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Le public, grand oublié de la sécurité de l’Euro 2016 ?
Les autorités publiques et les organisateurs de la compétition travaillent d'arrache-pied, dans un contexte des plus tendus, pour que le tournoi se déroule dans les meilleures conditions possibles. Mais alors qu'on ne cesse de parler d'hypothétiques actes terroristes ou de troubles liés à l'ordre public, il semblerait que la question du public ait été quelque peu oubliée. Alors, qu'en est-il à trois jours du match d'ouverture entre la France et la Roumanie ? Tentative d'explication.
Si le ballon rond est une fête permanente, alors l’Euro est sans aucun doute l’une des plus grandes ribouldingues du calendrier footballistique. Pourtant, à l’heure d’entamer les hostilités, de sortir les petits fours et de sabrer le champagne, il semble que la plupart des invités aient un peu la tête ailleurs, partagés entre l’envie de se mettre bien et la frousse de voir la situation dégénérer. Et pour cause, la grande fiesta du foot européen va se dérouler, sur le dancefloor français, dans un contexte extrêmement tendu, entre menace terroriste, menace hooligan et climat social délétère. Mais pour que le grand show se déroule de la meilleure des manières, tout a été mis en place pour parer au pire. 77 000 policiers, gendarmes et CRS, ainsi que 13 000 agents de sécurité, seront sur le pied de guerre pour veiller à ce qu’aucun invité indésirable ne se glisse dans la liste des convives. Reste que si les portes de la boîte de nuit semblent bien gardées, il plane tout de même dans l’air une sensation assez étrange : celle que les festivaliers sont finalement les grands laissés-pour-compte.
OM-PSG, un fiasco pas jojo
C’est en tout cas le sentiment qui a pu apparaître après les événements survenus lors de la finale de Coupe de France entre l’OM et le PSG, au Stade de France, le 21 mai dernier. En effet, ce qui passait clairement comme une répétition générale de la mise en place du dispositif de sécurité avant le début de la compétition (idée démentie depuis par le comité d’organisation de l’Euro 2016) s’est très vite transformé en fiasco sans nom. Et dans tout ce fatras, c’est bien le public, censé être au centre de toutes les attentions, qui a payé les pots cassés. Portes d’accès au SDF limitées au nombre de 4 (contre 24 habituellement), bousculades, mouvements de foule, palpations sommaires voire inexistantes, charges des forces de l’ordre, gamins en pleurs et tensions extrêmes, voilà en gros le sombre tableau d’une soirée qui ne restera pas dans les annales du grand livre de la gestion de la foule. À 20 jours du lancement de l’Euro, tout cela fait un peu tache.
Parfaitement conscient du dawa provoqué ce soir-là dans et aux abords du Stade de France, David Michaux, le secrétaire général CRS du syndicat de police UNSA, tente cependant d’en retirer un minimum de positif : « S’il n’y avait pas eu ces incidents-là, je pense qu’on aurait été bien plus en danger pendant l’Euro. » Avant de finalement sortir l’artillerie lourde : « Ils ont voulu faire un essai et on voit que ça n’a pas été fructueux du tout. Alors moi quand j’entends : « Oui, mais les palpations pourront se faire rapidement », ça me choque profondément. Comment peut-on raisonnablement accepter l’idée de faire passer environ 20 000 personnes sur une même porte d’accès ? Vous imaginez le danger que cela peut représenter ? À aucun moment, on ne peut accepter ce qui s’est passé là. Ça a été le flou artistique, le bordel total. Comment ont-ils osé proposer un tel dispositif ? Je me le demande encore aujourd’hui. On aurait pu avoir ce qu’on a connu au Heysel avec des mouvements de foule meurtriers. On n’en était pas loin… »
Beaucoup de questions et plus tellement de temps
Malgré l’image déplorable offerte au monde entier ce soir-là en matière de gestion de la foule à la française, ces erreurs devraient au moins permettre de rectifier le tir avant que les premiers ballons de l’Euro 2016 ne roulent sur les billards hexagonaux. Au lendemain de ce match, une réunion d’urgence a en effet été organisée par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve avec les représentants de la FFF et de l’Euro 2016 SAS, afin d’en tirer les leçons et éviter que la fête du foot ne se transforme en fête du slip. « Maintenant, qu’est-ce qui a été dit ? Est-ce qu’on a vraiment mis en avant les avis de professionnels ?, s’interroge David Michaux. J’aimerais bien le savoir, puisque nous n’avons strictement eu aucun retour à ce sujet… Je me demande encore si les organisateurs de l’Euro 2016 vont être ok pour mettre en application les conseils donnés par les professionnels. Parce que eux, leur seul intérêt, c’est de faire du fric… »
Tout aussi étonnant que ce manque de coordination et de dialogue, l’absence à la table des discussions des représentants des agents de sécurité, pourtant en première ligne dans les stades de foot et au centre de toutes les critiques après le bordel du 21 mai. « Notre message après ces événements, c’est : « Écoutez-nous, respectez-nous. » Or, jusqu’ici, on est de la chair à canon, on nous dit : « Faites ci, faites ça » et on ne nous écoute pas alors qu’on a une très grande expertise de ces problématiques de terrain » , déplore Olivier Duran, porte-parole du SNES, le syndicat national des entreprises de sécurité. Selon lui, il est un peu facile de « balancer le bébé avec l’eau du bain. Qu’est-il ressorti de cette réunion où nous n’étions pas conviés ? Que la sécurité dans les stades est du ressort des agents de sécurité privée. Ils ont sorti le parapluie en gros… Quand ça va mal, il faut toujours un coupable, et le coupable tout désigné, c’était la sécurité privée. C’est vraiment un discours très politique… Mais ce n’est pas grave, on a l’habitude ! Ce que nous pouvons dire de notre côté, c’est que la sécurité n’est efficace que si elle est globale. Le maillon « sécurité privée » n’est qu’un des maillons du dispositif. On est censés travailler en coordination avec les autres forces de sécurité. Or si cette coordination n’est pas bonne, la sécurité globale n’est pas bonne. »
Et toi, public ?
Dialogue et coordination entre les différentes forces de sécurité sont les maîtres mots pour que cet Euro se déroule sans accroc et que le public, au centre de toutes les attentions et pourtant paradoxalement mis de côté, puisse jouir pleinement et avec le sourire de cette compète. Jusqu’ici, les fans de foot n’ont pas donné l’impression de trop se laisser bouffer par la peur. Tant mieux. Chez les agents de sécurité, quelques craintes – légitimes – subsistent. Olivier Duran joue cartes sur table : « Même si, depuis les attentats, on assiste à un vrai élan de sympathie vis-à-vis de notre profession, c’est vrai aussi qu’il y a des inquiétudes qui s’expriment, à juste titre, notamment à travers la voix des syndicats. On évoque la possibilité d’avoir des gilets pare-balles ou des choses comme ça, mais c’est malheureusement impossible. » Du côté des forces de l’ordre, ce n’est pas la peur, mais la fatigue qui pointe le bout de son nez après des mois de travail dans un pays désormais en état d’urgence permanent. « Oui, c’est sûr que la fatigue est bien présente, acquiesce le secrétaire général CRS de l’UNSA. Mais ce n’est pas seulement à cause de ce qui se passe dans le pays depuis plusieurs semaines (les manifestations contre la loi travail, ndlr), la fatigue, elle date au moins de 2015. Il faut dire que la charge de travail est conséquente et il n’est pas rare que sur des missions, on puisse faire des journées de 15-16 heures. Mais on reste des professionnels et nous sommes prêts pour cet Euro de football. »
Mais pour que la chaîne glisse parfaitement sur le pédalier, encore faut-il que tous les maillons soient montés ensemble. Or il semble qu’il y en ait un, essentiel, qui ait été oublié à l’atelier. Noyés dans la vague politico-hystérico-médiatique qui balaie la France depuis les attentats de janvier et novembre 2015, les supporters de football présents en France durant la compétition se demandent encore à quelle sauce ils vont être croqués. Sur ce point, David Michaux hoche la tête de bas en haut : « Tout est fait pour que la menace terroriste et hooligan soit annihilée, mais en revanche, les milliers voire les millions de touristes qui vont venir chez nous pour voir des matchs de foot ou qui vont se rendre dans les fan-zones sont complètement oubliés… On est en train de mettre en place des dispositifs de fan-zones gigantesques, par exemple à Paris sur le Champ-de-Mars où on va avoir près de 80 000 personnes, et ça peut s’avérer dangereux pour les supporters eux-mêmes. Si, et je croise évidemment les doigts pour que ça n’arrive pas, un ou plusieurs débiles se font sauter au milieu de tout ça, on aura en plus des pertes humaines directes, des mouvements de foule incroyables et des gens qui se feront piétiner, ce qui pourrait là aussi entraîner de nouveaux morts… »
Wanted : Sensibilisation du public !
Pour Olivier Duran, « il faut aussi considérer les gens qu’on est en train de sécuriser, il faut responsabiliser les fans, le public, les citoyens. On ne peut pas avoir une bonne sécurité si notre principal partenaire, le public, n’est pas sensibilisé sur le sujet. Et je dis bien sensibilisé, pas hystérisé. J’attends, au lieu de l’hystérisation qu’il y a actuellement, une vraie sensibilisation du public afin qu’il se rende au stade bien à l’avance pour que les flux soient souples et que les procédures de sécurité puissent être faites sans bousculade. Or je ne crois pas avoir beaucoup entendu ça jusqu’ici… Regardez ce qu’il se passe dans les aéroports depuis le 11 septembre 2001. Aujourd’hui, les gens arrivent à l’aéroport trois heures à l’avance et ce n’est pas pour les beaux yeux du pilote, c’est pour la sécurité ! On se doit de penser au public, à sa maturité, à son intelligence, pour qu’à un moment donné, la fête puisse prendre le dessus. » Car il s’agit effectivement bien d’une fête du football, il ne faudrait pas l’oublier.
Par Aymeric Le Gall
Tous propos recueillis par ALG