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Le projet Marcos Llorente
Recruté l’été dernier au Real pour remplacer un Rodri parti à Manchester City, Marcos Llorente, transformé en second attaquant par Diego Simeone, est la sensation du post-confinement en Liga et la surprise tactique du moment. Dépliage d’un projet qui paraissait improbable sur le papier.
Sur l’instant, Santiago Solari est à deux doigts de faire exploser les boutons de sa veste. Décembre 2018, à Abu Dhabi, jour de levée de la quatrième Coupe du monde des clubs de l’histoire du Real Madrid. Au bout d’une finale facilement remportée face à Al-Aïn (4-1), il n’y en a que pour lui. Marcos Llorente, vingt-trois piges, a inscrit le second but de la rencontre d’une superbe volée à l’entrée de la surface adverse, mais a aussi fait beaucoup plus que ça : le jeune milieu, formé à la maison et dont la moitié de l’arbre généalogique est passée au club, a fait glisser l’intégralité des observateurs dans sa poche. Huit jours plus tard, Jorge Valdano prend la plume pour El Pais et décide de placer Llorente au cœur de sa chronique. Le titre : « Comment sortir de l’oubli ». Les mots : « Pendant un an et demi, nous ne savions pas s’il était à la hauteur, car il n’a jamais eu la chance de disputer les cinq matchs d’affilée nécessaires pour juger un joueur. Pour certains, c’était du temps perdu, pas pour lui. Il s’est entraîné comme un marine, a pris soin de lui comme un moine et a su attendre son tour comme un seigneur. Et, quand son tour est arrivé, il a livré un récital. »
L’Espagne du foot n’a pas attendu que le Real parte en voyage aux Émirats arabes unis pour découvrir Llorente : elle connaissait même déjà tout de lui et de ses qualités, balancées aux yeux de tous lors d’un prêt à Alavés lors de la saison 2016-2017, d’où il était reparti avec le statut de meilleur récupérateur de la saison, l’étiquette de joueur de champ le plus utilisé du club et une finale de Coupe du Roi perdue face au Barça. Trop simple ? Bien sûr : à son retour à Madrid, l’ancien ailier, replacé au milieu par Fernando Morientes lors de ses années chez les U19 du Real, ne goûte qu’à une poignée de minutes sous les ordres de Zidane, entrevoit de nouveau la lumière avec Solari, puis voit la bougie s’éteindre lors du retour de Zizou sur le banc madrilène. Bilan des deux saisons, une vingtaine de titularisations en Liga, quelques autres dans les autres compétitions disputées par le Real. Tout sauf un décollage parfait. Que faire ? Partir. On le juge « sur mesure » pour l’Atlético afin de remplacer Rodri, parti à City : affaire ficelée contre un chèque de quarante millions d’euros. Et retour du triptyque marine, moine, seigneur.
« Marcos pensait qu’il pouvait être attaquant… »
Accouchement, surtout, d’une version 2.0 du joueur, qui a d’abord dû gober les miettes laissées au milieu par Koke, Partey et Saúl, avant de changer de fonction lors de la prise d’assaut d’Anfield, en mars. On connaissait le Marcos Llorente milieu accrocheur, travailleur, machine à laver. Un Llorente nouveau est né, sorti de nulle part, passé en quelques semaines à peine du milieu classique espagnol, capable de sortir le ballon proprement en toutes circonstances, à un rôle de second attaquant agile, dribbleur et brillant pour faire sauter les lignes adverses. Il y a d’abord eu Liverpool, son entrée à l’heure de jeu pour remplacer Diego Costa, inscrire un doublé décisif et lâcher une passe décisive merveilleuse pour Álvaro Morata. Il y a ensuite eu la confirmation dans un nouveau rôle dès la reprise, justifiée il y a quelques jours par Simeone : « Marcos pensait qu’il pouvait être attaquant, et le regarder s’entraîner tous les jours, avec sa force et sa confiance en tirant au but, offrait la possibilité de l’essayer. Vous devez profiter au maximum de ces opportunités dans le football. Il reste toujours une option importante au milieu de terrain parce qu’il apporte vision et qualité à notre jeu. Mais il est une autre alternative dans une position où il n’est pas facile de trouver un équilibre pour que l’équipe joue vraiment. » Un équilibre que Diego Simeone n’a jamais vraiment réussi à trouver avec les associations João Felix-Morata, Morata-Costa ou Costa-João Felix. « Ce qui se passe avec Marcos est similaire à quand Griezmann est venu ici, a également soufflé le Cholo. Je l’ai vu comme un deuxième attaquant ou un avant-centre quand tout le monde me disait qu’il n’était qu’un ailier. »
Coup tactique improbable
Dans les faits, voilà ce que ça donne. Posé aux côtés de Costa à Bilbao (1-1), quelques minutes face à Valladolid (1-0) et contre Levante (1-0), puis avec Morata à Pamplune (0-5, deux passes décisives et un but pour Llorente en 27 minutes), on a vu Marcos Llorente devenir instantanément le joueur déstabilisant cherché depuis plusieurs mois par Simeone, alors qu’il était l’un de ses joueurs les plus sobres offensivement jusqu’ici.
Trouvé par Ángel Correa au milieu de trois joueurs de l’Athletic, Llorente se retourne et lance Carrasco en profondeur.
À Osasuna, situation similaire : Llorente est de nouveau trouvé dos au jeu et rentre à l’intérieur avant de lancer parfaitement Morata en profondeur.
Alors que de nombreux joueurs reculent et épurent leur jeu au fil de leur carrière, Llorente, lui, a avancé d’un cran et élargi son arsenal tactique. Capable d’être une sorte de dix en phase de construction, l’ancien international espoir espagnol est aussi utilisé pour faire remonter le bloc dans un rôle de pivot.
Après un centre repoussé par la défense de l’Atlético, Llorente décroche et vient former un triangle avec Partey et Koke pour sortir le ballon rapidement.
Alors que Koke a le ballon, Llorente décroche de nouveau pour former un triangle avec Thomas Partey.
Autre séquence répétée, notamment lors du match à Levante : la recherche de Llorente dans l’interligne ou en profondeur par Santiago Arias entre le central gauche et le latéral gauche adverse. C’est notamment dans cette position qu’il va être trouvé par Arias au quart d’heure de jeu et provoquer le but contre son camp de Bruno Gonzalez. Ce nouveau rôle laisse alors apparaître des qualités rarement mises en lumière par le bonhomme, notamment son talent de dribbleur dans les petits espaces (cf. certaines séquences de son match à Bilbao, N.D.L.R.) et file de nouvelles possibilités à Simeone au cours d’une fin de saison où l’Atlético a une place sur le podium à cadenasser. Temporaire ou pas, cette nouvelle version – brillante – de Marcos Llorente est déjà le coup tactique le plus inattendu du foot post-confinement.
Par Maxime Brigand