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Le soldat Ryan

Par Maxime Brigand et Romain Duchâteau, déprimés
Le soldat Ryan

Cette fois, c'est bien terminé. Après 29 ans au cœur de l'institution Manchester United, Ryan Giggs a décidé de quitter son club de toujours suite à l'arrivée de José Mourinho et de son adjoint de toujours, Rui Faria. De quoi déchirer définitivement ce qui restait encore du Manchester United que tout le monde aimait.

C’était sa dernière volonté. Sa tête pendouillait, il se savait condamné, alors il voulait poser une dernière pierre. Pendant les dernières semaines de son mandat, Louis van Gaal s’était alors donné une dernière mission : faire de son adjoint son successeur. Il expliquait à l’envi que les rumeurs envoyant José Mourinho à Manchester United étaient « ridicules » . Il ne voulait pas voir s’écrouler sa seule réussite et son pari sur la jeunesse. En lançant devant les juges de nombreux gamins, le Pélican envoyait un signe clair à ses dirigeants : Manchester United est la jeunesse et ne peut se renouveler que par elle. L’histoire l’a prouvé. Alors, plusieurs fois, Louis van Gaal a laissé Ryan Giggs prendre le pouls des responsabilités, parfois en costume tiré, souvent en survêtement. C’était une façon de se dédouaner ou de laisser le dernier fil qui connectait l’institution Manchester United à ses racines sauver sa peau. Old Trafford ne peut être la scène d’une révolution. Longtemps, on y a cru. Longtemps, on s’est repassé les images du Ryan Giggs entraîneur intérimaire en mai 2014 ou du 19 décembre dernier, lorsque la légende était descendue prendre la foudre du Théâtre des rêves lors d’une défaite humiliante face à Norwich (1-2).

Et puis, on s’est résolu et on a compris : le Manchester United qu’on a aimé n’est plus le Manchester United d’aujourd’hui. Il se veut désormais plus clinquant, désordonné et ne veut plus entendre parler de ce qui a fait sa brillante histoire. Alors, José Mourinho est arrivé, a récupéré « un poste dont il a toujours rêvé » et a décidé d’emmener avec lui son adjoint de toujours, Rui Faria. Le Portugais a bien proposé un poste à Giggs dans la formation, mais Ryan n’en veut plus. En réalité, il en veut plus. Alors l’histoire s’est arrêtée comme ça, brusquement, sur une simple lettre ouverte : « Après 29 saisons à Manchester United comme joueur et dirigeant, je sais que gagner est dans l’ADN du club, tout comme donner leur chance aux jeunes et jouer un football offensif et excitant. C’est bon d’avoir des objectifs élevés et de ne viser rien d’autre que la victoire. Manchester ne vise et ne mérite rien d’autre que ça. C’est pourquoi c’est une énorme décision pour moi de m’éloigner de ce club qui a été ma vie depuis l’âge de 14 ans. Ce n’est pas quelque chose que j’ai décidé à la légère. J’emporte avec moi tellement de souvenirs. C’est l’expérience d’une vie qui, j’espère, me servira dans le futur. Je sens que le moment est venu. » Et le monument s’est soudain définitivement effrité.

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« Ryan Giggs, Running Down The Wing, Feared By The Blues, Loved By The Reds »

Il y a d’abord les chiffres. Tous plus renversants les uns que les autres. 963 apparitions sous le maillot des Red Devils (joueur le plus capé au club), 163 passes décisives délivrées (record en Premier League), trente-cinq trophées remportés (joueur le plus titré de l’histoire du football britannique), seul joueur à avoir marqué lors de vingt et une saisons consécutives et celui ayant disputé le plus de matchs avec le même club sur la scène européenne. Ryan Giggs n’a pas seulement été un joueur de Manchester United. Il a de loin dépassé ce simple statut. Durant près de trois décennies, le Gallois s’est érigé comme un marqueur d’époque intemporel. Comme le garant de la culture d’un club. Comme une idole à l’aura inaltérable malgré le temps qui court. « C’était mon héros de jeunesse, souffle David Bellion, son partenaire durant deux années à Old Trafford. Il est à 80% la raison pour laquelle je voulais venir à Manchester United, c’était pour jouer avec Ryan Giggs. Je ne sais pas pourquoi j’aimais ce joueur, c’était vraiment particulier. »

Les contours d’une romance passionnée qui ont été tracés dès le début des 90’s. L’enfant de Canton n’a que quatorze piges quand Alex Ferguson le fait signer en personne pour son premier contrat. Trois ans plus tard, en mars 1991, le Royaume découvre les premières enjambées du gaucher au torse velu, physique fin, mais déjà insaisissable. C’est, aussi et surtout, le chef de file d’une génération dorée (Scholes, Beckham, Butt, les frères Neville) – rebaptisée Class of 92 – qui écrira sans doute les plus belles pages de l’ère moderne de United. « Ryan Giggs est le joueur de cette génération qui a fait le plus de bruit, appuie Fergie dans son autobiographie. Il était celui qui avait le plus de chances d’être identifié comme enfant prodige. »

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La première fois que je l’ai vu jouer, je me suis dit : « Mon Dieu, qu’est-ce que je vais devenir ? Si c’est la norme qu’on doit atteindre, c’est fini. » Il était incroyable.

« La première fois que je l’ai vu jouer, je me suis dit : « Mon Dieu, qu’est-ce que je vais devenir ? Si c’est la norme qu’on doit atteindre, c’est fini. »Il était incroyable » , se remémorait son camarade de promotion Gary Neville dans le documentaire Class of 92. Ce sentiment empreint d’admiration, beaucoup l’ont éprouvé devant les immuables courses et chevauchées de celui qui a acquis le rang d’immortel à Manchester. L’éternité, le Britannique l’a sans doute offerte un soir de 14 avril 1999, à l’occasion d’un replay de demi-finale de FA Cup contre Arsenal, grâce à un but ancré dans toutes les mémoires. Phil Neville, coéquipier réduit ce soir-là au rang de spectateur privilégié, s’en souvient comme si c’était hier : « Je me souviens que tout est parti de Giggsy. Quand je cours, on voit que je pique un sprint. Tout est en mouvement. Avec lui, c’est presque un ralenti. Il glisse en haut de la surface, son pied ne touche pas le sol. Je suis resté derrière lui et je criais : « Giggsy, Giggsy, j’arrive », pensant que j’allais le dépasser. Et il s’est éloigné, toujours un peu plus. Je suis resté figé, c’était comme un ralenti. Il faisait des manœuvres sans même toucher le ballon. »

Des moments de grâce tel que celui-ci, il y en a à foison. Et le public mancunien n’a eu de cesse d’entonner à sa gloire et lui a sans doute dédié ses plus beaux vers : « Ryan Giggs, Running Down The Wing, Feared By The Blues, Loved By The Reds » .

Le yoga et la routine de sa préparation sont à l’origine de sa longévité.

Un chant qui a traversé les époques parce que tant qu’il le pouvait, le Red Devil a repoussé son crépuscule jusqu’à ses quarante ans. En préservant son corps grâce au yoga, aux bains glacés ou encore à l’acupuncture. « Pour rester en équipe première pendant deux décennies, Ryan a dû développer un programme de fitness méticuleux, raconte encore Alex Ferguson. Le yoga et la routine de sa préparation sont à l’origine de sa longévité. » Ryan Giggs a duré, car il a toujours regardé vers l’avant. Plus loin que les autres.

Les racines coupées

Plus loin que les autres, mais surtout pas plus haut. C’était le combat de Sir Alex Ferguson. Il a duré vingt-sept ans. Vingt-sept longues années pour exiger qu’aucun individu ne dépasse de l’institution. Dans sa carrière, l’entraîneur écossais n’aura plié qu’une fois devant Wayne Rooney. Sauf que ça, c’était hier, avant que Manchester United ne se transforme en Disneyland comme l’arrivée dernière de Zlatan Ibrahimović l’a encore prouvé. Hier, jamais le club n’aurait communiqué sur les performances d’un joueur lors de sa visite médicale. C’est aussi ce qui change avec le départ de Ryan Giggs.

Manchester United n’est définitivement plus Manchester United, et la seule trace qui reste du passage de Sir Alex Ferguson est la présence de Nicky Butt à la tête de l’académie. Le club s’est toujours reconstruit à travers ses racines comme l’avait fait en son temps Sir Matt Busby pour des raisons dramatiques. Cette fois, cela passera par une révolution et sans les fondations. Ferguson avait souvent expliqué qu’on ne change pas United, mais qu’on s’y adapte. José Mourinho a choisi son camp, et Old Trafford est devenu ni plus ni moins qu’un opéra à ciel ouvert, là où il était hier un temple de traditions.

Peut-être plus en accord avec ce qu’est devenue l’institution mancunienne, Giggsy a donc fait le choix de quitter son Théâtre des Rêves. Pour voler de ses propres ailes. Pour, aussi, embrasser définitivement la nouvelle vie qui s’ouvre à lui.

Même si ce n’est pas dans mes plans immédiats de devenir entraîneur, je sais que c’est vers là que je vais aller.

À l’instar de nombreux fils spirituels de Fergie (Steve Bruce, Mark Hughes, Paul Ince, Roy Keane, Bryan Robson, Ole Gunnar Solskjær, Gary Neville) qui ont rencontré des fortunes diverses, le Gallois entend amorcer une carrière d’entraîneur après avoir été l’adjoint de son mentor écossais et de Louis van Gaal, deux des managers les plus émérites de leur temps. « Je sens que le moment est venu, justifie-t-il ainsi dans sa lettre en guise d’adieu. Même si ce n’est pas dans mes plans immédiats de devenir entraîneur, je sais que c’est vers là que je vais aller.(…)Il est temps d’ouvrir un nouveau chapitre et d’entamer un nouveau défi. Je suis excité par le futur. J’ai eu le meilleur apprentissage de coach, personne ne peut demander mieux. »

C’est très difficile de dire au revoir après vingt-neuf ans. J’y ai aimé chaque minute, comme joueur et comme dirigeant.

Alex Ferguson, lui, ne doute en tout cas aucunement des aptitudes de son ancien joueur à devenir un coach compétent à l’avenir. « Ryan pourrait assurément être manager, martelait-il en 2013. Il possède de la sagesse, et les joueurs le respectent. Son calme relatif ne serait pas un obstacle. » En attendant d’étrenner définitivement son nouveau costume, il laisse un United orphelin et déjà rattrapé par la nostalgie : « C’est très difficile de dire au revoir après vingt-neuf ans. J’y ai aimé chaque minute, comme joueur et comme dirigeant. Le soutien que vous m’avez toujours donné est phénoménal, merci pour tout ça. » Derrière l’émotion, il y aussi cette promesse à peine voilée. Que cet « au revoir » ne soit pas un adieu.

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