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Le roman russe de Schalke

Par Côme Tessier
5 minutes
Le roman russe de Schalke

En match officiel, la double confrontation de Schalke contre Krasnodar est une première. Le club n'avait jamais eu l'occasion d'affronter un club russe jusque-là. Pourtant, l'histoire du club avec la Russie n'est pas si neuve. Depuis 2007, les Knappen s'affichent avec le logo Gazprom sur le torse. Quitte à faire râler les supporters et les politiques de tous bords quand les relations internationales deviennent tendues.

« Ce n’est pas vraiment faire preuve de tact, dans la situation actuelle, d’accepter une invitation au Kremlin et de se laisser instrumentaliser de la sorte. » Quand la CDU lâche les fauves sur un club de football, il y a de la surprise dans un premier temps, puis un certain écho. En 2014, l’attaque vient d’abord de Peter Tauber, secrétaire général du parti d’Angela Merkel. Le SPD emboîte le pas. Les Verts en rajoutent une couche en estimant que Schalke participerait ainsi de la « propagande de Poutine » . Bref, le boss du club, Clemens Tönnies, en prend pour son grade. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est l’invitation de Vladimir Poutine lancée aux Königsblauen pour venir faire un petit tour à Moscou pendant l’été, en pleine crise diplomatique au sujet de la Crimée. Le petit monde politique allemand semble découvrir un événement qui court pourtant depuis presque huit ans : un club de la Bundesliga est financé indirectement par le gouvernement russe, actionnaire majoritaire de la société Gazprom. L’influence russe sur le football allemand passe mal en coulisses. Pourtant, ce n’est donc pas la première fois que la Russie s’affiche aux côtés de Schalke. Depuis dix ans, les connexions indirectes entre Moscou et Gelsenkirchen se multiplient, au gré des événements sportifs ou internationaux, de la naturalisation de Roman Neustädter avant l’Euro aux matchs de Ligue Europa contre Krasnodar.

Un chancelier, du jarret de porc et du gaz

Le débarquement de Gazprom dans les pattes de Schalke remonte à 2006. Le club est alors en proie à de graves difficultés financières. Grâce à l’ancien chancelier (SDP) Gerhardt Schröder, qui fait office d’entremetteur dans l’affaire, Clemens Tönnies rencontre Vladimir Poutine et Alexei Miller (le patron de Gazprom) pour leur vanter les mérites de son équipe. Le deal est signé en octobre, et depuis, Tönnies n’hésite pas à considérer le président russe comme un ami proche. Ils ont surtout obtenu discrètement un partenariat en mode donnant-donnant-donnant, à trois bandes. Schröder et Poutine s’allient sur le dossier de Nord Stream, un projet de gazoduc entre la Russie et l’Allemagne à travers la mer Baltique, et la présidence de son conseil de surveillance. Dans le même temps, Tönnies s’ouvre un marché juteux pour vendre des kilos de viande avec son entreprise. En mars 2015, dans une interview au Tagesspiegel, Tönnies se vante d’ailleurs d’apporter régulièrement à Poutine plus de jarrets de porc que de maillots de Schalke. Il ne cache pas non plus sa satisfaction quant à l’implantation en Russie. « Aujourd’hui, nous avons plus de 600 000 cochons. » Le business est florissant de son côté. Et pendant ce temps, le gouvernement russe s’offre une vitrine et un outil de « soft power » diplomatique qui peut être utile à l’occasion, lorsqu’il faut redorer le blason de l’État. Interrogée par Le Monde, la journaliste Alla Lazareva estime que Gazprom est « un outil de promotion de la Russie dans le monde qui s’inscrit dans une grande ambition géopolitique, dans la lignée de l’expansionnisme russe du XIXe siècle » . Comme en 2014, lorsque Poutine invite les Königsblauen.

La crise fait pshiiiit

Le conflit en Crimée et l’invitation présidentielle font toutefois revenir les critiques de tous les bords. Même parmi les supporters, comme l’explique Roman Kolbe, un supporter assez critique par rapport à ce logo qui s’affiche sur tous les maillots bleus : « Pour moi, c’est simple : je n’achète pas le moindre article de merchandising avec un logo Gazprom dessus. Les T-shirts sans, le reste, non. Et je continue d’aller à tous les matchs à domicile. » Pour ce supporter chevronné, qui participe au magazine Schalke Unser, écrit par des membres du club, les critiques étaient bien présentes dès l’arrivée de Gazprom dans les finances du club. « Elles ont simplement une résonance particulière dès que la situation politique l’exige. » L’annexion de la Crimée, puis les sanctions envisagées par l’Union européenne contre la Russie, et les répercussions éventuellement sur le sponsorship venu des gazoducs produisent un effet boule de neige qui mènent logiquement à Gelsenkirchen. « Certains disent qu’il faut mettre la politique en dehors du football et du sport. C’est impossible. La politique fait partie de la société, le sport également » , affirme Kolbe. C’est pourtant l’argument de Tönnies lorsqu’il est attaqué par les partis politiques. « Nous sommes des gens de sport, mais pas des politiques internationaux. La politique n’est pas notre terrain de jeu. L’équipe aimerait bien voir un jour le Kremlin et s’intéresse à Moscou. » La valeur touristique du déplacement est jolie. Le voyage est tout de même annulé rapidement et les critiques s’éteignent doucement, d’autant plus que l’influence russe est limitée. Roman Kolbe le reconnaît volontiers : Gazprom ne joue aucun rôle dans les décisions du club. Il s’agit seulement d’un partenariat financier, qui permet selon Kolbe de « polir son image » . « Ils restent dans une position neutre concernant la gestion sportive. » Dès lors, en mai 2016, la prolongation du contrat jusqu’en 2022 du contrat est prise comme un événement inévitable et ne provoque pas de grandes discussions dans les travées de la Veltins-Arena. Kolbe l’admet : « Y avait-il un autre sponsor capable de mettre autant d’argent ? » Heureusement d’ailleurs que Gazprom ne fourre pas son nez dans les affaires purement sportives du club. Car depuis, Null Vier est allé pour une première fois en Russie et a gagné sur un but de Konoplyanka, un joueur d’origine… ukrainienne. Le roman russe de Schalke ne manque pas d’humour.

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