- Ballon d’or FIFA 2015
Le règne Messi-Cristiano Ronaldo peut-il s’arrêter ?
Ronaldo, Messi, Messi, Messi, Messi, Ronaldo, Ronaldo. Voilà, depuis sept ans, le palmarès du Ballon d’or. Un règne sans partage entre les deux meilleurs joueurs du monde, qui se défient chaque saison à grands coups de buts et de records explosés. Sneijder en 2010, Ribéry en 2013, Neuer en 2014 : tous ceux qui auraient mérité de soulever le trophée sont repartis bredouilles. Alors, pourquoi un tel règne ? Et surtout, quand est-ce que ces deux-là vont accepter de léguer leur couronne ? Analyse.
Sur la scène trône le globe doré, majestueux. Dans son écrin, pourtant, celui qui récompense le meilleur joueur du monde ne craint pas la surprise. Depuis 7 éditions, 8 dans quelques heures, le Ballon d’or n’a en effet été brandi que par deux paires de mains différentes : celles de Lionel Messi et de Cristiano Ronaldo. Un monopole de deux hommes sur un trophée qui déchaîne les passions : « Le Ballon d’or reste la récompense la plus prestigieuse qui existe dans le football. Les joueurs du monde entier seraient prêts à venir à pied jusqu’en Suisse pour le recevoir. C’est comme un Oscar pour les acteurs » , explique Paolo Condo, journaliste à la Sky Italia et votant depuis 2010. Une distinction ultime sur laquelle Messi et Cristiano Ronaldo ont fait main basse depuis des années en écrasant la concurrence. C’est simple, depuis 2008, les deux larrons squattent les deux premières places du podium, à l’unique exception de l’édition 2010, quand les deux milieux du Barça, Iniesta et Xavi, s’étaient alors glissés derrière l’Argentin. Un historique qui en dit long sur la domination sans partage des deux hommes et n’a donc plus qu’un seul intérêt : déterminer lequel de la Pulga ou de CR7 est le meilleur. Un débat qui agite les fans depuis près de 10 ans et a contribué à faire du Ballon d’or un objet de rivalité suprême entre les deux frères ennemis du football.
Sneijder, le grand exclu de 2010
Si aucun challenger ne parvient à s’immiscer dans le duel, c’est que la classe d’écart, au moins statistique, avec leurs homologues est indéniable. Les records amassés les uns derrière les autres par Messi et Ronaldo suffisent à s’en convaincre. CR7 a dépassé la barre des 500 buts en carrière, fin septembre, quand Messi détient le record du nombre de buts inscrits sur une saison (73), ainsi que sur une année (96), devant des monstres comme Gerd Müller ou Pelé. Meilleurs buteurs de l’histoire respective du Real et du Barça, le Portugais et l’Argentin se tirent également la bourre en Ligue des champions, avec une petite longueur d’avance pour Ronaldo pour le moment (89 buts contre 80).
En résumé, ils sont seuls au monde. Un fait sur lequel acquiesce volontiers Demetrio Albertini, ancien international italien et membre de la commission football de la FIFA : « Aujourd’hui, Messi et Cristiano Ronaldo sont ceux qui démontrent le plus, année après année, qu’ils sont les meilleurs. Et ce n’est donc pas illogique que le Ballon d’or soit devenu un duel entre eux deux. Sincèrement, ce sont les deux meilleurs joueurs de cette époque. C’est juste incontestable. » D’autant que les critères de vote ne laissent désormais plus de place aux autres concurrents.
Depuis l’édition 2010, le Ballon d’Or France Football a en effet connu une évolution fondamentale en fusionnant avec le titre de meilleur footballeur FIFA de l’année, pour ne former plus qu’un seul et même trophée : le FIFA Ballon d’Or. Un regroupement accompagné d’une quasi-disparition de consignes données à ceux qui votent. Michael Rabeson, capitaine de l’équipe de Madagascar, fait partie des votants : « Je n’ai pas de critères précis qui me sont donnés par la FIFA. Je reçois seulement la liste des 23 joueurs retenus. » Un simple coup d’œil aux documents officiels de la FIFA traitant des règles d’attribution du Ballon d’or confirme cette absence de directives : « La distinction est accordée pour les performances sur le terrain et pour le comportement d’ensemble, que ce soit sur le terrain ou en dehors. » Inutile de chercher toute précision supplémentaire, il n’y en a pas. Étonnant, quand on y compare le règlement bien plus étayé du Ballon d’Or France Football attribué avant 2010 en fonction de quatre critères principaux : « a- Ensemble des performances individuelles et collectives (palmarès) pendant l’année considérée ; b- Classe du joueur (talent + fair-play) ; c- Carrière ; d- Personnalité, rayonnement. »
Entre les lignes, la fusion du Ballon d’or a ainsi estompé l’influence du palmarès sur le résultat final. Un changement dont s’étonnait Wesley Sneijder, exclu du podium lors de la première année de la nouvelle formule, malgré un triplé historique avec l’Inter et une finale de Coupe du monde avec les Pays-Bas : « J’ai entendu que je ne serais pas sur le podium pour le Ballon d’or, avait-il confié juste avant l’annonce officielle. Comment est-ce possible alors que j’ai remporté la Serie A, la Coupe d’Italie et la Ligue des champions ? J’ai été finaliste et meilleur buteur à la Coupe du monde et je peux encore gagner la Coupe du monde des clubs. »
Lionel Messi, lui, pourtant éliminé en quarts de finale de la Coupe du monde et vainqueur de la seule Liga cette saison-là, l’emporte à l’aide de ses 56 buts sur l’année civile. Une hérésie pour certains, mais surtout, un vrai basculement dans l’attribution d’un trophée s’attachant désormais moins aux titres remportés qu’aux statistiques individuelles. Un constat sur lequel s’interroge également Philippe Piat, membre de la commission football de la FIFA : « Peut-être que les critères devraient être plus précis. Il y a toujours un flou, à savoir si les titres gagnés collectivement interviennent dans la désignation individuelle… Ça mériterait une précision, des barèmes, pour que ce soit moins à la tête du client et plus basé sur des réalités. Celui qui gagne son championnat national marque X points, s’il a marqué X buts, il a tant de points. Pour finalement, avoir un classement objectif et non plus subjectif. »
Critères et absolu
Mais cette subjectivité n’est pas uniquement due au brouillard émanant du règlement du FIFA Ballon d’Or. Depuis 2010, le vote s’est aussi ouvert aux sélectionneurs et capitaines de chaque Fédération affiliée à la FIFA. Un élargissement de l’électorat qui sert également la cause de Ronaldo et Messi, selon Paolo Condo. « Les pays exotiques qui n’ont pas la possibilité de voir le haut niveau comme la Ligue des champions doivent sans doute se contenter de quelques highlights. On n’y voit que des joueurs comme Ronaldo et Messi, parce que ce sont les plus forts, les plus connus, ceux qui font de la publicité. Ça devient donc normal pour ces pays de toujours voter Messi ou Ronaldo sans vraiment tenir compte de ce qu’il s’est passé au cours de la saison. » Une présomption dont se défend le Malgache Rabeson, qui assure avoir la légitimité pour élire son champion : « J’ai Canal Sat, donc je regarde beaucoup de matchs européens le week-end. Ensuite, quand je reçois la liste des nommés, j’ai déjà quelques idées en tête. Puis je me concentre sur ceux qui ont gagné des titres, ceux qui ont fait une bonne saison. » Preuve de sa bonne foi ? L’année dernière, en 2014, Rabeson a voté pour un improbable trio Lahm-Mascherano-Ronaldo. Cette ligne de conduite est partagée par Luc Holtz, sélectionneur du Luxembourg : « Je crois que, comme chaque entraîneur, je me renseigne toute l’année. On ne fait que regarder du football. On suit le football jour et nuit. Dans le monde moderne, je ne pense pas que ce soit un problème, il y a suffisamment de retransmission de matchs pour assister aux performances des uns et des autres. »
Pourtant, la réalité des faits est indéniable : le vote des capitaines et des sélectionneurs a bien changé la donne. En 2010, Wesley Sneijder aurait remporté le petit globe doré s’il n’avait été attribué que par les journalistes comme autrefois. Idem pour Ribéry, qui, en 2013, avait trusté les votes des professionnels des médias, avant de chuter à la 3e place du podium…
Aussi forts soient-ils, Messi et Ronaldo bénéficient donc de l’évolution des règlements. Paolo Condo, encore : « Le Ballon d’or avec lequel j’ai grandi était un Ballon d’or gagné par le meilleur joueur au cours de la saison prise en compte. En revanche, lors des dernières années, la tendance du Ballon d’or est de récompenser le joueur le plus fort dans l’absolu. Donc soit Messi, soit Ronaldo. » Dès lors, le Ballon d’or ne concerne plus que deux hommes. Deux hommes qui se livrent chaque année une bataille sur les terrains et en dehors, pour le titre de meilleur joueur du monde.
Et si Lionel Messi, lui, se défend « d’être en compétition avec Cristiano » et affirme « se concentrer uniquement sur les résultats de son équipe » , le Madrilène se veut plus direct : « Je ne me contente pas d’être le meilleur joueur du Portugal, je veux être le meilleur de tous les temps, voilà mon objectif. » Avec trois sacres, contre quatre (et bientôt cinq, a priori) pour la Pulga, CR7 n’a donc pas encore atteint son objectif. Et ce n’est vraisemblablement pas l’année 2015, au cours de laquelle Messi a tout raflé avec le Barça, qui va aider Ronaldo à revenir à 4-4.
« On ne peut pas reprocher aux meilleurs d’être là »
Au-delà de l’opposition entre les deux larrons, c’est une autre rivalité qui se catalyse autour du Ballon d’or. Real contre Barça, un des plus grands clubs contre un autre, le géant de la capitale contre le dissident catalan. Autant de raisons de faire de l’attribution du titre une source de conflits : « Aujourd’hui, le Ballon d’or est devenu une récompense que les deux clubs s’accaparent. Que Messi ou Ronaldo remportent le Ballon d’or, c’est aussi important pour ces clubs qu’une victoire en Ligue des champions. La rivalité entre Messi et CR7 est une sorte de stimulation entre les supporters » , détaille Alfredo Relaño, rédacteur en chef d’AS, le quotidien sportif le plus lu d’Espagne. À tel point que l’on n’imagine même plus un autre challenger l’emporter. Et qu’importe si cet outsider réalise une saison plus couronnée de succès que Cristiano Ronaldo et Messi : « De toute façon, ils disposent d’une longueur d’avance avec ce qu’ils ont montré et prouvé… C’est plus positif que quelqu’un qui arrive et qui fait des trucs extraordinaires une seule saison, analyse Philippe Piat. Regardez Lacazette, l’année dernière, il marque un but toutes les 30 minutes et cette année, il n’est plus aussi efficace. Il faut se méfier des constats rapides. Sur la durée, les deux sont toujours là. C’est normal qu’ils aient une cote d’amour plus positive que quelqu’un qui viendrait d’arriver. Ça joue, et c’est normal : si vous faites une belle saison, tandis que l’autre en fait 6-7 de suite… »
La régularité, un élément pour expliquer le leadership des deux hommes : « Prenons l’exemple de Lewandowski, complète Albertini. Il met un quintuplé au début de la nouvelle saison et donc, il a les lumières braquées sur lui juste avant l’élection du Ballon d’or. Mais on oublie qu’il n’a pas été aussi bon la saison dernière… » Sur la scène européenne, pourtant, impossible de trouver un joueur disposant de telles statistiques sur la durée. Mais cette année encore, et malgré leur belle saison, les Agüero, Pogba, Vidal, Müller, Lewandowski ou autres Neuer n’ont eu aucun espoir de victoire. Une situation frustrante mais établie, que Philippe Piat résume simplement : « C’est vrai que les gens aimeraient voir l’avènement de quelqu’un d’autre, car là, il n’y a plus de suspense. Tu sais que ce sont ces deux joueurs-là. Mais on ne peut pas reprocher aux meilleurs d’être là. »
Alors, la guerre pour le Ballon d’or est-elle perdue d’avance pour les autres footballeurs de la planète ? Pour Franck Ribéry, la réponse est évidente : « Tant qu’il y aura Cristiano Ronaldo et Messi, le troisième joueur désigné devrait comprendre qu’il n’a aucune chance. Quand un joueur du Bayern est nommé, nous devrions discuter pour savoir si c’est utile de se rendre à la cérémonie. Quel est le but ? Apparaître sur la photo ? » Ronaldo et Messi n’ont de toute façon jamais offert plus qu’un rôle de figurant aux autres candidats.
Article paru initialement en novembre 2015 dans SO FOOT CLUB #17
Par Raphael Gaftarnik et Eric Marinelli
Tous propos recueillis par EM et RG, sauf ceux de Sneijder dans De Telegraaf, de Ribéry dans Bild, de Messi et Ronaldo en conférences de presse.