- Coupe du monde 2014
- Finale
- Allemagne/Argentine
Le romantisme allemand
L'Allemagne ressemble bien à une équipe qu'on a déjà vue, mais qui n'était pas alignée pour ce Mondial. C'est de notre faute, on avait oublié que le pays de l'efficacité était aussi celui du romantisme.
L’Allemagne de Joachim Löw est la sélection d’un pays situé au centre de l’Europe dont la capitale est Berlin et dont l’hymne national est inspiré d’un quartet de Haydn. En football, ce pays avait la réputation d’être un ogre dévorant n’importe quel prétendant et dont les aptitudes techniques n’étaient saluées que si elles acceptaient de se mettre au service de l’efficacité. Dans ce football, on n’imaginait pas se présenter en finale de Coupe du monde en prônant le jeu plutôt que le résultat. L’esthétique plutôt que la statistique. Pourtant, depuis 2006, quelque chose a changé. On entend désormais Joachim Löw prôner des principes qui ne choquent même plus nos oreilles sensibles et pragmatiques : « Nous avons mûri et montré le football que nous étions capables de jouer. Ces dernières années, nous avons beaucoup progressé et si nous ne gagnons pas, rien de tout cela ne s’effondrera. Le football allemand a un avenir et je n’ai peur de rien. » Dans un Mondial qui se moqua du milieu de possession, qui rigola bien quand l’Espagne se prit une danse contre la Hollande reconvertie en ressort à ballon, qui n’en avait que pour les défenses à trois arrières centraux et qui refusa la possession de balle comme on dirait à l’autre « Vas-y commence, je préfère passer en dernier » , l’Allemagne a représenté un peu plus que la sélection fédérale de Germanie. En fait, si on était habitué aux mots de Löw, c’est qu’on les avait déjà entendus quelque part.
Un constat chiffré
Comme il semble nécessaire d’argumenter par d’interminables statistiques jusqu’au moindre choix esthétique, la FIFA nous propose des classements qui donneront raison aux plus appliqués. Avec une moyenne de 570 passes réussies par match (contre 393 pour les autres), l’Allemagne n’est pas uniquement l’équipe qui s’est le plus passé le ballon, c’est aussi celle qui a le moins raté (82% de réussite), qui a frappé le plus depuis l’intérieur de la surface et donc qui s’en est approché le plus souvent balle au pied (43 tentatives), qui a le plus marqué (17 buts) tout en étant aussi la cinquième équipe ayant le plus réalisé « d’attaque » au sens obscur de la FIFA (la définition d’attaque mériterait une encyclique qui ne tiendrait malheureusement pas dans cette chronique) : seulement 250, 319 pour le Brésil, 311 pour l’Argentine, 270 pour la Hollande, 266 pour la Belgique. Il ne manquait plus à cette cascade de données objectives que Dieu lui-même – comprendre Johann Cruyff – couronnât cette équipe d’un genre nouveau qui, en défendant une certaine idée de jeu, défendait beaucoup plus plus qu’une simple nation du centre de l’Europe. Le roi Johann Cruyff descendit du ciel et sacra enfin la sélection de Löw d’un tweet dont beaucoup auraient rêvé être l’objet : « L’Allemagne a été la meilleure. Son contrôle du ballon, ses mouvements, sa position de jeu a été supérieure. Voilà pourquoi, pour moi, elle a été la meilleure équipe. » La beauté est donc le résultat objectif d’un calcul mathématique.
L’Europe allemande
Pourtant cette analyse aux apparences d’objectivité ne rend pas adéquatement honneur au travail du sélectionneur allemand. Si l’enthousiasme était le fruit d’une suite de données statistiques, on s’ennuierait de la lenteur de Toni Kross, des hésitations d’Özil et des atermoiements de Philipp Lahm. On trouverait la défense allemande irresponsable tant elle prenait des risques inconsidérés à toujours vouloir remonter le ballon à force de passes courtes, et de vouloir installer les centraux sur les côtés, positionner Lahm ou Schweinsteiger dans l’axe et de condamner ainsi Manuel Neuer à jouer gardien de but et libéro en même temps. La FIFA appelle cette façon de jouer le ballon court au lieu de l’envoyer dans le rond central un « dégagement tenté » . Et l’Allemagne est, derrière le Brésil et la Hollande, l’équipe qui a le mieux « tenté » cet exercice (93 pour les deux premiers, 90 pour l’Allemagne). Elle sera en tête à la fin du match de ce soir. Cette donnée n’explique rien si on se contente de l’admirer comme la conjecture de Poincaré, la taille comparée des plus grands immeubles du monde ou la valeur d’un indice boursier. En réalité, cette donnée anodine et non contrastée en dit beaucoup sur les choix esthétiques de cette Allemagne et sur son inclinaison nette vers un certain type de jeu prôné d’abord à l’est de l’Europe, puis au gré des immigrations, arrivé en Hollande, théorisé à l’Ajax par Michels, mélangé aux Hongrois Kocsis, Czibor et Kubala de Barcelone, le tout synthétisé par le génie intuitif de Cruyff et l’intransigeance conceptuelle de Pep Guardiola.
Le paradis du jeu
Le pays que défend l’Allemagne dans cette compétition où il n’y en a eu que pour les buts et les frappes de loin, est le pays où le ballon n’est jamais offert à l’adversaire en toute impunité. C’est le pays où on ne guette pas la perte de balle comme on guetterait des denrées précieuses tombées du camion. Le pays de Guardiola, c’est celui où les gardiens pourraient jouer en défense centrale. « Si tu sors bien le ballon, tu auras ensuite des occasions. Si la première passe est bonne, tout le reste est plus facile » , explique Pep. Alors quand on voit Neuer s’acharner à relancer court pour Hummels, Lahm ou Schweinsteiger, on a des images de Víctor Valdés s’obstinant à relancer du plat du pied pour Busquets, Piqué ou Puyol dans la tête. On entend une voix qu’on a déjà entendu un soir de septembre 2010 après un match contre l’Atlético Madrid : « Il y a plus de 20 ans que nous essayons de jouer de cette façon. Nous pouvons varier. Parfois, Busi devient libéro, d’autres fois c’est Xavi qui devient central pour accepter la qualité des joueurs ; pour que ceux qui jouent à l’intérieur profitent de beaucoup de circulation du ballon, nous devons relancer court depuis notre ligne de fond. Le gardien la passe au défenseur, le défenseur au milieu de terrain, celui-là à l’attaquant. Sinon, c’est impossible de créer des occasions de but. » Le pays de Pep Guardiola, c’est celui du jeu. C’était l’Espagne, c’est maintenant l’Allemagne.
Par Thibaud Leplat