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« Le Qatar est une porte vers la liberté, mais à quel prix ? »

Par Maxime Brigand, à Doha / Illustration générée par MidJourney
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Alors que 1500 à 2000 travailleurs népalais quittent leur pays chaque jour pour rejoindre des pays du Golfe, beaucoup en reviennent, s’ils en reviennent, avec des maladies graves sans que les familles ne touchent la moindre compensation. Explications avec le journaliste d’investigation népalais Ramu Sapkota.

Un homme en chemisette avance, tête baissée, sous le soleil de Doha. Un Qatari s’approche de lui et le houspille alors qu’il tente d’entamer une conversation. Il s’appelle Kaushal. Il vient du Népal, a la quarantaine et est arrivé dans le coin il y a un peu plus de cinq mois pour « aider sa famille ». Il ne peut plus le faire à cause d’une maladie des reins et doit prendre demain la direction de l’aéroport de Doha. Il dit, au bord des larmes : « Dès que je suis tombé malade, on a cessé de me payer, on m’a abandonné. J’ai seulement mon billet d’avion, mais je n’ai même pas de quoi me nourrir ou prendre un taxi pour aller à l’aéroport. » À son arrivée au pays, comme beaucoup d’autres avant lui, il sait ce qui l’attend : la dialyse. Le journaliste népalais Ramu Sapkota, qui travaille aujourd’hui pour le Center for Investigative Journalism (CIJ), un organisme indépendant et à but non lucratif qui produit des reportages d’investigation, s’intéresse depuis 2017 au destin de ces revenants du Golfe. Il raconte.


Comment est vécue cette Coupe du monde au Népal ?Il faut savoir que les Népalais sont très fans de football. Il y a beaucoup de supporters du Brésil, de l’Argentine, de la France et du Portugal ici. Depuis le début de la compétition, ils regardent les matchs chez eux, mais j’en vois aussi beaucoup se rassembler en extérieur. Tout le monde est concerné, y compris ceux qui sont allés travailler au Qatar et sont revenus. Dans certains endroits, j’ai même vu des gens accrocher le drapeau de leur nation favorite. Certains ont le sentiment que c’est aussi leur tournoi.

Quand as-tu assisté aux premiers départs au Qatar ?J’ai commencé à écrire et faire des reportages au sujet des travailleurs migrants il y a cinq ans quand je travaillais pour l’hebdomadaire Himal News et le Nepali Times. Aujourd’hui, je collabore pour le Telegraph et parfois pour le magazine Time. Je crois que j’ai vu des citoyens népalais quitter le pays pour aller dans le Golfe, en Europe ou dans des pays d’Asie depuis presque toujours. Je suis originaire des montagnes du Népal, près de Pokhara, et lorsque je faisais mes études, beaucoup de personnes partaient déjà, notamment en raison de la guerre maoïste. Aujourd’hui, un grand nombre d’entre eux travaillent encore en Malaisie, au Qatar, en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis… Ceux qui partent ont des compétences, mais sont en général les plus pauvres et les moins qualifiés. D’ailleurs, aujourd’hui, avant d’aller au Qatar, ils sont aujourd’hui obligés de suivre une formation pour apprendre comment travailler, où et quand traverser la route, ce que signifient certains panneaux routiers… Pour la plupart, ils viennent de régions reculées du Népal, notamment du Teraï.

Pourquoi décident-ils de partir ?Pour gagner de l’argent, car le Népal est confronté à d’importants problèmes de pauvreté et à un chômage très haut depuis des décennies. S’ils partent, c’est pour survivre et aider, via leurs revenus, les membres de leur famille à couvrir les frais d’éducation et de santé. Le souci est que certains travailleurs migrants n’obtiennent pas les salaires et autres services prévus dans les contrats qu’ils signent en arrivant au Qatar ou dans d’autres pays du Golfe. Ils sont souvent analphabètes et n’ont aucune connaissance du droit du travail. Beaucoup ont donc été trompés sur leur salaire, sur les horaires, sur les conditions de vie… Certains sont morts dans le Golfe, et une partie de ceux qui sont revenus après avoir vécu là-bas pendant des mois ou des années est rentrée au Népal avec des maladies : insuffisance cardiaque, cirrhose du foie, maladies rénales… Certaines de ces maladies sont liées à leurs conditions de travail. Les membres de leur famille tentent donc logiquement d’obtenir une compensation du gouvernement népalais. Au Népal, nous avons un conseil de promotion de l’emploi à l’étranger qui a le pouvoir d’accorder une certaine forme d’indemnisation aux personnes décédées ou revenues du Golfe et d’autres pays avec des maladies et des blessures.


Sauf que ce n’est pas si simple, si ?Exact. Ce conseil est formé sous l’égide du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale du Népal, mais la plupart des personnes qui sont revenues du Qatar ne savent même pas comment demander une indemnisation, et certains ne peuvent pas en obtenir car ils n’ont pas certains documents. Parfois, les gouvernements et les entreprises de ces pays du Golfe ne fournissent pas les documents nécessaires : ceux liés aux maladies, aux blessures, ou même les certificats de décès. Sans ça, il est impossible d’obtenir d’indemnisation de la part de l’office de promotion de l’emploi à l’étranger.

Mais cette situation est-elle évoquée au Népal ?C’est là tout l’enjeu. Ces dernières années, j’ai parlé avec beaucoup de migrants partis au Qatar par téléphone ou sur Messenger. J’ai aussi vu beaucoup de leurs messages sur Facebook concernant leurs conditions de vie. J’ai ensuite parlé avec des dizaines de rapatriés et de membres de leur famille pour connaître leurs conditions de travail dans ces environnements très chauds, mais au Népal, la plupart des médias n’est pas en mesure de faire entendre la voix des travailleurs migrants et la profondeur de leur douleur, car ils abordent cette question en la généralisant. Certains évoquent quand même cette situation, car les problèmes se sont répétés, mais le gouvernement doit aider ces familles. Aujourd’hui, les représentants du gouvernement népalais disent : « Oui, on sait que ça arrive, mais on ne peut pas empêcher ce genre de choses… » En même temps, vous avez de nouvelles personnes qui partent et répondent : « On n’a pas le choix. On n’a aucune option d’emploi ici, au Népal, on doit nourrir nos familles… » Mon travail, en tant que journaliste, est de mettre la situation sur la table. C’est très complexe comme situation, car j’ai encore vu il y a peu un père revenir du Qatar avec une maladie rénale. Il voulait encore laisser partir son fils dans le pays.

Il y a aussi un problème systémique dans le pays avec le système de castes.Bien sûr. Ces gens veulent manger et doivent quitter leur pays pour pouvoir le faire, mais pourquoi ? Au Népal, en partie à cause de ce système de castes. Il existe un système appelé « haruwa-charuwa » : haruwa pour les personnes qui doivent labourer la terre et charuwa pour celles qui doivent surveiller le bétail. Ce système existe principalement dans la communauté dalit de la région du Taraï. « Les Intouchables » sont des personnes qui travaillent encore pour les propriétaires terriens et doivent leur donner de l’argent tous les mois, alors qu’ils gagnent quelque chose comme 500 roupies par jour. Aller au Qatar, ou dans d’autres pays, est donc une chance pour sortir de ce système, sauf qu’ils doivent toujours demander aux propriétaires terriens de financer le voyage et doivent toujours leur redonner quelque chose comme 3 à 5% de ce qu’ils gagnent par mois. Le système est fermé, car derrière, il existe au Népal une importante collusion entre ces mêmes propriétaires terriens, les fonctionnaires du gouvernement et la justice. Aux élections, des voix sont échangées contre un emploi. Le Qatar est devenu une porte vers la liberté, mais à quel prix ? C’est au gouvernement d’aider ses citoyens.

Paul Pog’back

Par Maxime Brigand, à Doha / Illustration générée par MidJourney

Ramu Sapkota a également collaboré à la réalisation de l'enquête Les Esclaves de l'homme-pétrole, réalisée par Sebastian Castelier et Quentin Müller (Marchialy).

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