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Le projet Adama Traoré

Par Maxime Brigand
7 minutes
Le projet Adama Traoré

Formé au Barça et peu utilisé à ses débuts en Angleterre, à Aston Vila, Adama Traoré est progressivement devenu le joueur que beaucoup attendaient : une bombe qui permet à Wolverhampton de péter dans tous les sens.

Au soir d’une balade au King Power Stadium de Leicester, Jürgen Klopp avait prévenu les suiveurs de son Liverpool : « Dans trois jours, nous allons affronter une équipe très dangereuse. » À savoir Wolverhampton, une équipe qui s’apprêtait à dégommer le lendemain Manchester City pour la deuxième fois en moins de trois mois et qui ne s’est jamais privée pour emmerder les gros depuis son retour en Premier League, à l’été 2018. Puis, l’entraîneur allemand avait précisé la menace : « Il y a surtout Adama Traoré, qui semble avoir enfin trouvé son entraîneur. J’étais sûr que cela arriverait un jour. » Voilà un paquet d’années que Klopp connaît le bonhomme et qu’il s’attendait à le voir retourner des défenses. Et il n’est pas seul. Il y a par exemple Albert Benaiges, qui a connu Traoré chez les jeunes du Barça et qui parle dans le New York Times d’un joueur « bourré de possibilités et doté d’une incroyable vitesse » . Il y a aussi Tim Sherwood, coach du pétard espagnol à Aston Villa, qui évoquait en 2015 un mec possédant « un peu de Messi et un peu de Ronaldo » . On peut aussi citer Aitor Karanka, homme qui a fait grandir Adama Traoré à Middlesbrough et qui s’amusait à l’installer systématiquement sur l’aile situé près de son banc. La raison ? « Comme ça, je peux le guider » , justifiait le technicien, aujourd’hui sans club, au Daily Mail, en février 2017.

Tout ça ne serait donc qu’une évidence : l’attaquant des Wolves, hier salué pour ses qualités de sprinteur et moqué pour son incapacité à être efficace, se devait d’exploser. Et il y a une semaine, au Molineux Stadium de Wolverhampton, où Liverpool s’est arraché (1-2) pour gober sa vingt-deuxième victoire de la saison, Klopp a de nouveau vu le monstre martyriser sa défense. Pour preuve, Andy Robertson est devenu ce soir-là le vingt-huitième joueur de la saison averti après une faute sur Traoré, joueur du championnat qui est aussi l’élément qui a réussi le plus de dribbles par match de Premier League depuis l’été dernier. Ce mec est un enfer, une bombe quasi impossible à désamorcer, si bien qu’à plusieurs reprises, on a vu les Reds établir un drôle de piège pour l’enfermer.

Sur cette phase de jeu, Adama Traoré, dans le rond central, est entouré par quatre joueurs de Liverpool, alors que trois défenseurs des Reds ont également le regard tourné vers lui.

« Le seul moyen de l’arrêter, c’est de le mettre par terre »

Interrogé après la rencontre, Klopp a alors de nouveau sorti son pistolet à louanges : « On avait beaucoup parlé de lui dans le vestiaire. Si vous lui laissez avoir le ballon, il y a des moments où il est injouable. Le seul moyen de l’arrêter, c’est de le mettre par terre. Il a une couverture de balle incroyable et maintenant, en plus, il crée des buts. » Beaucoup de buts, ce qui est d’autant plus notable lorsqu’on sait qu’on parle d’un joueur qui a bouclé son premier exercice à Wolverhampton avec des statistiques faméliques : un but et trois passes décisives toutes compétitions confondues. Une misère, donc. Cette saison, au bout de ses dribbles déroutants et de sa pointe de vitesse délirante, Adama Traoré est un mec qui pèse déjà cinq buts et dix passes décisives. « Avant, il avait déjà cette capacité à passer de zéro à soixante en deux secondes à peine en matière de vitesse, expliquait il y a quelques mois Sherwood. Mais c’était comme un élastique trop tendu : de temps en temps, il se cassait. » Tout d’abord parce que Traoré ne savait pas utiliser un physique unique : des cuisses énormes, des trapèzes puissants, des biceps taillés, des ischios saillants, construits à l’adolescence pour supporter ses nombreux changements de direction et soulager des problèmes fréquents au genou. Si unique qu’il y a quelques années, des franchises de NFL l’avaient approché et que le joueur n’a cessé d’être questionné sur un potentiel amour de la musculation. « Je n’en fais pas. Je ne soulève pas de poids, rembarrait-il récemment au micro de Jugones, une émission espagnole. C’est difficile à croire, je le sais, mais je ne fais rien de tel. C’est génétique. Je fais de l’exercice, mais pas en excès, car je prends de la masse très vite. » De passage sur le canapé du Vestiaire, son coéquipier Romain Saïss a confirmé la chose : « À moins qu’il ne cache une salle à la maison, il ne pousse jamais de fonte… » Où est alors le secret ? Ailleurs, bien ailleurs.

Mané pour modèle, Darren Campbell comme prof particulier

En réalité, Adama Traoré est juste un joueur qui avait besoin de mûrir dans son approche du jeu et dans sa compréhension tactique. Placé parmi les meilleurs dribbleurs de Premier League depuis quatre ans aux côtés de Wilfried Zaha et d’Eden Hazard, désormais parti à Madrid, le joueur de Wolverhampton a longtemps manqué d’intelligence au moment d’exécuter une passe en sortie de dribble et de maîtrise technique lorsqu’il était lancé à pleine vitesse. « Je ne pense pas qu’il y ait plus rapide que moi en Premier League, lançait-il au Daily Telegraph en décembre 2016. Mais c’est mieux si, après avoir dribblé, je centre ou passe ou marque. C’est important que je fasse ces choses-là. Sinon, le dribble est inutile. » Les faits : s’il a disputé son premier match de Premier League en août 2015 sur la pelouse de Crystal Palace, Traoré a dû attendre septembre 2018 (!) pour inscrire son premier but dans l’élite du foot anglais. Et, pour voir de nouveau l’Espagnol planter, il a fallu patienter jusqu’au mois d’octobre 2019, date d’un doublé claqué sur la pelouse de l’Etihad Stadium de Manchester.

Le premier homme à avoir compté dans l’évolution du joueur est Aitor Karanka, qui l’avait connu chez les sélections de jeunes en Espagne et qui l’a, à plusieurs reprises, fait bosser individuellement avec l’aide de la vidéo dans son bureau à Middlesbrough, où Traoré a déboulé à l’été 2016. Puis, Tony Pulis a récupéré le bébé durant six mois début 2018, toujours à Boro. Voilà ce qu’il raconte au New York Times : « Il avait oublié quelles étaient ses réelles forces et il fallait régler ça. Il était toujours un peu confus dans sa compréhension des consignes tactiques. » Partant, Pulis l’a fait bosser, là aussi en privé, notamment via des conversations dans son bureau autour d’une tasse de thé et de discussions tournant autour de son ancien coéquipier, un certain Lionel Messi. Et lui a donné un double objectif : danser dans les espaces et martyriser son latéral. À Wolverhampton, Nuno Espirito Santo a répété la même approche, cherchant en permanence à maximiser les qualités du joueur et en lui filant une confiance absolue. Si bien qu’il a, à un moment donné, demandé à ses autres éléments de se mettre au service de Traoré, conscient que ce type avait la capacité de briser n’importe quel mur, et ce, dans différents rôles (ailier droit, piston droit, deuxième attaquant). Adama Traoré, lui, a fait évoluer son jeu, a amélioré sa qualité de centre, s’est construit tactiquement et a également progressé défensivement en regardant… Sadio Mané. « C’est la référence, expliquait-il dans un entretien donné à The Athletic. Il peut jouer à ce poste car il a des qualités défensives extraordinaires. Virgil van Dijk est aussi un bon modèle pour la gestion des 1v1, la distance, l’anticipation… »

Ainsi, Adama Traoré est devenu un joueur parfait pour un modèle de jeu favorisant l’explosion des ailiers (79% d’attaques via les ailes), d’autant plus depuis qu’il a réussi à utiliser ses qualités de vitesse correctement grâce notamment à un travail réalisé auprès de l’ancien sprinteur Darren Campbell. « Il m’a dit que je n’avais plus besoin d’y aller à 100%, mais qu’à 70%, je pouvais toujours éliminer un joueur et qu’ensuite, j’aurais plus d’énergie et de contrôle avec le ballon, lâche Traoré, toujours à The Athletic. Cela me donne plus de temps pour prendre des décisions. » Et pour piquer, souvent aux côtés de Raúl Jiménez, avec qui il forme la doublette la plus efficace du pays. Samedi, à Old Trafford, ils seront encore les menaces les plus scrutées. Nuno Espirito Santo, qui a vu Adama Traoré vraiment changer de dimension durant l’été et notamment lors d’un match de Ligue Europa face au Torino, peut se frotter la barbe : « Il peut encore progresser. Il est solide dans les airs, sait couvrir les centraux, répéter les efforts… Nous construisons un joueur. » Et le projet avance vite et bien.

Manchester City se sort in extremis du piège à Wolverhampton

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