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Le stade critique
Le Stade de France adore clapper, et encore plus entonner des chants russes en l'honneur de la qualification des Bleus après le coup de sifflet final. Le Stade de France adore faire la fête, et encore plus applaudir à tout rompre l'entrée de Kylian Mbappé. Mais le Stade de France sait-il supporter son équipe ?
Dans le milieu du spectacle, on apprend très tôt une leçon essentielle : tout bon artiste doit savoir soigner son entrée. Débarquer en rappel d’un hélicoptère, éclore d’une main géante ou traverser la foule comme le Messie, par exemple. Johnny Hallyday, lui, a bien compris le principe. Le but est double : accrocher l’attention du spectateur et lancer sa soirée, bien sûr, mais surtout imprimer l’identité de l’hôte. Là est le problème du Stade de France : il n’en a pas vraiment. Après une bonne dizaine de minutes en avant-match où le speaker s’est évertué à faire applaudir les tribunes séparément, puis ensemble, puis séparément, le premier geste du Stade de France a été d’emprunter un geste qui ne lui appartient pas. Un clapping, rendu si tendance par des Islandais tout aussi à la mode l’été dernier. On jouait la première minute, et la tribune des Irrésistibles Français clappait.
Tantôt trop, tantôt pas assez
Soyons clairs : le clapping n’est pas un problème en soi. Le clapping n’est même pas spécialement islandais, il était pratiqué par les Lensois – pour ne citer qu’eux – bien avant l’Euro. Le tifo d’entrée des joueurs était même auparavant plutôt réussi, partagé volontiers par un stade à guichets fermés. Non, la gangrène est plus générale, plus inhérente à l’enceinte elle-même des Bleus. Là où 80 000 âmes auraient dû soutenir leur équipe, à une demi-marche de la qualification pour une Coupe du monde russe qui, rappelons-le, était loin d’être acquise après la défaite en Suède, ces âmes se sont tues. Depuis la zone de presse, parfaitement placée au milieu des tribunes, pas de bourdonnement dans les oreilles, assez peu de chants collectifs. Deux « Aux armes ! » , un « Qui ne saute pas n’est pas français » , et une Marseillaise entamée quelques secondes à peine avant la réduction du score biélorusse, qui l’a d’ailleurs coupée dans son élan. Le Stade de France est fait pour faire la fête. On ne peut lui reprocher, son taux de remplissage étant en partie assuré par des familles n’ayant pas forcément connaissance des us et coutumes d’un public de « supporters » . Mais on ne peut totalement reprocher à une sélection de manquer d’âme ou d’envie d’attaquer lorsque son public ne fait pas lui-même preuve de détermination. Lorsque l’équipe de France peinait, c’était insuffisant. On se taisait, à l’écoute des craquements de la défense et des errements du milieu de terrain. Et lorsque l’équipe de France gagnait, c’était trop.
Magnéto, Serge !
La cassette prête à être enfoncée dans le lecteur, il n’a pas fallu soixante secondes aux enceintes du SDF pour cracher une ignoble musique traditionnelle russe dès la fin du match. Les plus novices y auront vu un son sur lequel pratiquer la polka, les connaisseurs auront reconnu Kalinka, une chanson d’amour « poétique, amusante et coquine » , selon Wikipedia. Le cliché était un peu gros, surtout accompagné d’un texte en russe placardé sur les écrans géants, mais le public s’y est plongé avec bonhomie, oubliant tout des minutes de silence qui l’avaient précédé. S’ensuivront un clapping collectif mené par Hugo Lloris, puis une nouvelle salve de Kalinka, en entier. Et un nouveau clapping, de l’autre côté, forcément moins réussi. L’ambiance au stade de France est un problème récurrent, il l’était d’autant plus ce soir que l’enjeu était important. On pourrait supposer qu’une frange du public est sortie rassasiée de l’Euro, rendant par essence l’événement moins « exceptionnel » , donc moins exaltant. Et on peut continuer de déplorer ce fait, tout en sachant que rien ne le réglera réellement, si ce n’est de ne pas en rajouter inutilement dans les confettis et les célébrations de fêtes foraines. Rater son entrée est une chose, mais la correction exige de ne pas se casser à nouveau la gueule en sortie de piste. Trop tard, tout le monde était parti de peur d’entendre une troisième Kalinka.
Par Théo Denmat, au Stade de France