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Le SC Toulon et le FN : le maire est en voyage d’affaire…
Le FN va donc rafler quelques villes lors de ces municipales. Déjà, les premiers remous se font sentir dans le petit monde sportif. Comment le football peut-il réagir face à un parti dont on ignore globalement les positions en la matière, si ce n’est qu'il ne porte traditionnellement pas le ballon rond dans son cœur ? Étude d'un précédent : la « jurisprudence » Toulon.
Le président du RC Toulon, Mourad Boudjellal, a pris la décision d’annuler le match amical prévu en juillet sur le terrain de l’AS Béziers (Pro D2), en cas de victoire du parti de Marine Le Pen. Au-delà de son indéniable goût pour le boucan médiatique, au moins peut-il parler d’expérience. Toulon fut effectivement de 1995 à 2001 la seule grande ville dirigée par le Front. Avec un bilan assez catastrophique. Mais quelles en furent les conséquences pour le foot et surtout pour son club emblématique, le Sporting, alors qu’à Hénin-Beaumont, l’équipe féminine en D1 va bientôt elle aussi devoir apprendre à vivre et composer avec les nouveaux arrivants à l’hôtel de Ville ?
« En déplacement, on nous traitait de fachos »
Ce fut avant tout l’un des chocs des élections municipales de 1995. La préfecture du Var, avec son arsenal et même son passé ouvrier (cf. Le Var rouge de Jacques Girault, Publication de la Sorbonne), bascule, à la suite d’une triangulaire, entre les mains de Jean-Marie Le Chevallier, candidat de la flamme tricolore. Cet événement se produit juste avant que le Sporting, qui avait connu son heure de gloire en D1 avec David Ginola et Antoine Kombouaré à la fin des années 80, retrouve enfin la Deuxième division. Une bouffée d’air sportive inespérée, placée d’un coup sous un signe particulier. Le club aspirait pourtant au calme et surtout à l’indifférence, après le purgatoire d’une rétrogradation et les remous d’une affaire de caisse noire impliquant Rolland Courbis ainsi que le président de l’époque, Alain Asse. Qui oserait contester que le contexte local, notamment le poids de la pègre, pèse beaucoup sur la vie du Port et que le club baigne dedans, ne serait-ce que par les connexions personnelles ? Le neveu de Francis Le Belge, François Vanverberghe, rejoindra ainsi en 97/98 l’effectif du Sporting. Il sera assassiné en 2002 à la kalachnikov sur un parking de Vitrolles. La venue du FN rajoute juste une nouvelle touche un peu sombre à cette spécificité varoise.
Franck Zingaro est alors le gardien de but titulaire. Il en garde un souvenir mitigé : « Je me rappelle qu’après l’élection, nous avions réalisé la traditionnelle photo, je veux dire toute l’équipe, avec le nouveau maire, mais c’est resté très distant, très formel, du genre « Bonne saison messieurs. » Rien d’aussi proche qu’avec Hubert Falco ensuite. Nous, en tant que footballeurs, nous regardions tout cela de loin. Nous étions là pour jouer et nous étions principalement préoccupés par l’état du club. Bien sûr, il s’est produit quelques discussions entre nous mais sans plus. Je me souviens en fait surtout des remarques de certains supporters quand nous étions en déplacement, qui nous traitaient de fachos par exemple… »
« L’arrivée de la mairie du FN a forcément pesé sur nous » , se rappelle au contraire Manu, ancien Capo des Irréductibles (http://irreductibles1993.free.fr/), principal groupe ultra toulonnais. On savait forcément que des gens au stade et même dans le groupe avaient voté pour eux. Or, la tifoserie à Toulon a toujours été marquée par l’antiracisme. À titre d’illustration, nous sommes nés de la fusion de trois groupes dont les rastas du bronx. Tu trouvais des drapeaux jamaïcains dans les tribunes, et même de Che Guevara. On a eu des discussion entre nous, cela a eu au moins ce mérite-là. Une fois, nous avons vu débarquer un gars avec un drapeau du club et une croix celtique. On les a gentiment éconduits, lui et ses potes… »
Serge Catalano et « caisses de cantine »
De fait, le FN ne semble pas se préoccuper plus que cela du sujet. En cela, il va s’inscrire dans la grande tradition municipale. « De toute façon, poursuit Manu, quels que soient les maires, ils ne savent pas trop quoi faire du Sporting. Il fait partie du patrimoine de la ville et c’est tout. C’est une sorte de bâton merdeux qu’ils se refilent. Au moment de l’arrivée du FN, le club chutait sportivement et le stade était vide. On ne peut pas parler franchement de collusion, sauf dans le cas de l’affaire des caisses de cantine. » De fait toujours, le SCT continue de traîner une image sulfureuse, qui lui colle à la peau. Sa situation attire régulièrement l’attention de la DNCG et provoque même des grèves de joueurs. En 1998, l’équipe se retrouve en CFA 2 puis, l’année suivante, en Division d’honneur. Il faudra attendre 2005 pour qu’elle se hisse de nouveau en National. La gestion est pour le moins problématique et en 1998, les diverses collectivités intéressées dans le club refusent de régler une nouvelle fois l’ardoise. Le Sporting est conduit à la liquidation judiciaire. Du côté de la mairie, le FN tente de s’implanter pour durer et a choisi de laminer le terreau associatif afin de récupérer la jeunesse dans le filet de ses « structures » . Cette démarche causera en partie sa perte. Jean-Marie Le Chevallier est condamné à un an de prison avec sursis, pour détournement de fonds publics et complicité d’abus de confiance, dans l’affaire de la « Jeunesse toulonnaise » , asso para-municipale (sans oublier la mort de Poulet-Dachary ; et les soupçons de subornation de témoin).
Bref, si les années FN marquèrent l’histoire du Sporting, ce fut d’abord sous le signe des affaires. « Je me souviens qu’un gros sponsor devait venir, La Société générale de restauration (SGR), et qu’on n’a finalement jamais vu » , se rappelle l’ancien portier des Azurs et Or. Cette petite péripétie, à l’échelle locale, va impliquer Jean-Pierre Gendron, un ex-gendre de Jean-Marie Le Pen, Jean-Marie Le Chevallier, qui sera acquitté et plus lointainement, en face, Robert Gaïa, député socialiste. Des élus frontistes auraient ainsi reçu des pots-de-vin pour accorder le marché de la restauration scolaire de la ville à la Société générale de restauration. Entre ces échanges de bons procédés, Serge Catalano, ex-président du SCT de 95 à 97 et intermédiaire pour le compte de cette fameuse SGR. Cette dernière devait donc aussi apporter sa contribution au redressement des finances fragiles du club. Cette aide camouflée ne se concrétisera jamais. Jean-Marie Le Chevallier quittera le FN en 1999 et partira – après qu’Hubert Falco a récupéré la ville en 2001 – refaire sa vie au Maroc. Comme quoi, l’émigration…
Le Sporting Club de Toulon évolue aujourd’hui en DH. S’il est possible de tirer une morale sur les liens alors établis entre le FN et le foot, notons simplement que la « normalisation » et la « dédiabolisation » peuvent aussi comporter quelques inconvénients politiques et judiciaires.
Par Nicolas Kssis-Martov