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Le Saïd du sifflet

Par Maxime Brigand
Le Saïd du sifflet

Arbitre du Rennes-Monaco de samedi soir, Saïd Ennjimi a mis fin ce week-end à plus de vingt-cinq ans passés avec un sifflet dans le bec. Le tout juste avant de retourner vivre pleinement sa nouvelle fonction de président de la Ligue Nouvelle-Aquitaine, mais sans lâcher quelques tacles à l'actuelle direction de l'arbitrage français. Confessions d'un homme en colère contre le système.

Pour se remettre dans le rythme, il s’était offert deux échauffements en Ligue 2, un coup à Sochaux, un autre à Laval, histoire de mettre fin à un peu moins de cinq mois d’abstinence. Puis, la sortie, la « petite mort » et cet instant où tout s’arrête, où l’on « s’arrache quelque chose pour lequel on vit depuis vingt-cinq ans » . Luxe de la tradition, Saïd Ennjimi aura eu la chance de choisir sa dernière scène. Rennes, le Roazhon Park et donc le dernier tour de piste d’un champion de France sacré quelques jours plus tôt, venu en Bretagne pour s’offrir une dernière fête (3-2). Comment préparer sa dernière fois ? « J’ai essayé de ne pas le préparer comme un dernier match, tout simplement car au-dessus de mon cas, je me devais d’être respectueux des deux institutions, car malgré tout, il y avait un petit enjeu financier pour Rennes. La moindre des politesses, c’était de rester professionnel, alors c’est ce que j’ai fait. Et, il y a eu ces dix dernières minutes où je ne pouvais pas détacher mon regard de ce chrono qui s’égrenait. » Un truc qu’on ne peut pas contrôler même si l’on voudrait que tout ce bordel ne s’arrête jamais. « On pense parfois qu’on est exclu du contexte d’un match, mais finalement, pas tellement » , souffle Ennjimi qui a vu une haie d’honneur se former devant lui au moment de couper son sifflet. Depuis, il a déjà repris la route, a renfilé son costume tout frais de président de la Ligue Nouvelle-Aquitaine et jette qu’avec lui, mais aussi Stéphane Lannoy et Lionel Jaffredo partis eux aussi du système au bout du week-end, c’est une « génération qui s’éteint » .

Limoges, Vautrot et l’école de la vie

Cette génération serait celle des hommes, avant tout. Au départ, Saïd Ennjimi ne se rêvait pas forcément arbitre, mais a rapidement compris qu’il ne pourrait pas taper plus loin qu’en DH alors qu’il cavalait comme un milieu bosseur à Limoges. Il est arrivé en France à l’âge de deux ans après avoir pointé son nez à Casablanca. Direction le quartier Pierre-de-Coubertin, dans la capitale du 87. « J’ai commencé le foot tout gamin, quand j’avais six ans, comme pas mal d’enfants, replace-t-il. J’étais un joueur correct, mais je n’aurais jamais pu devenir pro. Et, à un moment, des amis du quartier ont monté une équipe de foot et se sont retrouvés dans l’obligation de recruter un arbitre. On m’avait déjà demandé un an plus tôt d’accompagner l’équipe pour faire la touche. » Saïd Ennjimi a alors dix-sept ans et parle de l’arbitrage comme d’une passion, pas d’un boulot. « J’ai toujours été de ceux qui pensent qu’avoir une carrière professionnelle à côté aide à garder les pieds sur terre. »

Pour lui, ce sera dans la comptabilité – il est aujourd’hui expert-comptable et possède également un DESS Droit, Économie et Gestion du Sport –, mais aussi dans la gestion d’une verrerie-miroiterie, Vitres et Verre, qu’il a reprise en 2014. Au moment d’évoquer ses débuts, Saïd Ennjimi dessine d’abord la figure tutélaire de la légende Michel Vautrot – deux fois élu meilleur arbitre du monde à la fin des années 80 – et dont il parle avant tout comme d’un manque : « Michel Vautrot, c’est l’exemple à suivre. J’ai eu la chance de le côtoyer à un moment donné, c’est la personnalité française la plus connue dans le monde de l’arbitrage et il n’est pas présent à nos côtés aujourd’hui. Avec ce qu’il représente, on doit faire en sorte de trouver le moyen de s’entendre avec lui, mais, en France, on est les meilleurs pour sortir nos meilleurs éléments du système. »

La mise à l’écart de Vautrot date du début des années 2000. Depuis, l’arbitrage français est plus ou moins un bordel constant. Mais, pour Ennjimi, les débuts seront aussi marqués par des matchs arbitrés « avec des chaussures mal cirées » avant de gravir les échelons : « Pour imager, on passe son permis jusqu’en National et, ensuite, on rajoute de l’humain. L’arbitre ne doit pas faire le spectacle, mais l’encadrer pour que les joueurs n’aient qu’à penser au foot. Si les joueurs sortent du match, il n’y a plus de spectacle. Quand j’entrais sur le terrain, c’était pour me mettre aux services des deux institutions, mais aussi au service du public, qu’il soit spectateur ou téléspectateur. Une fois dans l’élite, on ne reproduit que ce qu’on a connu dans le monde amateur tout en changeant de dimension. C’est l’école de la vie. » Cette carrière d’arbitre va d’ailleurs changer la sienne, notamment dans ses affaires. « Grâce à ça, j’ai réussi à prendre de l’assurance et j’ai développé une capacité à prendre des décisions rapides. Je ne tergiverse plus, je suis en capacité de choisir tout de suite avec un maximum d’informations. Quand tu dois siffler un penalty à la quatre-vingt-neuvième minute pendant un match d’accession, faut apprendre à le faire… » , image-t-il. Et, Ennjimi, « élevé à la personnalité » , a vu le système se renverser.

« On veut désormais former plus de robots que d’hommes »

Pourquoi s’arrêter alors qu’il n’a finalement que quarante-trois ans ? Les raisons sont multiples. La première : Saïd Ennjimi a été élu en janvier dernier président de la Ligue Nouvelle-Aquitaine. « J’ai forcément pensé à me retirer complètement du monde du foot, mais devenir président de Ligue, ça correspond bien à mon profil je pense. Je n’avais pas envie de devenir observateur, j’avais ce besoin de m’intéresser aux sujets globaux qui touchent le football… Je suis un passionné avant tout et je me suis demandé comment faire avancer les choses. » Puis, la seconde : « Le système actuel ne me convient plus. » Oui, Ennjimi est avant tout un homme en colère contre la Direction technique de l’arbitrage (D.T.A.), dirigée par l’ancien arbitre Pascal Garibian. Il s’explique : « Aujourd’hui, les personnalités ont été écrasées par le système. On a tendance désormais à voir les arbitres avant tout comme des athlètes avec des tests physiques impossibles pour des gens qui dépassent la quarantaine. Ce n’est pas anodin si, avec Stéphane et Lionel, on les a ratés. On nous a fait passer ce qu’on appelle le yo-yo test avec un palier extrêmement difficile à atteindre. La DTA a choisi le test référence de l’UEFA – qui est optionnel – plutôt que celui de la FIFA, qui est plus facile. Désormais, on veut former des robots plutôt que des hommes. La performance est passée au second plan. Et Garibian ne fait que de la politique, plus du sportif. On cherche à faire de l’affichage. Si on est de moins en moins présent à l’international, il y a bien une raison. Je ne veux pas cracher dans la soupe et je serais le dernier à le faire, mais là, rien que pour la Coupe des confédérations, le seul arbitre français retenu s’occupera de la vidéo… »

Cahuzac, Hantz et les nuits blanches

Là se cache le cœur de la réflexion de Saïd Ennjimi, touché en plein cœur par une sombre affaire de maillots après un OM-Lorient en 2015. Il se dit encore « blessé » par cette histoire et victime d’une « chasse à l’homme » . « Garibian a voulu écraser ma personnalité, c’était comme écraser une souris avec un marteau-piqueur. Peut-être que j’aurais dû agir autrement ce soir-là, solliciter les maillots dans un autre contexte, et comme on m’avait promis la finale de la Coupe de France 2015, c’est encore plus dur à vivre » , complète-t-il. Sur le terrain, Ennjimi a toujours eu la réputation d’être un bon arbitre, proche des joueurs, juste, mais avec son caractère, c’est normal. « J’ai toujours pris du plaisir à recentrer les joueurs vers le sujet principal : le jeu. J’ai vu des caractères, poursuit-il. Un joueur comme Zlatan Ibrahimović est par exemple l’un des joueurs les plus intelligents que j’ai rencontrés. Il pousse les choses jusqu’à la limite, il calcule, mais sait aussi se calmer. Cahuzac, lui, ça sort du cœur, il a tendance à s’emporter facilement, mais il faut discuter avec ces mecs-là qui souffre d’injustice par incompréhension. Avec un coach, c’est sensiblement la même chose. Il ne faut pas l’humilier, pas lui parler avec des grands gestes. Il faut faire preuve d’intelligence que ce soit avec René Girard, très dur à canaliser, ou avec Gourvennec, qui a toujours eu le mot juste, sans contestation inutile. J’ai beaucoup appris dans mes conversations sur et en dehors du terrain avec les acteurs. » Cette histoire est terminée, une autre s’ouvre, loin des erreurs qui pouvaient conduire à « une nuit blanche » ou de ce premier match de Ligue 1 dirigé à 32 ans. Un Metz-Le Mans, au bout duquel Frédéric Hantz était venu « échanger un maillot, car il souhaitait récupérer le mien pour son fils arbitre » . Ennjimi s’en va, avec le regret d’une « dimension humaine vitale » qui dégage – « j’étais persuadé que derrière toutes les carapaces, d’un président, d’un entraîneur, d’un joueur, il y avait quelque chose d’agréable à trouver » – et avec lassitude face à un milieu arbitral qu’il juge dénaturé jusque dans la remise du dernier trophée UNFP. Avec lui, c’est donc bien une génération qui défile dans un contexte où la communication est devenue quasiment inexistante.

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Par Maxime Brigand

Tous propos recueillis par MB.

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