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Le stade du désespoir ?
Certains craignent le terrorisme durant l'Euro. D'autres feignent de découvrir que l'UEFA a été exempté fiscalement. Et les réseaux sociaux continuent de rejouer la guéguerre Benzema/EDF. Toutefois, bien loin de ces préoccupations, certes incontournables, dans la quiétude des hémicycles municipaux, élus d'opposition et comptables ont plus simplement sorti la machine à calculer sur leur smartphone. Et ils savent déjà, quel que soit le résultat, ou comment se déroule la compétition, que l'addition sera salée pour leurs administrés. Il faudra bien payer les stades et personne n'ose encore vous dire ce à quoi il faudra renoncer pour cela...
Voila une nouvelle qui va peut-être réjouir le gouvernement et tous les cabinets d’experts qui nous vantent par avance les retombées économiques de l’Euro 2016. On connaît déjà un corps de métier qui a vu s’accroître son activité professionnelles grâce à cet événement : les avocats. Les procédures ne cessent de se multiplier, le conseil d’État a été saisi et a annulé la délibération quant au PPP du Matmut Atlantique. À Nice, des perquisitions ont été menées à la mairie suite à un rapport de la chambre régionale des comptes au sujet, cette fois, de l’étrange favoritisme dont Vinci a bénéficié (jusqu’à « renoncer » aux pénalités de retard). Dans le Nord, une instruction pénale est en cours contre Effiage, ce dernier a lui-même porté, via une filiale, un différend avec la Métropole européenne de Lille devant le tribunal administratif, réclamant 167 millions supplémentaires. Il ne s’agit sûrement que du début d’une longue liste de péripéties judiciaires dont on imagine mal la tournure finale.
Le bâton merdeux des PPP
Si évidemment la question sécuritaire, les fans zones ou la menace hooligan occupent aujourd’hui les esprits de nos édiles, les stades qui ont été bâtis ou rénovés à grands frais – publics essentiellement – s’apparentent en effet déjà à un bâton merdeux que tout le monde (État, collectivités, BTP..) va allègrement se refiler dans les années à venir. De ce point de vue, nous connaissons déjà la première postérité de notre Euro : le foot va encore davantage perdre de sa virginité aux yeux de l’opinion. À ce tarif, la victoire n’est pas seulement obligatoire pour remonter le moral des Français, il en va aussi des nuits de sommeil de nombre de maires et de présidents de clubs. « Que ce soit à Marseille, à Nice ou à Lille, la situation est similaire, explique Matthieu Rouveyre, élu PS d’opposition à Bordeaux, à l’origine de la procédure auprès du Conseil d’État. À Lille, c’est peut-être même pire. L’absence de naming a encore aggravé le poids sur les finances de la collectivité, qui était censée en dénicher un et a finalement dû se replier sur Pierre Mauroy. Repli qui ne permet nullement d’alléger la facture. Les stades en PPP s’avèrent une option très douloureuse pour ceux qui ont fait l’erreur d’y recourir. »
Un peu partout en France, dans les villes concernées, le scénario s’avère toujours le même. Des élus d’opposition se lèvent ou tombent des nues, selon le point de vue, et demandent a minima des comptes sur les décisions et les concessions accordées lors des signatures de contrats avec les géants du bâtiment. Ce réveil peut sembler tardif, car en fait, dès le départ, des municipalités avaient senti le piège s’ouvrir sous leur pied. À Nantes, qui eu le droit malgré tout à son petit match de préparation en lot de consolation, la ville avait renoncé. Avec aux commandes Jean-Marc Ayrault, futur Premier ministre, qui conseillera étrangement le contraire ensuite une fois en charge à Matignon de mener à bien l’organisation de l’Euro. Sauf qu’en 2009, la mairie qu’il dirigeait avait jeté l’éponge devant les « exigences exorbitantes » de l’UEFA. À savoir : une rénovation de la Beaujoire frôlant les cent millions d’euros (contre simplement neuf millions pour la Coupe du monde de 1998). La cité des Ducs redoutait aussi que le retour sur investissement demeure trop incertain en matière de rayonnement.
« Nous avions eu six matchs de haut niveau en neuf !, racontait le premier édile à l’époque. Mais, pour l’Euro 2016, nous aurions certainement eu des rencontres de seconde zone. Les retombées économiques auraient été très faibles : on aurait mis des années à rembourser un investissement qui n’en valait pas la peine. » Dernier point et non des moindres, la volonté de ne pas sacrifier d’autres projets d’aménagements sportifs. Pour résumer, nous n’avons pas les moyens de nous le permettre… L’économiste Bastien Drut comprend cette logique qui interroge le long terme, une vision qui devrait toujours habiter les serviteurs du peuple : « Par ailleurs, la question de la rentabilité pour l’État est toujours difficile à mesurer, car si des entreprises de construction ont bien été rémunérées pour la rénovation ou la construction de stades, on ne sait évidemment pas précisément l’utilisation que ces entreprises font de cet argent par la suite. »
L’argument massue est simple et résume pourquoi, d’un coup, la potion amère ne passe plus. Y compris auprès de villes à qui on a fait miroiter monts et merveilles avec cet Euro en jouant sur la corde sensible de la Coupe de monde et de son souvenir enchanté. Or, le contexte a radicalement changé. Footballistiquement parlant d’abord. Le Mondial se déroulait cinq ans après le sacre munichois de Marseille et deux ans après la victoire du PSG en Coupe des coupes. L’Hexagone ne ressentait pas une telle impression d’un fossé grandissant vis-à-vis des autres pays. Il pensait pouvoir au moins jouer des coudes sur le terrain. Le grand stade construit alors répondait d’abord au besoin de calmer une vieille frustration du prestige national. Édouard Balladur avait pourtant lancé une mode destinée à un grand succès : le cadeau aux amis du béton. De telle sorte que la concession fut signée entre les deux tours de la présidentielle de 1995, avec des clauses excessivement généreuses pour le concessionnaire, laissant à ses successeurs le soin de verser près de 114 millions d’euros supplémentaires jusqu’en 2013, faute de club résidents.
Le PPP m’a tuer
La solution du Partenariat Public Privé – « dépenses publiques, bénéfices privés » , disent les mauvaises langues -, s’est ensuite tranquillement généralisée (jusqu’à la construction du Pentagone français). La crise économique, accentuée par les réformes territoriales ou RGPP (Révision générale des politiques publiques), ont mis les collectivités publiques à genoux (leur investissement est passé de 200 milliards, à 120 milliards prévus pour 2014-2019). Le moindre surcoût, par exemple pour rembourser les PPP, leste un peu plus le sac de dettes qui les entraîne vers le fond. Surtout que la réalité du foot tricolore, sauf le cas hors sol du PSG, n’est pas de nature à leur donner foi en l’avenir. Certes, les stades seront pleins durant l’Euro, pour le bonheur de l’UEFA qui, normalement, va engranger 1,9 milliard d’euros en tout (sans quasiment verser d’impôts soulignons-le encore). En revanche, le taux de remplissage pour l’ordinaire de la L1 paraît plus que douteux (l’écart avec la Bundesliga est du simple au double). Et que dire en cas de rétrogradation, qui impliquerait en outre (et pour certains cas, le LOSC notamment) une réduction automatique de leur loyer (de 4,2 millions à un million) et, en conséquence, un excès de charge pour la ville. Toutefois, ce qui frappe tient à la confluence de trois sources d’inquiétude qui, si elles sont parfois « idéologiquement opposées » , insistent de concert sur le péché originel des choix faits pour financer les stades. Premier souci, devenu général dans notre société, celui de la transparence et du refus de la corruption. À Nice, c’est l’association Anitcor qui mène la charge. À Lille, un ex-élu villieriste, Éric Darques, est parti en croisade au nom de la sainte sauvegarde des sous du contribuable. À Lyon, les Verts, dont Étienne Tête, sont montés au front. Avec toujours la même rengaine : explosion des budgets (de 120 millions à 268 millions à Marseille), des faits dissimulés aux élus (à Bordeaux), des doutes sur la sincérité de la procédure (à Lille, avec même des ramifications remontant jusqu’au Carlton)…. « Le Conseil d’État, suite à mon recours, a annulé la délibération sur le PPP, commente ainsi Matthieu Rouveyre, élu PS d’opposition à Bordeaux. Les informations communiquées par la ville et Alain Juppé étaient erronées, à tel point que le coût annuel prévisionnel s’avérait deux fois inférieur à la réalité. Le coût de ce stade met les finances de la ville dans le rouge. Quand on consolide la dette de la ville avec le PPP, Bordeaux se retrouve dans une situation très dangereuse financièrement. » Cerise sur le gâteau, la ville s’est engagée a rembourser les impôts locaux aux exploitants du stade.
« Dès que vous investissez dans n’importe quel secteur, vous créez de l’emploi… »
À cette simple préoccupation citoyenne somme toute assez saine et démocratique s’ajoute un sentiment politique qui pointe d’un doigt vengeur le foot pro en grand aspirateur des fonds publics, tandis que les communes ne rempliraient plus leur mission première de service public. Faute de moyens sonnants et trébuchants. « Ce que je reproche au foot business, c’est de nous imposer sa loi, poursuit Mathieu Rouveyre. Ces nouveaux stades extrêmement chers ont été imposés par l’UEFA avec des normes hallucinantes. Le privé prend le pas sur le public. Un organisme qui dégage des centaines de millions de bénéfices nous force à endosser sur nos épaules les poids énormes de ce type d’infrastructures, alors que nous disposions déjà d’un stade, rénové pour le Mondial de rugby. Nous manquons d’équipements de proximité, tandis que tout se retrouve fléché vers le sport pro, et je doute fortement que les retombées économiques nous permettent de rentrer dans nos frais. » Voici donc l’argument qui ne convainc plus : OK, édifier un temple du ballon rond vous ruine, mais cela rapporte beaucoup à la ville et donc à ses habitants.
« Il est très facile en tant qu’universitaire de répondre à cet argument, rétorque l’économiste Jean-François Bourg. Forcément, dès que vous investissez dans n’importe quel secteur, vous créez de l’emploi. Mais le raisonnement économique sérieux, et non pas celui des cabinets privés qui réalisent des études de circonstances, consiste à parler de coût d’opportunité. En gros, si, par exemple, cet argent public n’avait pas été déversé dans les stades de l’Euro 2016, est-ce qu’il n’aurait pas été plus utile ailleurs, d’un point de vue social et économique ? Est-ce qu’il n’aurait pas engendré davantage de créations d’emplois, de bien-être collectif ? Si vous balancez des centaines de millions d’euros dans n’importe quelle branche, des postes de travail suivront, reste à mesurer le rapport entre les sommes mobilisées et le nombre d’emplois induits. À Marseille, au lieu de se lancer dans un PPP et donner beaucoup d’argent à Bouygues, d’autres immenses besoins, en matière d’éducation notamment (la cité phocéenne est particulièrement sous-équipée en ce domaine), auraient mérité sûrement un effort équivalent. » Bastien Drut semble confirmer cette analyse. « Par ailleurs, la question de la rentabilité pour l’État est toujours difficile à mesurer, car si des entreprises de construction ont bien été rémunérées pour la rénovation ou la construction de stades, on ne sait évidemment pas précisément l’utilisation que ces entreprises font de cet argent par la suite. »
Rendez-vous en 2017…
Étrangement, ce refus rencontre un autre discours, prenant souvent, à tort, en exemple OL Land (qui doit quand même beaucoup aux aménagements publics financés pour au moins 200 millions d’euros) et qui affirment qu’il serait grand temps que le foot français s’affranchisse de sa dépendance colbertienne envers l’État et la puissance publique. En gros, qu’il devienne plus capitaliste au sens anglo-saxon, avec en ligne de mire les « utopies » allemandes ou britanniques, où la billetterie représente une part deux ou trois fois supérieure dans les comptes des pensionnaires des championnats nationaux.
L’heure de vérité sonnera de toute façon dans les années à venir. Surtout. Par ailleurs, dans le sillage de la séquence politique qui s’ouvrira jusqu’à la présidentielle, avec un Alain Juppé représentant des villes hôtes (qui a réussi à gratter vingt millions à l’UEFA et tente de taxer Airb’n’b pour le reste), une Martine Aubry sur la sellette de sa « primaire » et sans oublier un François Hollande qui devra se justifier, surtout en cas de parcours calamiteux des Bleus. La saison 2016-2017 sera finalement le vrai test de l’Euro. « Même s’il est trop tôt pour savoir si les stades seront rentables, confirme Bastien Drut. Il est légitime de se poser un certain nombre de questions. Par exemple, l’affluence moyenne pour les Girondins de Bordeaux est passée de 23 500 pour la saison 14/15 à 25 100 cette saison malgré le passage au nouveau stade. L’effet « grand stade » est en train de se dissiper à Lille avec une baisse continue de l’affluence pour les matchs de Ligue 1. Cela dit, il y a, a priori, un coup de pouce à venir pour les clubs de Ligue 1… » Cela sera-t-il suffisant pour oublier le reste ? Le vélodrome sera-t-il à Marseille ce que les JO furent à la Grèce ?
Par Nicolas Kssis-Martov