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Le suicide médiatique de Karim Benzema
Dans une interview pour Marca, Karim Benzema évoque sa non-sélection à l'Euro en termes tranchés. Alors qu'il bénéficie d'une belle cote de popularité en Espagne, son intervention a tout du gol en su propia puerta en France. Le timing choisi et la teneur des propos vont achever sa carrière en bleu.
« Mais pourquoi vous n’avez pas pris Benzema ?! C’est le meilleur attaquant français, même devant Griezmann ! » N’importe quel Français vivant en Espagne qui s’est aventuré à causer football avec un local a eu droit à cette question. De l’autre côté des Pyrénées, l’affaire est entendue depuis un moment et ne fait aucun doute : K9 est LA référence française en pointe. Seul le joueur est jugé, rien d’autre. En France, où son image est largement écornée, soit par sa faute, soit par le goût démesuré pour la polémique, son interview sera reprise et aussi certainement déformée. Il ne peut pas l’ignorer. Ses paroles sont libérées et donc calculées.
Ribéry, Nasri, Benzema même combat
Nul n’est prophète en son pays, et Benzema n’est qu’une illustration de plus dans le paysage footballistique français. L’attaquant du Real Madrid n’a pas confiance en la presse française. À la manière de Franck Ribéry ou de Samir Nasri qui avaient annoncé leur retraite internationale dans un canard de leur pays d’adoption, Rim-K s’est confié à un journaliste de Marca, venu spécialement à Lyon. Encore un coup dur pour L’Équipe… Le quotidien sportif madrilène n’hésite pas à en faire des caisses dans son chapô. Après une 11e Ligue des champions dans l’armoire à trophées, rien de plus normal. Ce n’est pas pour rien que le buteur exhibe fièrement sa médaille de vainqueur de la C1. « Blessure ouverte » et « douleur subie en silence » plantent le décor. Benzema s’est tu, maintenant il va dire ce qu’il pense. S’exprimer dans un journal ibérique d’obédience madridiste est certainement moins risqué pour lui, car ce qui lui est reproché en France n’est guère connu en Espagne, et surtout, personne ne lui cherche des noises tous les quatre matins. Peut-être que l’Espagne a actuellement autre chose à faire que de mener des débats stériles et autres verbiages…
« Valbuena n’a pas dit la vérité »
Pour Marca, cet aspect est sûrement secondaire, mais pas en France. Quitte à verser dans le complot ourdi contre lui, Benzema l’affirme : la façon dont il a été traité lors de la fameuse (et fumeuse) affaire de chantage à la sextape de Valbuena est particulièrement injuste, la faute à « quelques journalistes qui ont inventé des choses à la télévision » . Mais au-delà de cette excuse somme toute classique, le n°9 du Real Madrid règle ses comptes avec Valbuena : « Dans cette histoire, il y a une seule personne qui sait ce qui s’est passé, c’est lui. Il a joué un rôle, il n’a pas dit la vérité et tout vient de là. J’ai voulu l’aider, rien de plus, et cette histoire s’est retourné contre moi. » Inutile de préciser que les revoir cohabiter un jour en équipe de France est plus que compromis. Accuser publiquement et avec autant de véhémence un ancien coéquipier de mensonge, c’est peut-être une première dans le football tricolore. Mine de rien, Benzema accuse Petit Vélo de faux témoignage, un acte passible de condamnation pénale. Une allégation qui devrait lui valoir une plainte pour diffamation. La XVIIe chambre correctionnelle de Paris piaffe déjà d’impatience…
Injustice, racisme et Manuel Valls en filigrane
Quitte à donner une image peu reluisante de son pays, Benzema a choisi la formule offensive et ça ne s’arrête pas là. S’il réfute ressentir une quelconque rancœur, il le dit haut et fort : « La France va se rendre compte qu’elle a été injuste envers [moi]. » Sur le plan sportif, difficile de lui donner tort. Sur le plan judiciaire, il répète qu’il n’a pas été jugé, qu’il n’est pas coupable et que la justice rendra son verdict. Le communiqué de la FFF lors de l’officialisation de sa non-sélection notifiait déjà que le juge d’instruction n’avait rien trouvé de solide à son encontre et avait donc levé son contrôle judiciaire. Présumé innocent par la justice, mais coupable pour l’opinion publique (qui est-elle d’ailleurs ?), Benzema croit savoir que s’il est déjà en vacances et s’il a eu droit à un traitement de faveur ( « ils ont inventé une règle : non sélectionnable » ), c’est parce que Didier Deschamps a plié sous la pression d’une frange raciste de la population. « Il faut savoir que le parti extrémiste est arrivé au 2nd tour des dernières élections » , martèle-t-il. Dans un pays où le vote extrémiste est inexistant (le PP de droite, le PSOE et Podemos de gauche et Ciudadanos du centre se partagent l’essentiel des voix), la phrase n’est pas anodine. Et l’on se rappelle que Noël Le Graët avait parlé d’un wagon rempli de lettres racistes reçues à Grenelle… À l’entendre, K9 s’entend bien avec DD, NLG, ses coéquipiers, les 40 millions de personnes qui le suivent sur les réseaux sociaux. Insinuation : ça vient de plus haut, c’est-à-dire de Manuel Valls qui avait publiquement demandé sa mise à l’écart au motif du sacro-saint principe d’exemplarité des sportifs. Pendant ce temps-là, les Karabatic…
« J’aime le football et jouer pour ma sélection »
Posture médiatique ou véritable mal à l’âme ? Benzema a en tout cas mal encaissé les critiques à son encontre, mais aussi celles adressées à sa famille et son entourage : « Si j’étais une mauvaise personne, mal conseillée, mal accompagnée, je n’en serais pas là aujourd’hui, cinq ans à Lyon, sept ans au Real Madrid, à gagner des titres » . Ne pas participer à un Euro en France est un sacré coup dur, il le concède, mais il assure que si on l’appelle, il reviendra porter le maillot bleu sans problème, car « [il] aime le football et jouer pour [sa] sélection » . La saison prochaine, K9 restera l’attaquant de pointe titulaire du Real, et sa popularité restera intacte à Madrid. Florentino Pérez et Zinédine Zidane peuvent se frotter les mains : leur buteur consacrera tout son temps à la tunique merengue. Car vu le shitstorm qu’il vient de provoquer, on peut quasiment considérer que ce 1er juin 2016, Karim Benzema a officieusement mis un terme à sa carrière avec l’équipe de France.
Par François-Miguel Boudet