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Le rêve interdit du Racing de Diego Milito
À quatre journées de la fin de ce « tournoi de transition » argentin, le Racing Club de Avellaneda plane à la troisième place du classement, à trois longueurs d'un River Plate qu'il accueillera dans son Cylindre la semaine prochaine. Alors que ce River de Gallardo s'est incliné pour la première fois cette semaine et s'apprête à jouer une double confrontation éprouvante en demi-finale de Sudamericana contre Boca, voilà que l'Academia de Diego Milito ne peut s'empêcher d'y croire. Comme toujours.
Tout va si vite à Buenos Aires. Du soleil à la tempête, des grands bureaux du microcentro aux bidonvilles de Retiro, de la tranquillité d’Avellaneda aux déchets du fleuve Riachuelo, il n’y a qu’un pas. Le même pas qui sépare la 18e place du Racing l’an passé de sa 3e place actuelle, derrière Lanus et River. Alors que la saison a commencé le 8 août, c’est déjà l’heure du sprint final. Et trois mois après le retour de Diego Milito, revenu pour que « le Racing ait à nouveau un rôle à jouer » dans ce championnat fou où les plans de jeu n’ont même pas le temps de se mettre en place, le Racing est encore vivant. Le schéma est simple : il manque quatre journées, un match ce soir à Quilmes, River à accueillir la semaine prochaine, un déplacement chez Rosario Central et enfin Godoy Cruz à domicile. En haut, ils sont six en six points : River, Lanus, Racing, Independiente, Estudiantes et Boca. Le problème, c’est que « l’Académie du football » (surnommée ainsi pour ses victoires au début du siècle) n’a ni le jeu de River, ni l’effet de surprise de Lanus, ni la tranquillité d’Independiente. Ce que ressent le Racing à la veille de ces dernières batailles, c’est de « l’angoisse » .
Angoisse et combat psychologique
Diego Cocca, director técnico, en a parlé cette semaine : « On doit penser seulement à ce match. Si nous n’arrivons pas à gérer la question des angoisses, on ne va pas bien jouer et laisser le jeu à Quilmes. » Une angoisse presque culturelle : entre la Libertadores de 1967 et le titre de champion d’Argentine de 2001, le Racing a passé 35 longues années sans titre. Trois décennies à voir le rival Independiente rafler les coupes intercontinentales, et Boca et River accentuer leur domination sur la scène nationale. Trente-cinq ans à jouer le rôle d’une équipe qui joue toujours bien, mais qui, au moment véridique, flanche inévitablement. Un combat psychologique qui a renforcé l’identité d’un club à la hinchada très renommée : « La Numero Uno » est devenue célèbre pour sa capacité à toujours répondre présent malgré les souffrances répétées. Une identité associée à un certain sens du drame, aussi.
En août, après deux victoires convaincantes en deux journées, le Racing va affronter le petit Tigre, ville de maisons de vacances sur l’eau loin des « vrais » quartiers de Buenos Aires. C’est le moment que choisit le club pour communiquer sur sa dernière initiative : mettre à disposition de l’équipe un psychologue. Un certain Gustavo Goñi qui explique que « si vous voulez prendre soin du footballeur, prenez soin de la personne qu’il y a derrière » ou encore qu’ « il faut faire en sorte que le joueur se sente comme un gagnant sans avoir gagné » . Évidemment, deux jours plus tard à Tigre, le Racing s’écroule lamentablement (4-0). Mais cette saison, au contraire d’un Boca tombé très tôt ou d’un Vélez en perte de vitesse, le Racing s’est toujours relevé.
Quatorze recrues et Diego Cocca
Tout va si vite à Buenos Aires qu’il n’est pas rare de voir des équipes se faire et se défaire d’une saison à l’autre. Cet hiver, le Racing a fait peau neuve : quatorze recrues dont neuf titulaires (Pillud, Lollo, Grimi, Gastón Díaz en défense ; Acuña, Videla et Centurión au milieu ; Bou et Milito en attaque) et un nouvel entraîneur. « Un effectif nouveau qui ne se connaissait pas et qui ne me connaissait pas, » dit Diego Cocca. Sebastian El Chino Saja, gardien de but et figure du club, explique sa philosophie : « L’idée de Cocca est de jouer le premier rôle dans tous les stades. » De la possession et une certaine quête esthétique rare au pays : le Racing aime cultiver sa différence. Et s’il est difficile de mettre en place une identité de jeu en trois mois, le 4-2-2-2 de Cocca s’est équilibré rapidement autour des manœuvres de Videla au milieu, la discipline tactique et l’explosivité de Centurión à gauche, et les bons ballons de l’arrière droit Gastón Díaz (6 passes décisives). Une idée nouvelle, et d’autres ancestrales : cette semaine, Cocca a notamment admis que « quand nous jouons à domicile, nous mouillons la moitié de terrain dans laquelle nous attaquons pour donner plus de dynamique à nos offensives » . Au-delà de ces concepts, le Racing est aussi guidé par deux vétérans : « le Démon » Gabriel Hauche, revenu à son meilleur niveau (5 buts en 10 matchs), et surtout Diego Milito.
Entre le rêve interdit et le prince qui ne déçoit jamais
Le 12 décembre 2003, Milito marque un dernier penalty contre Olimpo et s’en va en Europe vers sa première escale au Genoa. Un tour du Vieux Continent de dix ans, et enfin le retour à la maison cet été. Le jeune Milito au Racing, c’était 37 buts en 150 matchs, la rivalité contre le frère Gaby – qui jouait pour Independiente – et surtout ce titre de champion en 2001. Alors, malgré ses 35 ans et une dernière saison de blessures à 2 buts à l’Inter, El Principe est accueilli par les éternels « ¡Olé, olé, olé, Diego, Diego! » et devient capitaine avant même de mettre un pied sur le sol argentin. « Depuis le jour où je suis parti, je savais que j’allais terminer ma carrière en Argentine. C’est ici que sont nos racines et nos proches. Mais personne ne peut vivre grâce à un nom ou à un passé. À chaque fois que je joue, je dois démontrer que je suis à la hauteur. » Dans un football argentin qu’il décrit comme étant « très compétitif et physique » , Milito n’est plus le buteur implacable qu’il était à Milan. Cette place-là, il la laisse volontiers à Gustavo Bou, 24 ans et 9 buts marqués en 11 matchs. Trop lourd pour prendre de vitesse les dernières lignes gauchos, Milito fait parler sa vision du jeu, sa patience dans la surface, ses pauses, ses déviations et ses feintes. Bilan : 4 buts et 4 passes décisives, mais surtout une influence digne d’un meneur de jeu.
En dehors des terrains, Milito serait à l’origine d’une autre initiative du club : faire de tous les joueurs des socios du club. « Il apporte beaucoup, il faut en profiter. Aussi bien sur le terrain qu’en dehors, c’est un leader » , raconte le jeune ailier Centurión, surdoué du dribble, mais revenu d’un échec sportif au Genoa. Et sur le pré, le Prince s’est fait talisman. Lors du derby d’Avellaneda, Racing va visiter le stade d’Independiente (qui se trouve à cinquante mètres du Cylindre). À la demi-heure de jeu, Milito ouvre glacialement le score sous la popular (le kop) d’El Rojo. Célébration intense, baisers sur l’écusson, esquives de jets de papelitos et un carton jaune pour excès de passion (voir vidéo). Cinq minutes plus tard, Milito se blesse. Le Racing s’incline 2-1, puis perd à domicile contre Lanus (1-3), n’accroche qu’un nul face à Newell’s (1-1) et perd à la Bombonera contre Boca (1-0) lorsque le match est interrompu par la tempête.
Une semaine plus tard, il reste 34 minutes à jouer et Milito est revenu. Il lui suffit de six minutes pour offrir une passe décisive de la poitrine à Bou, qui marquera un doublé. Depuis, le Racing enchaîne les bons résultats. En attendant une fin de saison qui pourrait s’avérer dramatique, l’Académie s’invente donc quelques raisons d’y croire. Il est souvent dit que lorsque le Racing gagne, l’ordre des choses est déréglé, quelque chose ne tourne pas rond : en 2001, l’Argentine traversait la pire crise économique de son histoire et il se trouve que le pays a rechuté en 2014 devant la pression des fonds vautours américains. Milito était là en 2001, et il est revenu. Des coïncidences ? Le célèbre acteur et grand hincha du Racing, Guillermo Francella, avait prédit la victoire de 2001 sur la base d’un calcul familial : en 1967, il avait 11 ans et son père en avait 45, et le schéma se répétait en 2001 avec son fils Nicolás, acteur également. D’après ces prévisions, l’Académie devra attendre 2035. La patience de Milito suffira-t-elle ?
Par Markus Kaufmann, à Buenos Aires
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