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Le Qatar lève le voile sur son Mondial
À 17 heures, le Qatar verra enfin son Mondial prendre vie. Après douze ans de polémiques, de débats et de critiques, la folie des grandeurs de l'émirat va se heurter à la réalité, avec un match d'ouverture opposant le pays hôte à l'Équateur.
Pendant que les maillots de tous les pays défilent devant la terrasse du restaurant, Jaled sirote à petites gorgées son chaï. Sous sa barbe, un petit sourire peine à se dissimuler. Ce natif de Doha sera demain dans une tribune, prêt à cueillir comme l’ensemble de ses compatriotes un fruit qui a mis douze ans pour murir. Tant pis si les vers l’ont plutôt bien attaqué. De l’explosion de joie sur la place centrale du Souq Waqif le 2 décembre 2010, lorsque Sepp Blatter a déplié le petit bout de papier confirmant l’attribution du Mondial au Qatar, au spectacle son, drones et lumière prévu ce dimanche sous la toile du stade Al-Bayt, c’est bien le scepticisme qui a coloré la préparation de cet évènement. À tel point que le boss de la FIFA a décidé de mettre son corps en travers. « Vous voulez critiquer quelqu’un ? Ne mettez pas les joueurs, les sélectionneurs ou le Qatar sous pression. Critiquez-moi. Vous pouvez me crucifier, je suis là pour ça », tançait Gianni Infantino, bras écartés, en conclusion de son discours d’accueil face à la presse. Comment en est-on arrivés là ? Pourquoi avoir sacrifié son intégrité de dirigeant, des sommes astronomiques, des vies humaines, son bilan carbone et tant de principes moraux pour accueillir le temps d’un tout petit mois le monde du football sur une excroissance de sable au milieu du Golfe persique ?
Battre la démesure
Ces questions n’ont pas encore trouvé de réponse. Tout ce que l’on sait, c’est que cette édition du Mondial a coûté la bagatelle de 220 milliards de dollars – soit sept fois plus que l’addition des sept dernières coupes du monde -, des milliers de morts sur les chantiers et entre 3,6 et 6 millions de tonnes de CO2. Pour ce qui est des libertés individuelles, les mœurs locales se sont détendues pour que l’ensemble des visiteurs (et consommateurs) puissent se sentir les bienvenus, sans garantie que l’homosexualité ou le droit des femmes soient reconsidérés dans l’émirat régi par la loi islamique. Certes, des voix se sont élevées ces dernières heures pour protester contre l’interdiction intempestive de l’alcool autour des stades, mais cela n’empêchera pas les organisateurs de croire aux chances d’assister à la « meilleure Coupe du monde de l’histoire », comme le pronostiquait samedi l’ex-Monsieur Boules de la FIFA. Finalement, c’est à partir de ce 20 novembre et jusqu’au 18 décembre, jour de fête nationale au Qatar et accessoirement de finale, que la solidité de ce château de cartes sera jugée.
Sur le plan organisationnel, pour le moment et en attendant que Doha ne dégueule de supporters, les consignes semblent claires. De la Corniche au Souq Waqif, lieux privilégiés des liesses encadrées, comme aux abords des huit stades, tout semble parfaitement huilé. Sans s’avancer, le risque d’assister à une cacophonie comme lors du match test à Lusail en septembre s’est amenui. Pour cause, le schéma de jeu est respecté à la lettre par les 100 000 personnes réquisitionnées pour faire tourner le manège. Rien qu’en déambulant dans les rues de la capitale qatarie, on peut difficilement passer au travers du maillage mis en place. Sans parler de la vidéosurveillance omniprésente, chaque recoin est quadrillé par une escouade d’agents de différents services. Tous les quatre ou cinq mètres, on croise alternativement un survêtement turquoise pour vous guider, un gilet bleu pour aider à la circulation, une chasuble violette pour s’assurer de la propreté, un gilet jaune chargé de la sécurité, une veste aux épaulettes bleu et rouge chargée de superviser, un blouson noir pour intimider et une thobe blanche qui observe discrètement l’ensemble. Imprenable, sur le plan tactique. Il faudra bien sûr s’assurer que l’édifice supporte la pression des flots de supporters qui, d’expérience, n’arrivent pas toujours à se limiter au cadre imposé, sachant que la Coupe du monde se dispute pour la première fois depuis 1930 dans une seule et même agglomération.
Doha au but
Sur le plan sportif, les choses sont plus floues. À 17 heures, le Qatar s’élancera sans filet dans sa première Coupe du monde. Les longs mois de stage en Espagne ou en Autriche, ces matchs amicaux plus ou moins rassurants et toutes les railleries quant au niveau supposé de l’équipe resteront derrière le rideau, et c’est une tout autre histoire qui s’écrira pour Al-Annabi (les Bordeaux, en VF). « C’est un jour historique, de joie pour les joueurs, le staff, rapportait Felix Sánchez Bas, le sélectionneur des champions d’Asie, au cours d’une conférence extrêmement policée. Nous allons enfin jouer à la maison, face à nos fans. Nous avons fait d’énormes efforts dans le pays, investi énormément pour accueillir cette Coupe du monde et nous ferons en sorte d’essayer d’être compétitifs face à l’Équateur, que je considère comme le favori de ce match. »
En face, la Tri opposera toute sa combativité, leitmotiv bien imprimé par son sélectionneur Gustavo Alfaro, alors que la sélection sud-américaine a vécu sa qualification comme un véritable chemin de croix. Entre les barrages et les menaces d’exclusion pour l’affaire du passeport de Byron Castillo, finalement pas retenu dans les 26, l’Équateur a longtemps été assis sur un strapontin. « On a traversé des épisodes qu’on n’aurait pas dû traverser, mais on ne veut pas se positionner en victimes. J’ai toujours voulu aller de l’avant, assure le Profe Alfaro. Le pays avance dans cette Coupe du monde comme dans un rêve, et nous gardons ça en tête. » Comme pour chaque équipe opposée au pays organisateur, qui plus est un soir d’ouverture, difficile de savoir ce qui les attend. Le contexte entourant ce Mondial controversé ne fait qu’amplifier la pression. Vendredi, ils ont par exemple dû faire face à une suspicion de corruption (une rumeur avançait que le Qatar avait proposé 7,4 millions de dollars à huit joueurs équatoriens pour que la rencontre se solde par une victoire 1-0 pour les locaux). Samedi, le milieu Moisés Caicedo a été lui interrogé sur son sentiment de réaliser son rêve de Mondial dans un pays comme le Qatar. Son coach a alors volé à son secours : « Ce sont des footballeurs, ils sont évidemment concernés par les droits de l’homme, mais ils ont leurs propres rêves, leur talent et ils n’ont pas à répondre à ces questions. » L’ensemble des journalistes équatoriens ont alors réservé une salve d’applaudissements à leurs représentants. Si vous avez une critique, merci de l’adresser à Gianni.
Par Mathieu Rollinger, à Doha
Photos : MR et Iconsport.