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Le rêve éveillé de N’Golo
Sans jamais faire de bruit, mais à un rythme renversant, N’Golo Kanté n’en finit plus de sublimer sa singulière ascension. Passé en six ans de la PH, au toit du Royaume avec Leicester, le milieu français a rejoint Chelsea dans la foulée de l'Euro 2016. Pour s’élever encore et encore à des hauteurs qui semblent indéfinissables.
Quand il ne court pas inlassablement, c’est souvent par un hochement de tête qu’il s’exprime. Ou par un sourire, empreint d’une retenue et d’une pudeur palpables, presque désarmant. Garçon au caractère taciturne, N’Golo Kanté s’épanche rarement. Mais à mesure que son parcours a pris un relief vertigineux au cours des derniers mois, le milieu franco-malien a dû se résoudre à s’ouvrir aux autres.
Et faire part d’une ambition légèrement dissimulée au détour d’une déclaration a priori anodine. « Je ne pense jamais à l’argent, au montant des transferts. Ce sont les clubs qui décident, assurait-il à L’Équipe, convaincu, fin juin. S’ils mettent ce prix-là, c’est qu’ils pensent qu’ils ont besoin de moi et que c’est à ce prix-là que le transfert se fera. L’échec peut arriver, je le sais, mais je donne le meilleur. S’il arrive un jour, il faudra faire avec. Ne pas renoncer » . En attendant de savoir si cela produira à l’avenir, Chelsea a sorti le chéquier pour l’arracher de Leicester. Un transfert estimé à 35 millions d’euros assorti d’un salaire annuel de 9,3 millions d’euros. Le prix à consentir pour s’offrir les services d’un marathonien qui semble encore loin d’avoir franchi la ligne d’arrivée.
Ascension irrésistible et adaptation express
À bien des égards, Londres constitue une nouvelle étape capitale dans l’ascension sensationnelle de Kanté. Un club des Blues, à la renommée internationale et au prestige plus étoffé, qui doit lui permettre de confirmer sa saison immaculée avec les Foxes, ponctuée par l’improbable titre de champion. « C’est un bon joueur. Il a une bonne technique, une endurance fantastique. Pour gagner, une équipe a besoin de ce type de joueur, qui travaille dur pour l’équipe. Il peut apporter beaucoup à Chelsea » , l’a récemment encensé Antonio Conte, son nouveau manager. L’histoire est en marche depuis 2010. À un rythme quelque peu effréné pour un homme qui a vécu des débuts heurtés, après avoir essuyé de nombreux refus de la part des centres de formation.
Mais l’enfant de Rueil-Malmaison y a vu des leçons plus que des échecs rédhibitoires : « Il n’y a pas une fois où je me suis dit que c’était injuste. Je me disais qu’il y avait une raison et qu’il fallait le prendre positivement et continuer à avancer, à travailler. Je ne me suis jamais dit : « c’est mort ». » Arrivé à l’US Boulogne en CFA2 après huit années à la J.S. Suresnes, où le niveau le plus élevé atteint a été la PH (9e échelon national), le milieu découvre ensuite le National avec le club boulonnais. Avant de se hisser jusqu’en Ligue 1, sous la tunique caennaise et de transformer l’ordinaire en épopée insensée dans les rangs de Leicester.
Surclassé et indispensable
Sans discontinuer, la progression du joueur de vingt-cinq piges se poursuit à une vitesse ébouriffante.
Parce que depuis ses premières courses sur les pelouses des Hauts-de-Seine, N’Golo est une éponge. Un petit bonhomme possédant une capacité d’apprentissage saisissante et une faculté d’adaptation au-dessus de la moyenne. « Quand quelqu’un lui donne une chance, il la saisit. Si on regarde sa trajectoire, à partir de la première équipe pour laquelle il a joué à Suresnes, cela a toujours été le cas, étaye Piotr Wojtyna, son premier éducateur à Suresnes, qui garde un œil attentif sur sa trajectoire. À onze ans, je l’avais surclassé en le faisant jouer avec les Benjamins et il n’a jamais plus quitté l’équipe. Pareil, ensuite, dans les catégories supérieures. À chaque fois qu’il intégrait une équipe, il était difficile de se séparer de lui. »
En Normandie, il s’est rendu incontournable. L’Angleterre, la découverte d’un nouveau pays et d’un football plus engagé ne l’ont nullement effrayé. En un seul exercice, il est parvenu à figurer dans l’équipe type de l’année en Premier League et à être en course pour le titre de meilleur joueur. « C’est une reconnaissance de mon travail » , lâchait-il d’ailleurs récemment, toujours à L’Équipe, en toute sobriété. Une évidence autant qu’une prouesse qui suffit à souligner la dimension prise en si peu de temps par le néo-Blue.
« Kanté doit faire du Kanté, pas du Makelele »
Forcément, la trajectoire ascendante de Kanté n’a pas échappé aux yeux de Didier Deschamps. En mars dernier, le sélectionneur tricolore lui a permis d’honorer sa première sélection avec les Bleus face aux Pays-Bas (2-3).
Une première qui en a appelé rapidement d’autres en raison du forfait de dernière minute de Lassana Diarra pour l’Euro 2016. Et s’il a évolué en tant que relayeur aux côtés de Drinkwater au sein du Leicester dessiné en 4-4-2 par Claudio Ranieri, N’Golo s’est accommodé avec brio du poste de sentinelle dans le 4-3-3 établi par la Desch’. Son championnat d’Europe étiré jusqu’en 8es de finale de l’Euro a fini de convaincre ceux qui avaient émis des doutes quant à son adaptation dans ce rôle. « C’est quelqu’un qui s’adapte très rapidement au système de jeu, ajoute Piotr Wojtyna. J’étais au Stade de France pour le match d’ouverture des Bleus face à la Roumanie. Quand j’ai vu N’Golo, j’étais vraiment impressionné. Il y avait une énorme pression. Je sais ce qu’il est capable de faire, mais il m’a surpris car il a montré une maturité incroyable par rapport aux choix qu’il a fait. Si quelqu’un ne connaissait rien foot et l’avait vu, il aurait eu l’impression de voir un joueur avec plus de soixante sélections. On le sentait relâché. »
Hermétique à la pression et aux immenses attentes. Imperméable, aussi, quand les comparaisons les plus flatteuses affleurent. Par son profil d’inoxydable milieu, de gratteur de ballon doué d’un sens de l’anticipation aiguisée, d’une lecture du jeu remarquable ainsi que d’une qualité et d’une variété de passes pas assez louées, N’Golo rappelle l’un de ses illustres prédécesseurs. Un certain Claude Makelele. « Comme lui, il a un gros volume de jeu, un petit gabarit, un centre de gravité assez bas et cette capacité de savoir ressortir le ballon sans être un technicien hors pair. C’est le joueur vraimentbox-to-box » , nous confiait en décembre dernier Habib Beye, consultant à Canal + et ancien défenseur passé en Premier League.
Un leader pour Conte
Avec sa venue à Chelsea, l’analogie a pris un peu plus d’épaisseur : son aîné ayant fait les beaux jours des Blues durant cinq ans (2003-2008). Mais ce dernier, sollicité par L’Équipe en juin dernier, refuse de se voir érigé comme modèle auprès de son cadet : « Kanté doit faire du Kanté, pas du Makelele. Il ne faut pas le comparer à moi, plutôt l’encourager. Son prochain d’objectif, ça doit être d’être perçu comme le base de son équipe. On doit entrer sur le terrain et se dire : « OK, il est là, il sera présent s’il y a un problème ». » À Chelsea, Kanté aura donc l’occasion d’étoffer sa palette, elle qui demande encore à être affinée. « Il ne faut pas oublier que c’est un jeune joueur au regard de sa carrière. Il a fait un an de Ligue 1 et un an de Premier League, cela représente seulement deux années au très haut niveau, souffle Piotr Wojtyna. Il va pouvoir encore plus développer son jeu avec une équipe comme Chelsea. Sa marge de progression est énorme, notamment dans le domaine offensif. Il peut participer plus au jeu vers l’avant et être intéressant dans des actions de percussion. Il a encore beaucoup à démontrer là-dessus. »
Prouver, Antonio Conte devra également le faire pour sa première année en Angleterre en s’appuyant, comme il l’a martelé lors de son intronisation, sur des joueurs chez qui « il existe une petite flamme qui peut se transformer en un enfer brûlant » . À pas feutrés, mais l’ambition de moins en moins voilée, N’Golo Kanté pourrait sans doute être le plus à même de brandir ce flambeau incandescent.
Par Romain Duchâteau
Propos de Piotr Wojtyna recueillis par RD