l’Allemagne, le Brésil avait été rasé par le souffle de l’explosion. Si elle s’en est bien sortie pour son entrée dans la compétition, la France sait donc qu’elle va devoir manier le combustible avec précaution. « Voir la joie des Français, ça va donner encore un peu plus de confiance et de sérénité » , assurait Deschamps vendredi soir, alors que Pat Évra promettait : « Je sais que contre l’Albanie, on va se lâcher. » Mercredi soir, le public du Vélodrome devra de toute façon faire attention aux radiations.
Par Thomas Pitrel, à Clairefontaine