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Le schmilblick Dmytro Chygrynskiy
Seul Ukrainien à avoir jamais porté le maillot du FC Barcelone, Dmytro Chygrynskiy est surtout synonyme de « gros raté » en catalan. Un passage à vide chez les Blaugrana après un début de carrière tonitruant, dont le défenseur semble ne s'être jamais vraiment remis.
31 août 2009 au Camp Nou. Devant un parterre clairsemé de journalistes et de supporters, un grand gaillard aux cheveux longs tapent quelques jongles, puis pose devant les photographes. Il porte le numéro 21, au-dessus duquel s’affiche un patronyme avec beaucoup trop de « y » . Chygrynskiy ? C’est quy, luy ? Un défenseur en provenance du Shakhtar Donetsk, dernière recrue estivale de Pep Guardiola et accessoirement le premier Ukrainien à jouer pour les Blaugrana. Une signature qui, même si elle fut menée dans les dernières heures du mercato, ne ressemble en rien à un choix précipité ou par défaut. En 2009, le système Guardiola au Barça vient d’atteindre son paroxysme : victoire en Ligue des champions face à Manchester United, une Liga remportée avec neuf points d’avance sur le Real Madrid et une Coupe du Roi où les Barcelonais ont atomisé l’Athletic Bilbao 4-1. Mais son arrière-garde avance dans l’âge avec un Carles Puyol qui vient de fêter ses 31 ans et un Rafa Márquez fraîchement trentenaire. Si Guardiola a bien débuté la rénovation de sa défense en rapatriant l’année précédente Gerard Piqué, il poursuit donc en recrutant Dmytro Chygrynskiy pour la somme faramineuse de 25 millions d’euros. Un joueur altier malgré un gabarit de déménageur (1,90m pour 85kg), qui porte la chaussette aux chevilles, bon dans la relance et capable de se projeter en avant. Surtout, à 22 ans seulement, le défenseur central ukrainien est considéré comme l’un des plus grands espoirs européens à son poste.
Capitaine à 20 ans, champion d’Europe à 22
C’est que trois ans plus tôt, Chygrynskiy épate déjà la galerie. Pas forcément au Shakhtar Donetsk où il se fait les dents dans l’effectif pro depuis ses 17 ans. Non, le terrain de jeu préféré du défenseur qui vient tout juste d’être diplômé en arts anciens, c’est la sélection nationale. Avec les U21 ukrainiens, il atteint la finale de l’Euro au Portugal et finit dans l’équipe type du tournoi. En conséquence, Oleg Blokhine lui offre une place dans le groupe ukrainien qui finira quart-de-finaliste au Mondial allemand. Proposition qu’il ne peut honorer en raison d’une blessure contractée à l’Euro. Dès la saison 2006-2007, Chygrynskiy devient un pilier de l’équipe entraînée par Mircea Lucescu, au point que ce dernier lui confiera le brassard de capitaine en finale de Coupe d’Ukraine face au Dynamo Kiev, en l’absence de Matuzalem.
L’année suivante, Donetsk remporte le championnat et la Coupe d’Ukraine. Direction la Ligue des champions où les hommes de Lucescu se retrouvent dans la même poule que… le FC Barcelone. Ils parviennent à gratter la troisième place, tapant au passage les Blaugrana chez eux en dernier match de poule. Malgré le score (3-2), la défense du Shakhtar aura été exemplaire, repoussant à moult reprises les assauts barcelonais. Reversés en Ligue Europa, les Ukrainiens vont marcher sur la compétition, écrasant notamment Marseille et Tottenham. Après une demi-finale remportée face à l’ennemi séculaire Dynamo Kiev, le Shakhtar dispose du Werder Brême 2-1. L’Europe découvre alors une irrésistible équipe mi-Brésil mi-Europe de l’Est qui joue vite et très offensif. C’est l’avènement de Darijo Srna, de Willian, de Razvan Rat, de Fernandinho, de Luiz Adriano, d’Andriy Pyatov… et donc de Dmytro Chygrynskiy.
D’espoir barcelonais à monnaie d’échange pour Fàbregas
C’est donc auréolé d’un statut de leader d’une défense championne d’Europe que Chygrynskiy débarque à Barcelone. La presse et l’opinion publique voient en lui le possible successeur de l’inamovible Carles Puyol. L’émission satirique catalane Crackovia en fait même un personnage de ses sketchs. Sauf qu’entre le talent et les cheveux du défenseur catalan, Dmytro a choisi les cheveux. En compagnie d’Ibrahimović, il devient vite le symbole de ce Barça qui tente de se sortir de son systématisme idéal, mais qui fatalement, marche moins bien. Lent, emprunté, hasardeux dans son placement, Chygrynskiy met en avant de nombreuses lacunes, notamment lors de la défaite en Coupe du Roi face au FC Séville où il permet à Diego Capel d’obtenir un penalty facile.
Même si Guardiola dit garder toute confiance en son défenseur, les 25 millions déboursés pour le bonhomme ont du mal à passer. D’autant qu’en coulisses, une guerre de pouvoir se trame. Le mandat de Joan Laporta, qui prend fin à l’été 2010, est vertement critiqué par les membres du club. En 2008, un vote de défiance organisé par Oriol Giralt avait obtenu 60% de voix contre le président blaugrana. Il se murmure que ce vote aurait été orchestré par Sandro Rosell, ennemi de Laporta, ancien président du club et candidat à sa reprise. Dans ce contexte, le jeune joueur payé une fortune et qui n’offre aucune garantie sportive est du pain béni pour les détracteurs de Laporta. Une fois en place, le nouveau board culé dirigé par Rosell tente de se débarrasser du poids mort Chygrynskiy en l’incluant comme monnaie d’échange dans le transfert de Fàbregas depuis Arsenal. Raté. Après quatorze matchs joués, l’Ukrainien retourne finalement au Shakhtar pour 15 millions d’euros.
Grand corps malade
Si l’enfant prodigue revient au bercail, il semble avoir perdu quelque chose en route. Son assurance sur le terrain a disparu, sa relance est moins précise. Tel un symbole, ce passionné d’Arthur Conan Doyle devient un mystère impossible à élucider pour le football européen. En outre, l’ex-Barcelonais doit faire face à l’émergence de Yaroslav Rakitskiy. Monté en équipe première pour remplacer Chygrynskiy lors de la saison 2009-10, le défenseur de 22 ans s’est entre-temps imposé au sein du Shakhtar et de la sélection ukrainienne. Surtout, le corps de Chygrynskiy est fragile. Malgré 21 matchs joués sur la saison 2010-11, le défenseur central sera absent trois mois et demi au total, notamment en raison d’une torsion des ligaments de la cheville qui lui fera rater la fin du championnat dès la mi-mars. Lors de la saison 2013-14, il passera cinq mois à l’infirmerie entre mars et août, ratant de fait la préparation pour la nouvelle saison.
Men sana in corpore sano, c’est loin d’être le motto de Dmytro. Fatalement, Chygrynskiy disparaît des radars au fil des saisons. D’abord en sélection, plus appelé depuis 2011 et un match amical face à l’Estonie. En club, ensuite. Neuf matchs en 2011-12, onze en 2012-13, quatre en 2013-2014 et un lors de la saison 2014-2015 qui le pousseront à mettre un terme à son contrat avec le Shakhtar Donetsk le 2 février dernier après y avoir passé onze ans de sa vie professionnelle. À l’amiable, toutefois. Sans rancune. Après avoir été pisté par l’Inter de Mancini, le colosse aux pieds d’argile s’est finalement engagé librement avec le Dnipro Dnipropetrovsk, troisième de Premier-liha à un point du… Shakhtar Donetsk. En mars, Dmytro Chygrynskiy a enchaîné deux matchs d’affilée avec son nouveau club, chose qui n’était plus arrivée pour lui depuis novembre 2012. Un début de renaissance ? Possible. Surtout si l’on se rappelle que le défenseur ukrainien n’a que 28 ans.
Par Matthieu Rostac