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Le rap de Memphis
Encore peu connu de la sphère musicale, le Néerlandais Memphis Depay affole pourtant les compteurs YouTube : sa trap consciente, entre autocélébration sous autotune et introspection fait bel et bien mouche. Présentation d’un futur talent du rap batave.
Il y a dans la musique de Memphis Depay un doux paradoxe. La rencontre entre une autocélébration insolente et un besoin de prendre du recul d’un musicien parfois rattrapé par de vraies tranches de vie. Révélé il y a quelques années maintenant dans la scène rap d’Eindhoven au sud des Pays-Bas, Memphis Depay est un jeune artiste néerlandais que l’on voit constamment naviguer entre deux univers : celui du succès, qu’il affiche constamment dans ses paroles, et celui des responsabilités, qu’il évoque de plus en plus régulièrement dans sa musique. Pas forcément une surprise quand on regarde le parcours de ce musicien pas tout à fait comme les autres.
Entre arrogance et sensibilité
Avant de briller en solo sur sa chaîne YouTube (son dernier morceau Fall Back comptabilise près de 600 000 vues en 48 heures), Memphis Depay fait ses armes dans un collectif. Celui du label Rotterdam Airlines, émérite plateforme dédiée à la nouvelle scène du rap des Pays-Bas. Les débuts sont maladroits, mais honnêtes : d’un morceau à l’autre, le jeune homme d’origine ghanéenne se cherche, flirte d’abord avec le dirty south à la Lil Wayne sur Racks, puis commence à trouver sa formule : celle d’un rap dans son temps, aussi capable de fendre l’armure pour devenir un peu plus émotionnel. C’est notamment le cas sur Ik ben d’r sur la mixtape D.R.E.A.M.S. sortie en 2013, où, durant un peu moins de deux minutes, le jeune Néerlandais évoque les critiques à son encontre ainsi que le visage qu’il souhaiterait réellement voir lorsqu’il se fixe droit dans les yeux dans la glace.
Arrogance et sensibilité, tels sont les deux antagonismes qui vont finalement sceller le sort de la musique de Depay. Au point de lui faire – enfin – connaître le succès : s’il se rode d’abord en publiant quelques freestyles qui révèlent son amour des samples de soul mélancoliques du rap de New York (Kings & Queens) ou de la trap mélodique de MetroBoomin (5 Mili Freestyle), c’est véritablement avec No Love que le musicien révèle son vrai visage. Premier tube de la carrière de Depay, le morceau, entre chant et rap, est une parfaite synthèse de la singularité du bonhomme : tour à tour, Depay y raconte en anglais et en néerlandais son quotidien, sans en cacher ses aspects les plus durs. S’il connaît le succès et l’argent, cela n’efface ni ses soucis ( « Pas d’amour, pas d’amour, et l’argent que je gagne n’y fera rien » ) ni ses inquiétudes, qu’elles concernent son devoir d’exemplarité vis-à-vis de son nouveau filleul Thiago ou son désir d’aider la terre de son père qu’est le Ghana.
Désir d’être aimé et peur de décevoir
Pourquoi Memphis Depay plutôt qu’un autre ? Sans doute parce que dans sa manière de concevoir le rap, l’homme de 25 ans trouve une sorte d’exutoire. Un moyen d’exprimer ce qu’il ne peut pas nécessairement dire au quotidien. À une époque où la légèreté reste reine dans le rap, le Néerlandais arrive ainsi à tirer son épingle du jeu en livrant ici et là quelques bribes de pensées plus profondes. Derrière l’egotrip qui ponctue chacun de ses morceaux, on décèle ainsi un fond de pensée plus mélancolique, entre désir d’être aimé et peur de décevoir. Un double jeu musical qui fait la force de Memphis Depay. Et qui pourrait l’amener encore plus haut, s’il se décidait à faire un vrai choix de carrière. Car, aussi étonnant que cela puisse paraître, Memphis Depay ne vit pas encore de sa musique, et exerce aussi le métier de footballeur professionnel le reste du temps. Les chiffres encourageants de ses derniers titres sur YouTube pourraient bien lui mettre la puce à l’oreille sur son futur choix de carrière.
Retrouvez tous les sons de Memphis Depay dans notre playlist « Depay Rap » dédiée.Par Brice Bossavie