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ACTU MERCATO

Le Qatar, pas une simple maison de retraite dorée ?

Par Nicolas Jucha
Le Qatar, pas une simple maison de retraite dorée ?

Lucas Mendes (Marseille), l'espoir belge Maxime Lestienne (FC Bruges), Chico Flores et Pablo Hernández (Swansea)... Plusieurs joueurs en pleine force de l'âge ou à l'avenir prometteur ont fait le choix de signer au Qatar durant le mercato. Si les intérêts financiers sont évidents, les conséquences sportives peuvent faire réfléchir.

Les amateurs de football savent plus ou moins situer le Qatar sur une carte depuis 2003, quand plusieurs stars mondiales viennent y monnayer les dernières gouttes de leur talent. Franck Lebœuf (Al-Sadd), Ali Benarbia, Fernando Hierro et Mario Basler (Al-Rayyan), Stefan Effenberg et Gabriel Batistuta (Al-Arabi), Claudio Caniggia (Qatar SC) ou Pep Guardiola (Al Ahli Doha) sont les premières têtes d’affiche du championnat local, des noms pompeux auxquels s’ajoutent des soldats plus anonymes comme Djamel Belmadi (Al-Gharafa) ou Pascal Nouma (Al-Khor).

2003, l’éveil artificiel du championnat qatari

Une attractivité si soudaine a ses raisons : en 2003, la Ligue de football locale décide de subventionner chaque club de première division à hauteur de 10 millions de dollars annuels. Une seule condition : la somme doit être dépensée pour recruter des vedettes étrangères. Le mouvement s’accentue l’année suivante avec les arrivées de Sonny Anderson, des frères Ronald et Frank de Boer (Al-Rayyan), Christophe Dugarry (Qatar SC) ou encore Marcel Desailly (Al-Gharafa). Nous sommes en 2004, toutes ces stars du ballon rond ont dépassé la trentaine et n’ont plus le niveau pour évoluer sur le Vieux Continent. Été 2014, Lucas Mendes, Maxime Lestienne ou encore Pablo Hernández quittent respectivement Marseille, Bruges et Swansea pour jouer en Qatar Super League. Si les noms sont moins ronflants, les profils interpellent : Mendes, titulaire à l’OM et dans le viseur de la Lazio, Maxime Lestienne grand espoir belge que la rumeur envoie au Milan AC, et Pablo Hernández, titulaire en puissance en Premier League avec Swansea. Respectivement 24 ans, 22 ans et 29 ans, quand les stars de 2003 dépassaient toutes la trentaine…

« Ce n’est pas sportivement cohérent de signer au Qatar à 22 ans ou 25 ans, la priorité a clairement été donnée à l’aspect financier sur ces dossiers » , estime Laurent Gutsmuth, conseiller de Bacary Sagna. Pour lui, la pertinence de signer dans l’émirat arabe dépend des profils de joueur : « Si un joueur a un gros potentiel, il faut privilégier un club européen, il aura toujours le temps d’aller gagner beaucoup d’argent au Qatar. » Une remarque qui laisse perplexe quant aux choix de carrière de Lucas Mendes ou de Maxime Lestienne, dont les départs s’apparentent au transfert de Youssef El-Arabi à Al-Hilal, en Arabie saoudite, à l’été 2011. Fort d’une saison à 17 buts en Ligue 1 avec Caen, le Marocain avait clairement fait un choix financier, à 24 ans : « Il a signé là-bas car on lui offrait trois millions net annuels, c’était inespéré pour lui. Dans son cas comme dans celui de la plupart des joueurs signant au Qatar, il n’est aucunement question de logique sportive » , souligne Laurent Gutsmuth. Après un an sur place, El-Arabi est revenu en Europe pour porter les couleurs de Grenade, club au standing inférieur à ce qu’il pouvait espérer trois ans plus tôt.

Stades vides et compétitivité réduite

Certes, le Qatar offre plus d’argent, mais rien d’autre. L’ambiance ? Les chiffres officiels évoquent une affluence moyenne à 5000 spectateurs par match. « Je veux célébrer mes buts avec les spectateurs, mais à chaque fois que je marque et me tourne vers les tribunes, je réalise avec consternation que le public est virtuellement inexistant ici. Parfois, il y a quelques petits groupes de supporters, mais la plupart sont payés pour venir faire le nombre et mettre de l’ambiance » , expliquait sous couvert d’anonymat en 2011 un joueur brésilien du championnat qatari, des propos relayés alors par le quotidien sportif anglophone Doha Stadium Plus. Le challenge sportif ? Jouer la Ligue des champions asiatique – pour défier les terreurs japonaises, saoudiennes ou australiennes – reste la perspective la plus alléchante, même si les représentants qataris dépassent rarement les quarts de finale de l’épreuve, Al-Sadd victorieux en 2011 faisant figure d’exception. « Le foot, c’est juste un business comme un autre. Sauf si tu es un crack et que tu peux un jour jouer au FC Barcelone, il n’y a aucun intérêt à traîner en Ligue 1. C’est quoi le challenge ? Jouer contre Auxerre ou se faire balayer en Coupe d’Europe ? » expliquait Zak, un footballeur de la région parisienne, à un journaliste de Rue 89 en 2011, pour justifier l’attractivité de la ligue qatarie.

Pas évident de comprendre les motivations des quelques footeux qui tentent l’aventure trop jeunes, car sauf pour quelques exceptions nommées Bakary Koné ou Kader Keita, le Qatar n’a jamais été un tremplin. D’après Laurent Gutsmuth, il faut relativiser le phénomène tant dans son volume que dans l’importance qu’y donnent les joueurs : « Ces transferts au Qatar restent marginaux. Et puis les joueurs qui acceptent des offres du Qatar s’imaginent revenir dans les 2-3 ans qui suivent. » Une théorie confirmée par les faits, la plupart des grands noms qui signent au Qatar n’y restant pas plus de deux ans. Certains, comme l’Argentin Mauro Zárate aujourd’hui à West Ham, ne tiennent même pas l’année entière. Les exceptions qui confirment la règle s’appellent Ronald De Boer (quatre saisons), Sabri Lamouchi (trois saisons) ou encore Ali Benarbia et Djamel Belmadi, pour qui le petit émirat est devenu une seconde maison. L’ancien Bordelais a évolué trois saisons comme joueur avant d’être consultant pour Al Jazeera, tandis que l’ancien Marseillais n’a fait que deux saisons comme joueur avant de revenir comme coach depuis quatre ans, étant aujourd’hui à la tête de l’équipe nationale.

Du rêve au cauchemar

Mais le rêve qatari peut parfois tourner au cauchemar. Dans un pays où il faut un visa de sortie, mieux vaut ne pas être en conflit avec son club. Abdeslam Ouaddou, ancien de Nancy, Rennes ou encore Valenciennes, l’a été en 2012 avec le Qatar SC. Dans un entretien accordé au Monde en 2013, ses propos faisaient froid dans le dos : « Ils m’ont obligé à m’entraîner aux heures les plus chaudes, quand le thermomètre oscillait entre 40 et 50°C. Puis ils ont cessé de me payer. Pour eux, je n’existais plus. Au Qatar, un contrat de travail n’a pas la même valeur qu’ailleurs. Du jour au lendemain, si ta tête ne leur revient plus, ils te jettent comme une vieille chaussette. Le Qatar m’a traité comme un esclave. » Zahir Belounis, Stéphane Morello et d’autres, autant d’histoires de joueurs et techniciens partis chercher fortune au Qatar et qui y ont vécu un calvaire.

« Les joueurs qui ont eu des soucis au Qatar, ce ne sont pas les grandes stars comme Batistuta. Les clubs qataris ne se risqueraient pas à créer des problèmes avec ce type de joueurs. Par contre, pour un joueur de niveau L2-National, il faut y réfléchir à deux fois avant de partir, car si cela se passe mal cela peut devenir compliqué, on a moins de garanties » , précise Laurent Gutsmuth, citant en exemple le transfert avorté de Mustapha Yatabaré, finalement resté à Guingamp. « On a essayé de lui faire accepter un contrat stipulant qu’en cas de litige avec le club, les tribunaux internationaux étaient incompétents et que seuls des tribunaux qataris et le droit qatari pouvaient être saisis. » Facile d’imaginer que l’attaquant se sent plus en confiance en Bretagne. Malgré ce manque de certitudes, le Qatar continue d’attirer régulièrement de nouveaux talents parce que « la logique de beaucoup de footballeurs actuels est de prendre ce qu’ils peuvent prendre le plus vite possible » , analyse Laurent Gutsmuth, pour qui la situation économique des clubs européens a également un impact : « Il y a moins de clubs capables de mettre sur la table des sommes conséquentes, ce qui rend le marché plus atone. L’exemple de Valbuena est caractéristique, il n’a pas eu beaucoup de choix alors qu’il est reconnu et international en puissance. » En Russie, Valbuena peut encore parler de challenge sportif, au Qatar, même lui n’y aurait pas cru.

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