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Le Sommer et des vertiges
Deux mois après la Coupe du monde, les Bleues se retrouvent pour un match amical où elle pourront mesurer ce qui a changé depuis cet été. Mais ce sont surtout les critiques de Corinne Diacre envers Eugénie Le Sommer qui ont prouvé que la France pouvait avoir des débats sur sa sélection féminine, les choix tactiques et les choix de femmes. Et si elle était là, la vraie nouveauté ?
Après avoir goûté à quelques-unes des plus belles enceintes du pays, les Bleues retrouvent les stades modestes auxquels elles ont longtemps été habituées, bien que les 9500 places de Gabriel-Montpied aient vite trouvé preneurs. Il sera difficile pour M6 de faire mieux que le record d’audimat réalisé il y a moins de deux mois pour le quart de finale de Coupe du monde face aux États-Unis (les 9,9 millions de spectateurs présents devant TF1 devant leur poste restent le meilleur score de l’année selon Médiamétrie). À titre personnel, Corinne Diacre revient dans un coin qu’elle connaît bien, pour avoir officié durant trois saisons à la tête du Clermont Foot. Certains signes ne trompent pas : ce match amical contre l’Espagne sonne comme un retour à la normale. De là à dire que ce Mondial à domicile est un coup pour rien pour le foot féminin en France ? Certainement pas, et il faudra prolonger l’étude sur les mois et les années à venir pour tirer un bilan définitif.
Des frappes et un cadre
Surtout que d’autres éléments peuvent eux indiquer que les lignes ont quand même bougé. Est-ce qu’un « Le Sommer Gate » aurait fait autant causer sans l’exposition des derniers mois ? Rappel pour les retardataires : le 7 juillet, le rideau de la finale n’était même pas encore tombé sur la Coupe du monde, que Corinne Diacre sortait déjà la broyeuse. Dans un entretien accordé à Téléfoot, la sélectionneuse lançait un procès à son fer de lance en attaque, Eugénie Le Sommer. « Même moi, je lui ai dit : pourquoi tu restes à gauche, s’interrogeait-elle. L’idée et notre projet de jeu, ce n’était pas ça. Sauf que c’est ce qu’elle a fait. Pour quelle raison ? Je pense qu’on en discutera plus tard. » Ou comment cibler une méforme individuelle pour expliquer une défaillance collective, qu’importe le statut de sa cible : une internationale qui pèse 76 buts en 164 capes. Celle-ci n’était certes pas à 100%, poussant dans le même temps la boss des Bleues à inviter « tout le monde » , mais surtout le staff lyonnais, « à se poser les bonnes questions » sur la gestion des organismes.
Le « plus tard » suggéré par Corinne Diacre, c’est aujourd’hui, puisque la Lyonnaise fait partie du groupe des 23 joueuses sélectionnées pour assurer le service après-vente. Mais entre-temps, ces déclarations ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd, et les avocats de l’attaquante n’ont pas attendu la fin de l’été pour répliquer. C’est d’abord Jean-Michel Aulas, en bon père de famille, qui lui est venu en aide. « Je trouve que Corinne Diacre est sortie du cadre institutionnel et professionnel, déplorait dans L’Équipe celui qui porte la double casquette de président lyonnais et de vice-président de la FFF. Vous vous rendez compte, si des gens de l’OL avaient dit publiquement ce qu’ils savent de ce qu’il s’est passé durant cette préparation en équipe de France ? C’est inconcevable, et nous nous garderons bien de le faire ! » Pour un homme aussi rodé au jeu médiatique et adepte des piques calculées, cette sortie est tout simplement une folie qu’il n’aurait jamais tolérée dans son propre club.
Les dangers d’un monde changé
Preuve supplémentaire de l’écho (inédit) des propos de la sélectionneuse, des banderoles étaient déployées samedi dernier autour du Groupama Training Center, lors du match Lyon-Marseille pour la reprise de la Division 1. Ici, pas de provocations pour la Ligue de football, mais une marque de soutien à une légende du club : « On ne touche pas à Eugénie » . La principale concernée a quant à elle laissé le temps faire son œuvre pour ne revenir sur l’épisode que mardi dernier. Dans les colonnes de L’Équipe, la Bretonne a d’abord cherché à ne pas souffler sur les braises : « La coach a dit ce qu’elle avait à dire. Elle a dit que ses propos ont été mal interprétés, mais c’est comme ça. Je n’ai plus trop envie de revenir sur ça, je veux avancer. » Mais ELS semblait finalement encore plongée dans l’incompréhension. « J’étais déjà assez déçue de la Coupe du monde. Une semaine après, voir mon nom sortir comme ça dans la presse, je n’ai pas trop compris, confessait-elle. C’est plus les matchs et les adversaires qui ont fait qu’on n’a pas pu mettre notre jeu en place. Ce n’était pas par rapport aux consignes. » Fin du débat ?
Ce « clash » est finalement symptomatique des difficultés que pourraient rencontrer le football féminin à l’avenir. Se retrouver aussi brutalement sous les feux des projecteurs n’est pas sans conséquences et celles-ci peuvent se payer cher si on n’y est pas suffisamment préparé. Cette histoire entre Diacre et Le Sommer n’a rien de dramatique, mais illustre que les protagonistes n’ont pas encore saisi la portée de leurs propos. Dans le football masculin, de telles déclarations auraient pu être entendues, mais elles auraient eu aussi des répercussions bien plus larges. Ce n’est pas pour rien si la communication y est de plus en plus aseptisée. Alors oui, les eaux étaient certainement plus calmes quand le foot féminin évoluait il y a dix ans dans son petit bocal. Désormais, les filles peuvent profiter d’une mer plus digne de leur progression, mais ce nouvel environnement n’en est pas moins garni en pièges divers. Dommage que la patronne des Bleues ne s’en soit pas aperçu plus tôt.
Par Mathieu Rollinger