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Le stade Bergeyre à Paris : il était un stade olympique
Un siècle avant le beach-volley devant la Tour Eiffel, le record du monde de Duplantis à la perche au stade de France ou la finale des Bleus au foot au Parc des Princes, un stade parisien a accueilli des rencontres des JO 1924. Détruit juste après, le stade Bergeyre racontait l'émergence du football français.
Tranquille, un étudiant fume, des touristes courageux crapahutent sur les marches et les chats traversent imprudemment les pavés. En ce début août, la majorité des riverains sont en vacances, et ont laissé la transpiration des montées quotidiennes de la butte avec leur ordi de boulot. Pas une voiture ni un scooter ne passent dans ces six allées du XIXe arrondissement de Paris, à l’abri des grands axes. En face d’un banc auquel il manque une planche, Montmartre, que les coureurs cyclistes ont grimpé pendant les JO. Un siècle avant, la grand-messe du sport mondial se tenait pourtant ici, sur la Butte Bergeyre. Un stade y était juché, le plus grand de Paris au moment de sa construction. Pourtant, lorsque l’on demande aux passants, les mêmes commentaires surgissent : « Vous me l’apprenez », disent-ils tous. Quelques curieux lisent un panneau, posé lors des commémorations du 11 novembre 2011.
Mine, champ de patate et jolie vue
« La Butte Bergeyre doit son nom à un stade de 15 000 places […] baptisé ainsi en hommage à Robert Bergeyre joueur de rugby tué à vingt ans au début de la Première Guerre mondiale », peut-on y décrypter. Plus loin, on apprend que la butte est une « ancienne carrière de gypse, pas intégrée au parc des Buttes-Chaumont ». Dans la première moitié du XIXe siècle, des galeries ont été creusées plus bas pour extraire du plâtre. Personne n’ose ensuite construire en haut de la carrière. Si bien que, comme une île déserte en plein Paris, les hauteurs restent vierges jusqu’aux années 1910.
Un patron de magasins, Gaston François-Sigrand, hérite alors de la fortune de son oncle. Le mécène rugbyman décide d’y installer son club du Sporting Club Vaugirard en haut de la butte de 20 000 mètres carrés de terrain sur lequel on est « frappé par l’ampleur du paysage. Paris se découvre, vue de si haut qu’elle paraît accueillante », lit-on dans au début de Vernon Subutex, roman de Virginie Despentes. Les travaux démarrent en 1914, et prennent du temps à cause de la guerre. Le stade est finalement cerclé de deux tribunes, celles avec des poteaux en bois devant les spectateurs. L’inauguration a lieu en 1918, quand le SC Vaugirard fusionne avec l’Olympique de Pantin, premier vainqueur de la Coupe de France. Le club devient l’Olympique de Paris, et atteint deux autres finales.
La butte Bergeyre devient ainsi un haut lieu du sport français. En 1920, elle accueille la finale de la troisième coupe de France. En présence de Jules Rimet, qui, avant d’avoir été mal joué par Gérard Depardieu au cinéma, était président de la FIFA et de la FFF, cette soirée est « un nouveau succès à mettre à l’actif de la Fédération française de Football Association, qu’il convient, une fois de plus, de féliciter ». Un match « émotionnant » pour l’édition de L’Auto du lendemain, qui raconte la victoire (2-1) du CA Paris face au Havre : « Dans la première mi-temps, les joueurs ne donnèrent pas à fond ; ils tardèrent à s’approprier un terrain sec et sablonneux et à la balle, rapide et aux bonds désordonnés ». Un champ de patates devenu aujourd’hui un jardin partagé et un petit vignoble, qui produit 170 kilos de miel et 65 litres de rosé par an. Juste à côté, la Villa Zilveli ayant appartenu à Jean-Paul Goude, détruite il y a deux ans. L’ancien vendeur de vinyles Vernon Subutex la squatte dans le bouquin de Despentes.
L’enceinte héberge pas que des rendez-vous sportifs. On peut y voir des spectacles de stars de l’époque, comme Charlie Chaplin ou la danseuse Mistinguett. Des galas qui permettent au stade de tenir financièrement, car ses travaux de consolidation ont coûté cher. Juste à côté, les attractions des Folles Buttes, sortes de Disneyland de l’époque, font elles le plein. Heureusement pour le stade Bergeyre, Paris est choisi pour accueillir les Jeux olympiques de 1924. Cet été là, six rencontres de la « fête universelle du football » sont disputées, les autres étant en grande parties accueillies par le stade Pershing dans le Bois de Vincennes. Le quart de finale entre la Suisse et l’Italie rassemble 12 000 personnes. 80 000 francs de recettes sont amassées dans ce qui était alors vécu comme une Coupe du monde. L’Uruguay, qui gagnera la compète et une des quatre étoiles de son maillot actuel, y aura joué son huitièmes de finale.
Il pleut, il pleut Bergeyre
Les JO 1924 signent en réalité le chant du cygne du stade. Les négociations pour vendre l’enceinte sont entamées par Gaston François-Sigrand. Coincé face à la concurrence de l’enceinte olympique de Colombes, du récent Stade de Paris, à Saint-Ouen, ou du Parc des Princes, Bergeyre n’accueille pas assez de monde pour couvrir ses frais. Un siècle avant des projets immobiliers d’ampleur dans le quartier, l’enceinte est vendue à deux entrepreneurs, qui, en pleine croissance démographique, flairent le bon filon de l’ancienne mine et décident de vendre 230 lots de logements, construits à la fin de la décennie.
L’Olympique de Paris est racheté par le Red Star en 1926. Le club de Saint-Ouen récupère ses couleurs vertes et blanches, en plus de son public. Plus aucun stade ne sera construit au cœur de la capitale. C’est la fin du football de haut niveau dans Paris intra-muros, qui peinera à voir un club de football professionnel s’implanter. « Les amateurs des arrondissements populaires du Nord de Paris et de la proche banlieue se trouvèrent alors réunis autour du Red Star », précise Nicolas Mellot dans son ouvrage dédié au Red Star. Le dernier match sur la butte a lieu le 23 mai 1926, dans un relatif anonymat : 4 000 personnes viennent voir un challenge anonyme de la Ville de Paris, remporté par Le Havre. Quinze petites lignes racontent l’événement dans le journal le lendemain. C’est calme, comme cet été sur la butte.
Par Ulysse Llamas, à Paris
Photos : Agence Rol (Bibliothèque nationale de France, Domaine public) et UL.