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Au SC Aleviten Paderborn, venez comme vous êtes

Par Clément Gavard, à Paderborn
8 minutes

Non loin du camp de base des Bleus, le SC Paderborn Aleviten est un club amateur qui ne dit rien à personne. Il a pourtant beaucoup de sens : depuis 2012, sa date de création par Verani Kartum, il a accueilli des centaines de réfugiés, avec l’idée de faciliter leur intégration. L’AfD, le parti d’extrême droite allemand, a demandé plusieurs fois sa fermeture, sans succès. Reportage au sein de cette grande famille.

Au SC Aleviten Paderborn, venez comme vous êtes

Le Hermann-Löns-Stadion ressemble à un stade champêtre comme tous les autres, à ceci près : Demba Ba, Luiz Gustavo, Oliver Kahn et d’autres footballeurs professionnels ont foulé ce pré survolé par une ligne à haute tension et situé à une vingtaine de minutes du lac Lippe, au nord de la ville. L’enceinte était celle du SC Paderborn 07 de 1957 à 2008, avant le déménagement du club habitué à la deuxième division allemande à la Home Deluxe Arena. Ce jeudi soir de juin, à la veille du début de l’Euro au pays, les stars du ballon rond n’apparaissent que sur des photos dans le local faisant face au terrain, où une vingtaine de joueurs du SC Aleviten Paderborn, un club de district, dispute un match d’entraînement. Verani Kartum, 54 ans, vient d’arriver à bord de l’un de ses vans. Il est le président du club résidant aujourd’hui dans ce stadion, il l’a même créé en 2012, avec une idée en tête : accueillir tout le monde, sans exception. « J’ai lancé le Paderborn Aleviten pour des raisons sociales, pour les enfants qui n’avaient pas d’argent, pour les réfugiés, explique l’homme arrivé en Allemagne depuis la Turquie à l’âge de 7 ans et qui a connu les moqueries réservées aux étrangers. Ici, le foot est le sport numéro un. Ces gens n’avaient aucun moyen d’être en contact avec les autres. En jouant au foot, tu es obligé de parler avec les autres, d’être avec eux. »

Le collectif des réfugiés

Avant d’aller voir ce melting-pot de plus près, Verani, toujours très enthousiaste et dont le rire est communicatif, fait la visite des lieux. Dans le petit foyer, on trouve un bar, des coupures de presse, une photo du président avec Lothar Matthäus, et surtout une forêt de drapeaux du monde entier. « On a eu 40 nationalités différentes passées par ici : Somalie, Égypte, Maroc, Guinée, Irak, Turquie, Ukraine, énumère Verani Kartum, pull vert sur les épaules, la couleur du club. Il n’y a pas de racisme ici, tout le monde est égal. Les différentes religions peuvent cohabiter sans problème. Seul le respect est important. » Le drapeau arc-en-ciel LGBT apparaît également au niveau du bar, et ça « ne pose aucun souci ». Tous les sujets sont abordés, il n’y a pas de place pour l’intolérance. Ce sont surtout des réfugiés qui composent en grande majorité le SC Aleviten Paderborn : ils sont actuellement 200, mais ils étaient 800 avant le Covid, une période durant laquelle Verani n’avait « pas assez d’argent pour financer le projet ». Depuis une décennie, il compte environ 2000 personnes réfugiées passées par le club.

Le bar du local du SC Paderborn Aleviten.
Le bar du local du SC Paderborn Aleviten.

Le patron des lieux n’attend pas les bras croisés que les étrangers en difficulté viennent à lui. Il raconte avoir multiplié les allers-retours avec ses trois vans pour « recruter », notamment aux alentours de 2015 lorsque près de 900 000 personnes sont arrivées en Allemagne. Verani n’est pas à la recherche du nouveau Thomas Müller ou du futur Jamal Musiala, il souhaite seulement favoriser l’intégration de ces étrangers débarqués sans rien. Ils sont nombreux à vivre dans un camp de réfugiés établi à environ deux kilomètres du stade. Comme Mohamed, la vingtaine, qui est arrivé au pays de la Mannschaft en janvier, après avoir fui la Guinée. « Des personnes du camp m’ont vu jouer au ballon et ils m’ont directement proposé de venir à Aleviten Paderborn, développe-t-il en français et légèrement essoufflé. C’est un peu comme une grande famille, personne n’est mauvais ici. »

Quand ils arrivent, ils sont assez tourmentés, ils ne sont pas bien psychologiquement. Ils sont fermés, un peu fâchés et perturbés par ce qu’ils ont vécu.

Verani Kartum

La majorité a émigré pour échapper à la guerre, et le sujet semble encore difficile à aborder pour certains d’entre eux. « On pourra peut-être en parler plus tard », glisse timidement l’un des joueurs vêtu du maillot vert et blanc. On n’y reviendra finalement pas. « Quand ils arrivent, ils sont assez tourmentés, ils ne sont pas bien psychologiquement. Ils sont fermés, un peu fâchés et perturbés par ce qu’ils ont vécu, enchaîne Verani Kartum. Le foot, ça permet de se sentir bien et de se vider la tête. En voyant l’ambiance entre les joueurs, ils finissent par se dire : “Ah ok, ça peut bien se passer.” Et ils deviennent plus heureux. » L’équipe gagne parfois, elle perd aussi, et sur des scores fleuves de temps en temps, mais c’est secondaire. Le plus important est ailleurs, comme dans ce tournoi à vingt équipes organisé samedi dernier à la maison, avec toujours la même idée : jouer au foot pour s’amuser et rassembler.

Pneus crevés, Macron sur TikTok et Vegedream

Ce n’est pas seulement une histoire de ballon, c’est une histoire de vie tout court. L’engagement va au-delà du foot à Aleviten : l’équipe autour de Verani, dont son épouse Angela, accompagne les nouveaux arrivants pour l’obtention de leurs papiers et dans leurs diverses démarches administratives. Mohamed, 20 ans et guinéen également, apprécie les conseils de Verani et vante le fonctionnement du club, qui laisse de l’espoir aux nouveaux arrivants. « Ils sont plusieurs à avoir du travail, à créer une famille, il y a même eu des mariages et des enfants, lance-t-il avec une lumière dans les yeux. Les anciens ouvrent même leurs propres entreprises et ont acheté une maison, ça donne envie ! » Bachar Ali, le comique de la bande, est arrivé de Damas en 2015 : il est aujourd’hui chauffagiste en alternance, en continuant l’école en parallèle le vendredi. Un exemple parmi tant d’autres.

On a envie de montrer qu’on n’est pas comme ceux qui font des mauvaises choses, on peut s’intégrer et se comporter comme des gens normaux. On veut leur montrer qu’on n’est pas bêtes.

Mohamed, venu de Guinée

Il est difficile de ne pas tomber sous le charme de cette grande famille. Elle a pourtant quelques ennemis. Le racisme existe en Allemagne, le parti d’extrême droite d’Alternative pour l’Allemagne (AfD) aussi (4e aux européennes à Paderborn avec 13,34%). Verani sort de son bureau avec un courrier datant de février 2022, celui-ci demande à la ville de fermer le SC Aleviten Paderborn, accusé d’être un aimant à réfugiés dans la région. Verani n’est pas inquiet, il en rigole, même quand il s’agit d’évoquer cette fois où il a retrouvé sa voiture rouge avec les pneus crevés. La raison ? Ses coups de main donnés aux Ukrainiens. Bachar Ali perd un peu son sourire, il n’est pas rassuré par la montée de l’AfD. « Ils sont racistes envers tout le monde, déroule celui qui espère rejoindre sa sœur en Norvège et rêve de visiter Paris. Ce ne sont pas seulement les Africains, même des Européens ! Ils ne veulent du bien que pour les Allemands. » Mohamed raconte avoir entendu plusieurs fois « putain de négro » en se baladant dans la rue. « Certains étrangers viennent ici et font de la merde, ils pensent tous qu’on a la même mentalité, poursuit-il. Je suis venu pour avoir des opportunités. On a envie de montrer qu’on n’est pas comme ceux qui font des mauvaises choses, on peut s’intégrer et se comporter comme des gens normaux. On veut leur montrer qu’on n’est pas bêtes. »

Les footeux d’Aleviten participent parfois à des actions de sensibilisation en ville : distribution de tracts, exercices de pédagogie, etc. Ils sont nombreux à maîtriser la langue allemande (voire l’anglais) à force de fréquenter le Hermann-Löns-Stadion et ce club particulier. Ils se vantent aussi de participer à toutes les fêtes allemandes, par volonté d’intégration. Il est un peu plus de 20 heures quand les derniers sortis du vestiaire traînent devant le foyer. Certains fument des clopes et trouvent Verani sur leur chemin quand le mégot finit par terre. D’autres s’ambiancent en mettant du son, on a même le droit au tube de Vegedream et à celui de Maître Gims. « Macron, il est bon pour l’Europe », lâche Bachar Ali, un amateur des vidéos du président français sur TikTok.

Ce club, c’est une famille parce qu’on s’y sent bien. Si tout le monde se respecte, quel pourrait être le problème ?

Papa Verani

Verani, lui aussi la clope au bec, répète les mêmes mots dès que l’un d’eux rentre à la maison : « Fair-play, respect ! » Il checke tout, veut savoir s’ils vont bien, et s’ils ont tout ce qu’il faut. Rien n’est payant au SC Aleviten Paderborn, les crampons sont fournis, les maillots aussi. L’art de la débrouille et de l’entraide. Dans la réalité, le quinquagénaire est père de deux enfants ; dans ce coin paisible, il semble être le papa de ces dizaines de jeunes. « Ils arrivent sans leur famille, ils pensent tous qu’elle va finir par arriver, puis elle ne vient jamais, souffle-t-il. Ils voient peut-être en moi une figure paternelle. Ce club, c’est une famille parce qu’on s’y sent bien. Si tout le monde se respecte, quel pourrait être le problème ? » Il veut que le club soit «  la voix des étrangers » et que ses protégés donnent « le bon exemple ». Le club ne ferme jamais, il sera ouvert cet été pour que le foot poursuive sa mission. La nuit n’est pas encore tombée, mais le Syrien Bachar Ali tient à nous emmener manger une glace dans le centre, où une copine à lui tient le stand. Ce sera chocolat-menthe, pendant que La Tribu de Dana de Manau commence à retentir dans une enceinte. Avec le SC Aleviten Paderborn, il n’y a décidément aucune frontière.

Bachar Ali, arrivé de Damas en 2015, en bleu, entouré de Verani Kartum (en vert) et de Mohamed (avec le haut blanc)
Bachar Ali, arrivé de Damas en 2015, en bleu, entouré de Verani Kartum (en vert) et de Mohamed (avec le haut blanc)
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Par Clément Gavard, à Paderborn

Tous propos recueillis par CG

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