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Le spectre du hooliganisme hante-t-il vraiment ce Mondial russe ?
Les dramatiques incidents survenus jeudi soir avant le match de Ligue Europa entre l'Athletic Bilbao et le Spartak de Moscou, coûtant la vie à un policier, sonnent encore plus terriblement à quelques mois de la Coupe du monde en Russie. De fait, depuis l'Euro 2016 et le raid sur Marseille des hooligans russes, la question de la violence dans le pays accueillant la compétition phare de la FIFA est de plus en plus présente dans tous les esprits.
Jeudi soir, les alentours du stade San Mamés Barria ont été le théâtre d’affrontements spectaculaires entre, apparemment, une frange hooligan des supporters du Spartak, notamment la Gladiators Firm 96 déjà présente à Marseille en 2016, et de l’autre des jeunes Basques dont on peut encore aujourd’hui difficilement dresser le portrait ou les motivations (politiques ou footballistiques), et bien sûr la police, largement mobilisée (500 membres) pour ce match classé dès le départ à risques. Largement visibles sur tous les réseaux sociaux et sur les plateformes ou sites d’actualités, avec des effets pyrotechniques et beaucoup de fumis – le hooligan russe ne fuit pas les caméras et les smartphones, bien au contraire –, ces images vont contribuer à impressionner l’opinion publique, en attendant la réaction des autorités du football.
Cagoule et pyrotechnie
Le déroulé de la soirée reste très difficile à établir. « J’ai grandi comme fan du Spartak dans les années 1990, j’ai quelques bons réflexes, confie un supporter présent sur place sous couvert d’anonymat. Depuis quelque temps, la tendance chez les supporters russes à l’extérieur consiste à partir en cortège dans la ville. Je les ai vus défiler en chantant des Kalinka avec des drapeaux des groupes ultras comme Fratria et les Gladiators. La plupart était pacifique, d’autres clairement moins. Pour info, la majorité des Russes et des Basques buvait alors tranquillement ensemble des verres dans les bars. J’ai contourné par les petites rues autour pour éviter le cortège encadré par la police. Je suis alors tombé sur des bandes de jeunes gens cagoulés style « black blocks », certains avec des drapeaux basques, dont je ne peux dire ce qu’ils étaient, mais qui ne me faisaient pas penser à des supporters de Bilbao. Et qui tournaient autour du cortège en quête de confrontation. Ils ont afflué vers le cortège russe quand il est arrivé sur la place devant le stade. C’est là que tout a commencé, avec les jets de bouteilles, puis les violences. Pour moi, la responsabilité est partagée entre les petits cons à cagoules et les bourrins du cortège russe. Je suis rentré dans le stade où l’ambiance était plutôt bonne, je n’ai appris la mort du policer qu’en sortant, sur Twitter. J’ai encore observé quelques bagarres dans les rues adjacentes. Il faut aussi rappeler que la vente des billets pour les Russes a été stoppée depuis une semaine, cela n’a pas contribué à calmer les choses. »
Les liaisons dangereuses
Alors qu’aujourd’hui, au réveil, le Pays basque est en deuil, la question se pose de savoir si la Russie a les moyens et surtout la volonté de juguler son hooliganisme, qui défraie régulièrement la chronique. Malgré la multiplication des précédents, de nombreux analystes, y compris dans les couloirs de la FIFA, se rassurent en affirmant que le tsar Poutine, soucieux de l’image de son Empire, fera en sorte, par la grâce d’un autoritarisme typiquement slavo-byzantin qui fait merveille contre ses opposants, de canaliser ses vilains garnements, si nécessaire en brandissant la matraque et l’emprisonnement arbitraire. De fait, contrairement aux idées reçues, les hools de Moscou ou Saint-Pétersbourg ont renoncé depuis longtemps aux joutes à proximité des enceintes. Et, certes, si une forme accentuée de répression s’abat bel et bien sur eux à l’approche du Mondial, par exemple avec la multiplication des interdictions de stade, ils n’ont pas pour autant renoncé à leur cœur de métier. Les liaisons dangereuses évidentes entre politique et hooliganisme peuvent conduire à se méprendre sur la nature des relations de part et d’autre. Certes, le principal leader des hools russes qui ont déferlé sur la Canebière voici deux ans, Alexander Chpriguine, avait ses entrées au Kremlin et il avait même été introduit auprès des responsables locaux comme leur interlocuteur principal pour les supporters présents en France pendant l’Euro. Les hooligans du CSKA et Dinamo également sont souvent utilisés pour faire le nombre et la sécurité aux rassemblements de Russie unie, LDPR et même parfois du KPRF.
Une mauvaise Poutine
Jusqu’à être aux ordres ou contrôlables ? Les autorités russes continuent par ailleurs toujours leur stratégie de soutien de leurs « troupes » à l’extérieur, peut-être histoire de lâcher la bride hors de la mère patrie. Ainsi, la veille de ce match, un hooligan russe surnommé Pavel, que la France recherchait avec mandat d’arrêt international depuis 2016 pour « tentative de meurtre » d’un Britannique, a enfin été attrapé à l’aéroport de Munich, sur le chemin de Bilbao. L’ambassade russe à Berlin s’en est à peine indignée : « Nous protestons fermement contre la détention et la remise à un pays tiers d’un citoyen russe qui n’a commis aucun crime sur le territoire allemand. » Pour rafraîchir la mémoire, Vladimir Poutine lui-même avait lâché après les incidents de Marseille : « Je ne comprends pas comment 200 de nos supporters ont pu passer à tabac plusieurs milliers d’Anglais. » L’absence de collaboration des autorités russes ou des spoteurs russes envoyés dans l’Hexagone – censés aider et assister leur collègues tricolores – avait agacé au plus haut point, jusqu’au Premier ministre de l’époque, Manuel Valls, qui s’était étalé dans la presse à ce sujet.
Pour en revenir à l’essentiel, la scène du supporterisme russe se révèle surtout loin d’être homogène, y compris sur ce fameux terrain partisan. Pour reprendre l’épisode de Bilbao, le Spartak a plutôt l’image d’un club proche de l’opposition – ce qui, dans la Russie de Poutine, n’est pas anodin. Et si les pro-régime existent bien dans les tribunes, les supporters du Spartak sont aussi clairement visibles dans les défilés de Navalny. De nombreuses figures de l’opposition affichent en retour leur penchant pour le club, tels qu’Ilya Yachine ou Evgeni Kalachnikov. Que fera tout ce petit monde en juillet prochain ? La Coupe du monde en Russie ne sera de toute manière pas l’idylle espérée par Poutine et la FIFA. En attendant, le choc Lyon-CSKA en huitièmes de finale de Ligue Europa promet quelques nuits d’insomnie à la DNLH et la préfecture du Rhône.
Par Nicolas Kssis-Martov