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Le roi qui voulait devenir président
George Weah s’est hissé au plus haut niveau. Jusqu’au Ballon d’or – le seul du continent africain – remporté avec l'AC Milan. Mais le football ne lui suffisait pas. Dans son pays, le Liberia, il se voyait déjà président. Après deux échecs, 2017 est peut-être une nouvelle chance pour « King George ».
Sur le terrain, le gazon est inexistant, remplacé par du sable caillouteux. Entre les limites dessinées à la simple craie, un homme virevolte, balle au pied. Son maillot porte le nombre 18, surmontant les lettres capitales d’un nom qui laisse rarement indifférent ceux qui jettent un œil dessus : WEAH. Nous ne sommes pas loin de Monrovia – capitale du Liberia, en Afrique de l’Ouest – au printemps 2016. George Weah vient s’entraîner avec quelques potes tous les samedis. S’il le peut, le dimanche, c’est jour de match. Le Ballon d’or 1995 – seul et unique joueur du continent africain à avoir fait main basse sur la distinction – tient à son petit rituel. Et il n’est pas non plus prêt à l’abandonner : « Même si je suis élu président du Liberia, on me verra jouer ici. Je serai toujours ici » , prophétise-t-il ce jour-là dans une interview donnée à l’AFP.
Eh oui, car l’ancien avant-centre de l’AC Milan a annoncé quelques jours plus tôt son intention de se présenter aux élections présidentielles organisées courant 2017 dans son pays. Celui qui, en 2005, tendait une carte de visite ornée d’une petite couronne rouge à un journaliste du New York Times, est un roi dans son pays. Il serait une « personne noble » à l’en croire, et pour en avoir le cœur net, il a aussi chapeauté la création d’une radio, nommée King’s FM. Efficace. D’ailleurs, la plupart du temps, son nom de famille disparaît et on ne le désigne que par un simple surnom : King George. Son aura, il l’a consolidée en tant que star internationale, et virtuose des championnats français et italiens. Alors, depuis qu’il a mis fin à sa carrière sportive en 2003, George Weah voudrait ne plus seulement être le « roi » des Libériens, mais bel et bien diriger le pays. Les élections à venir cette année se profilent, mais « Mister George » – son autre surnom au Liberia – ne peut pas oublier les deux défaites qu’il a déjà subies ces dernières années. En 2005, et une autre fois en 2011, il a été battu par Ellen Johnson-Sirleaf, l’actuelle présidente. Mais comme le détaille Philippe Hugon, responsable Afrique de l’IRIS, George Weah reste « la grande vedette du Liberia » . Dans la capitale Monrovia, on peut même apercevoir une statue à son effigie datant du début des années 2000. Mais qu’est-ce qui l’empêche d’accéder à la fonction suprême ? La réussite politique de l’homme le plus célèbre du Liberia ne semble plus être une certitude.
Schwarzenegger, cognac et col roulé
L’ex-joueur est toujours reparti à l’attaque, comme si son pays lui devait encore une victoire. Pourtant, ses débuts politiques avaient de quoi le refroidir. 1996. George Weah est en déplacement en Afrique du Sud avec l’intégralité de l’équipe nationale libérienne. Sauf que tout le monde ne se préoccupe que d’une chose, ce premier Ballon d’or africain qui fait vibrer les foules. Au point que même Nelson Mandela s’en réjouit. Pour la figure sud-africaine mythique, Weah est dorénavant « la fierté de l’Afrique » . Alors, Mister George en profite. Il sait que la situation de son pays est déplorable, et la guerre civile a déjà causé plusieurs centaines de milliers de morts. Fort de son écho, il appelle à une intervention des Nations unies, dans une interview réalisée aux États-Unis. La réaction sera immédiate. Sauf qu’elle ne sera pas exactement celle que l’on pouvait anticiper. Sa villa de Monrovia est incendiée, et deux de ses cousines sont victimes d’un viol. Les responsables sont vraisemblablement des miliciens envoyés par Charles Taylor, le chef rebelle qui a maté le petit pays d’Afrique de l’Ouest. Le symbole est clair, George Weah est au centre de toutes les attentions et son influence est crainte jusqu’au sommet du pouvoir.
C’est pour ça qu’il tente de s’y hisser, jusqu’au sommet du pouvoir. L’élection de 2005 devait donc être la sienne. L’élite politique du Liberia se rallie même en partie à sa candidature. Rien ne peut l’arrêter. Il philosophe auprès du New York Times : « J’étais aux États-Unis quand Schwarzenegger est arrivé au pouvoir. Si je dis que je ne suis pas un politicien, c’est parce que je n’ai pas étudié les sciences politiques à l’université. » Avant d’ajouter, sûr de lui : « Finalement, je pense que nous sommes tous nés politiciens. C’est pratique, la politique. Donc il faut juste pratiquer. » Bon. Il organise même une partie de sa campagne aux États-Unis, avec la communauté des expatriés, entre deux verres de cognac Hennessy, col roulé sur le dos. Sûr de lui, aucune autre personnalité ne pouvait apparemment lui contester la victoire. En théorie. « George Weah n’était pas un homme politique. Il y a eu des manigances, et il a perdu » , replace Philippe Hugon, chercheur à l’IRIS. Les critiques fusent concernant son manque de préparation, et même d’éducation. On ne le croit pas capable d’assumer une telle responsabilité. Cette épopée politique se termine malgré tout avec 40% des suffrages. Mais ça ne suffit pas. Ellen Johnson-Sirleaf – ancienne employée de la Banque mondiale, figure historique de l’élite libérienne – accède à la plus haute fonction. À en croire les observateurs, cette défaite n’est pourtant pas un échec cuisant. Pour une simple raison. « George Weah ne connaît pas les arcanes du pouvoir » , rappelle Philippe Hugon. Son truc à lui, c’était plutôt le peuple du Liberia. Quand la guerre civile se termine, c’est le sport, et surtout le foot, qui permet de ramener un semblant d’harmonie dans le pays. George Weah en est le véritable symbole. « Charles Taylor demandait à des jeunes qu’ils tuent leur père, leur mère, leurs sœurs. Ils ne connaissaient que le crime. Le sport pouvait les resocialiser » , détaille Philippe Hugon. Et les exploits de l’avant-centre étaient leur référence à tous.
La politique, ce sport extrême
Mister Georges est donc devenu une personnalité incontournable de la scène politique libérienne. Il est de tous les combats. Ambassadeur de bonne volonté de l’Unicef en 1997, il rejoint ensuite la mission de l’ONU pour la facilitation du processus de paix après la guerre civile. À la fin de la décennie, il est même étudiant à l’université à Miami. Il nie avoir pris cette décision de s’éduquer politiquement. Lui parlait plutôt d’augmenter son potentiel. Il n’en reste pas moins que ses matières principales sont toutes liées aux affaires publiques. 2011. Deuxième élection présidentielle post-guerre civile. Deuxième round pour King George. Cette fois-ci, c’est lui qui attaque. La présidente Ellen Johnson-Sirleaf aurait financé le conflit traumatisant la nation libérienne. Elle devrait être interdite de fonctions officielles pendant trente ans. Mais la femme politique maintient sa candidature. L’ancien footballeur, lui, ratisse large et crée une grande coalition autour de son parti, le Congrès pour le changement démocratique (CDC). Problème, il intègre le Front national patriotique, le parti utilisé par Charles Taylor, à l’époque des massacres de masse. George Weah serait devenu un véritable politicien. Amateur de compromis, et d’intrigues. À un détail près : son programme.
Six ans après la première élection, rien n’est totalement clair. Il veut construire des hôpitaux, créer des jobs, retaper des écoles, apporter l’électricité partout dans le pays. Rien de très surprenant. Si l’on creuse, difficile de savoir comment il compte réaliser tout ça. En 2011, c’est donc un nouvel échec pour l’élection présidentielle. Il devra se contenter d’un simple poste de sénateur de la région entourant la capitale Monrovia, en 2014. Retour en 2005. Mister George confiait au New York Times que la politique était un jeu. « Pour lui, la politique était juste un autre sport qu’il devait maîtriser » , avoue presque à contrecœur le journaliste du grand média américain. Mais George Weah avait déjà la solution. En politique, il continue à jouer en équipe. S’il n’est pas très clair quant à ce qu’il veut réaliser, il sait qu’il engagera des personnes « intelligentes » , et « honnêtes » pour régler tous les problèmes du pays. Pratique. Même si un président ne devrait pas dire ça. Et encore moins un roi.
Par Lucas Minisini