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« Lyon, c'est Bocuse et Aulas »
Après quasiment 36 ans à la tête de l'Olympique lyonnais, Jean-Michel Aulas a rendu son tablier cette semaine. En septembre 2018, So Foot avait interrogé plusieurs personnalités ayant, un jour ou l'autre, côtoyé l'emblématique président des Gones. Morceaux choisis.
André Soulier, animal politique, ancien président juridique de la LFP, avocat de la défense dans l’affaire du gang des Lyonnais et ami de JMA :
« En 1983, Aulas crée la Cegid, qu’il introduit trois ans plus tard, avec un culot et une vision monstre, au second marché. Quand il fait ça, c’est Bonaparte au pont d’Arcole, vraiment. À l’époque, il bénéficie déjà de l’aide d’un jeune élu socialiste, Gérard Collomb, qui est dans l’opposition à la municipalité. Et donc en 1987, à la suite des propos de Tapie qui dit que « ce serait pas mal qu’Aulas reprenne l’OL », il se lance. On est encore dans le foot de patronage, le club dépend de la ville, et c’est là qu’il tombe sur ma pomme. Il me dit : « Qu’est-ce qu’on fait avec l’OL ? » Je lui ai dit : « Je vais vous aider. » Je tutoyais son père, mais à JMA, je lui dis « vous ». Dans la foulée, je rends possible le fait qu’il puisse intervenir au conseil municipal.
Avec la Cegid, il était très au point sur les présentations, la technologie, donc il illustre son projet et son discours avec des caméras de projection de manière impressionnante. Tout le monde était médusé, et donc j’ai fait voter une première, puis une deuxième subvention. Aulas est l’un des deux personnages les plus fascinants de Lyon dans l’ère moderne. Le premier, c’était Édouard Herriot (maire de Lyon connu pour ses talents d’orateur). Lui, il avait compris que Lyon, c’était Hong Kong, à la limite de l’empire. Il a donc construit Gerland avec l’argent des contribuables. Aulas, lui, a bâti son stade avec le sien et celui d’autres, comme Pathé, et sait très bien que les recettes des films de Dany Boon servent à payer un stade ici. Pour JMA, je ne suis pas un avocat, mais un ami, une sorte d’oncle. »
Alain Madelin, grand-père du néolibéralisme français et ancien candidat à la présidentielle :
« Lorsque j’ai été nommé ministre de l’Industrie en 1986, j’ai constitué le Grenelle Consulting Group, un petit cercle de réflexion d’une quinzaine d’entrepreneurs avec différents niveaux de notoriété, pour discuter des orientations économiques. Aulas en faisait partie. On recherchait des PME sur des créneaux d’avenir, qui avaient une bonne vision et qui marchaient plutôt bien, ce qui était le cas de la Cegid, qu’il avait lancée depuis trois ans. Ce cercle a duré deux ans, on parlait des politiques de nationalisation, de celles à mener pour les entreprises, de leur marge de manœuvre, de l’importance de l’Europe aussi. Aulas était très fin dans ses analyses économiques, il donnait son ressenti et non une position syndicale. Surtout, c’était un pionnier de la digitalisation de l’économie. Or, c’était l’un des domaines où l’on restait paralysé par des politiques qui consistaient à protéger les anciennes industries. Les télécoms, notamment, menaient une bataille à retardement pour préserver les centres électromécaniques, les normes de télévision à demi-digitales, etc. Des combats passionnants, dans lesquels Aulas bousculait le petit monde établi. Pour autant, cela n’avait pas valeur d’engagement politique. D’ailleurs, je n’ai jamais su quelles étaient ses positions politiques, aucune idée… Vous les connaissez, vous ? »
Patrice Cabanel, joueur de l’OL de 1987 à 1989 :
« Lorsqu’il arrive, il se présente et nous dit : “Dans quatre ans, je veux qu’on soit européens.” On se regarde tous bizarrement avec les gars. On se dit qu’il est fou. Quelques jours plus tard, je demande à le voir, car lors de la signature de mon contrat, j’avais l’impression de m’être fait avoir par son prédécesseur, Charles Mighirian : il m’avait fait signer sans la présence de mon agent, à la va-vite. Bref, je me sentais baisé, notamment sur quelques primes. J’arrive donc dans le bureau d’Aulas, à la Cegid, et je fais la pleureuse, j’en rajoute : “Je suis vraiment pas bien, président.” Au début, il me sort, que “quand c’est signé, c’est signé”. J’insiste : je veux une prime. Il marque une pause et lâche : “Ok, je vous en propose une plus grosse que ce que vous avez en tête, mais à une seule condition.” Moi : “Laquelle ?” Lui : “Que vous montiez en D1.” Là, je me dis que le mec est grand prince, car il n’était pas du tout obligé. Tout était calculé pour atteindre son objectif : faire de l’OL un grand club. Aulas, c’est un chef d’entreprise, qui veut que ça aille vite. Il te fixe des objectifs élevés, et il est prêt à te filer une prime si tu y arrives ou te virer si tu n’y arrives pas. En une saison, il a licencié Robert Nouzaret, Denis Papas et Raoul Leborgne avant de prendre Domenech, qui nous fera monter l’année suivante. Pourquoi ? Parce qu’on n’était pas premiers… on était deuxièmes. »
Ali Bouafia (aka « La Mouche »), international algérien, au club de 1988 à 1992 :
« J’appartiens au premier étage de la fusée, celle qui a ramené le club en D1 et l’a maintenu. À l’époque, Aulas découvrait l’univers du foot. Il parlait d’optimisation, de recherche de performance, des mots qu’on n’entendait dans les entreprises, mais pas dans le foot. Si on discutait d’un contrat et qu’on lui parlait d’intéressement sur un transfert futur, il disait : “Ok, mais sur la plus-value du transfert.” En gros, s’il vous revendait plus cher, vous étiez intéressé, sinon vous n’aviez rien. Il pensait rentabilité économique, aujourd’hui c’est banal, mais on est à une époque où avec Tapie et Lagardère, c’est la course à l’échalote pour signer les joueurs, ce n’était pas dans la mentalité de négocier un contrat comme il pouvait le faire. Aulas a toujours voulu contrôler son club, notamment en s’entourant d’anciens de la maison. »
François Brisson, joueur de l’OL de 1989 à 1990 :
« Je l’appelais Steve McQueen, celui à l’affiche de L’Affaire Thomas Crown avec Faye Dunaway, hein, pas le Josh Randall d’Au nom de la loi. C’était le mec de 40 ans, bronzé, souriant, dynamique, poli et courtois qui roulait en voiture de sport. D’ailleurs, BMW était sponsor de l’équipe. Ça m’avait marqué. Je m’étais dit : “Ça colle bien à ce club.” Classe. Efficace. Par exemple, ça faisait un moment qu’on trouvait que les terrains du centre d’entraînement étaient nazes. Un jour, c’est remonté aux oreilles d’Aulas, et dans la foulée, un camion est arrivé des Pays-Bas avec des rouleaux de pelouse. Avec Aulas, on ne laisse pas traîner les choses. »
Gilles Rousset, gardien de but de l’OL de 1990 à 1993 :
« J’étais en fin de contrat à Sochaux lorsque j’ai négocié avec Aulas. Il énonçait des projets pour le futur qui interpellait pour un club promu. Sa détermination est au-dessus de la moyenne, mais ce n’est ni Lagardère ni Tapie, parce que son ambition, c’était de faire avec les jeunes du centre de formation, et non direct les grandes stars. Aulas, lui, n’a pas développé l’OL ou construit son stade pour se faire mousser, mais pour créer une institution qui lui survive, un club modèle du type Bayern. Que ce soit avec ces anciens joueurs dans l’organigramme ou le côté “marque”, c’est le schéma qui l’a inspiré. Quand j’étais joueur, il était venu avec une superbe Porsche, le dernier joyau de la marque. Elle était tellement sublime que je lui ai dit : “Président, si on se qualifie pour la coupe d’Europe, vous me la prêtez ?” Il a dit oui, on s’est qualifiés, puis il m’a proposé de la prendre. “Je te la prête une semaine pour les vacances si tu veux.” Je ne l’ai jamais prise, trop peur de la cabosser. Il est mal aimé en France, mais ici, il est intouchable, incontournable. Lyon, c’est Bocuse et Aulas. Aulas a remis Lyon au centre de la France. Avant lui, c’était juste un passage obligé pour descendre en vacances. Moi qui suis né à Toulon, quand je passais à Lyon pour aller à Sochaux, je me disais : “Et merde, encore ce tunnel de Fourvière… C’est quoi cette ville de merde ?” »
Sylvain Deplace, joueur de l’OL de 1991 à 1997 :
« J’avais 15 ans lorsqu’il est arrivé à l’OL. Il nous renvoyait l’image d’un deuxième Tapie, son double, un businessman propre sur lui avec un discours clair et tranchant. Au centre de formation, on a vite compris qu’il était capable de prendre le taureau par les cornes. J’ai connu le club en D2, l’époque où on végétait dans le ventre mou de la D1 et la seconde place avec Tigana en 1995. Lui, il m’adorait. Donc quand Jeannot part à Monaco, il veut que je le rejoigne, et là Aulas refuse catégoriquement. Il joue au yo-yo avec le prix du transfert pour me retenir. La saison d’après, en 1996, je signe un fax pour aller à Bordeaux, mais au dernier moment, Courbis jette l’éponge. Donc, je reste encore un an jusqu’à la fin de mon contrat au terme duquel Aulas et Lacombe me proposent carrément de renouveler pour sept ans. Évidemment, qu’avec le recul, je les signe ces sept ans, puisque c’est le moment où le club change de dimension, mais à l’époque, le salaire n’est pas à la hauteur de mon statut dans l’équipe, donc je me suis un peu offusqué… Pour me convaincre, ils m’expliquent que je suis le seul Gone de l’OL, que je serai capitaine. Un jour, alors que j’étais suspendu pour un Monaco-Lyon, il me dit même : “T’as qu’à m’accompagner en jet avec ta femme.” Je ne sais pas si ça faisait partie de sa stratégie de négociation, mais c’était un bon moment. On a atterri à Nice d’où on a pris un hélico pour Monaco. Pour montrer que l’on compte, il sait faire. Mais moi, je me dis qu’on me considère un peu comme un meuble et je lui fais une contre-proposition où je demande trois fois plus. Et là, c’est Aulas qui s’est offusqué. Du coup, je suis parti libre à Montpellier. »
Manuel Amoros, joueur de l’OL de 1993 à 1995 :
« Je me souviens d’un match à Metz. Il neige beaucoup. On mène 0-2 à la mi-temps, quand l’arbitre demande qu’on sorte les souffleuses pour déblayer le terrain. Carlo Molinari, le président de Metz, voit ça et enrage : il demande qu’on coupe tout de suite les machines, prétextant qu’elles sont en panne. Il avait compris que son équipe n’avait aucune chance et espérait qu’il continue de neiger pour que le match soit reporté. C’est exactement ce qui est arrivé, et Metz l’a emporté 2-1 en match en retard. On termine la saison deuxième, derrière Nantes. Ce jour-là, Molinari a montré qu’il était bien plus expérimenté, plus roublard qu’Aulas, qui n’a absolument rien dit. Je me souviens même qu’il avait peur d’Olmeta. Quand il voulait lui dire un truc, il passait par moi ou Abedi Pelé… Bref, c’était un petit président qui apprenait encore son métier. Un président normal. »
Pascal Olmeta, joueur de l’OL de 1993 à 1996 :
« Il m’a communiqué mon licenciement via un coup de fil passé à minuit en m’expliquant que ce coup de poing (envers son coéquipier Jean-Luc Sassus, à la sortie d’un Lyon-Nantes, le 20 décembre 1996, NDLR) était mal passé. Le lendemain, je partais en vacances, je pensais qu’on s’expliquerait en rentrant. Sauf qu’en vacances, j’apprends par courrier que j’ai commis une faute grave et que je suis viré. Je n’ai pas eu le temps de m’expliquer avec Aulas puisque j’ai signé avec l’Espanyol Barcelone, dont le gardien titulaire venait de se blesser. Heureusement, sinon je me retrouvais sans rien. En vrai, l’OL avait déjà contacté Coupet, et le club s’est servi de ça pour me virer et le faire venir.
De toute façon, dans cette histoire, je n’en veux pas à Aulas, mais à cette enflure de Bernard Lacombe. Quand je le croise, il se met toujours derrière quelqu’un pour ne pas sentir le vent de la gifle… Par la suite, j’ai eu l’occasion de m’expliquer avec Aulas : il était plus gêné qu’autre chose, car tu sentais bien que les choses ne venaient pas de lui. En plus, moi je le dis : un jour, l’OL va gagner un titre européen. Il faut juste qu’il fasse du ménage autour de lui, qu’il mette quelques coups de pied. Je peux l’aider s’il veut. Récemment, on a bu un café ensemble et c’était très bien. Je le répète : je n’ai aucune rancœur à son égard. Mais je ne coucherai pas avec lui non plus, hein. »
Daniel Bravo, joueur de l’OL de 1997 à 1998 :
« Avec l’entraîneur, Bernard Lacombe, ça se passait très mal. Après une victoire, le coach a dit : “Bravo les mecs, c’était parfait, à l’exception de Daniel qui m’a manqué de respect.” Là, on a commencé à s’échanger des mots durs devant Aulas qui restait calmement appuyé contre la porte. C’est un président très présent, mais jamais intrusif. Là, par exemple, il aurait pu sévir, histoire de montrer son pouvoir ou satisfaire son ego, mais il avait décidé de laisser le problème se régler seul, c’était la meilleure chose à faire. Heureusement, je n’ai jamais eu à affronter ce côté dur, parfois cruel, de JMA… Car il faut bien l’admettre : sur certains points, il est détestable. Quand il critique un joueur comme Gaël Danic (après une élimination en barrages de la Ligue Europa, face au FC Astra Giurgiu, en 2014, NDLR), c’est très dur. Idem pour son positionnement sur Twitter. Ça l’amuse, mais ça débouche sur des bagarres comme lors du OM-OL de la saison dernière. Pourquoi crée-t-il cette situation ? Probablement pour renforcer sa popularité auprès de sa base. »
Philippe Violeau, joueur de l’OL de 1997 à 2003 :
« J’ai toujours aimé les discours qu’il tenait après chaque grosse déception. L’élimination au troisième tour de qualification pour la Ligue des champions contre Maribor en 1999, par exemple, c’en était une. Dans le vestiaire, il avait tenté de positiver la situation plutôt que de nous accabler : “Servons-nous de ces échecs pour aller chercher d’autres victoires.” Regonfler tout le monde, c’est l’une de ses grandes qualités, mais il sait aussi être très marrant dans des contextes décontractés. Quand je suis arrivé à l’OL, on partait tous en vacances ensemble. On a fait La Réunion une fois et Saint-Tropez dans un village vacances, avec garderie pour les enfants. Le midi, on mangeait entre joueurs, mais le soir on se mélangeait tous. Aulas était là pour profiter, se détendre… On n’a pas croisé Eddie Barclay, mais on s’est fait une pétanque sur la fameuse place de Saint-Trop’. »
Christophe Delmotte, joueur de l’OL de 1997 à 2004 :
« Après une défaite, il avait employé le mot “rédhibitoire” pour dire que cette défaite “n’était pas rédhibitoire” pour le reste de la saison, quelque chose dans le genre. Il a employé ce mot plusieurs fois. En sortant, la plupart de mes coéquipiers ne savaient pas ce que ça voulait dire. Bon, ce n’est pas pour faire le malin, mais moi je savais. Certains stressaient, “ça doit être grave, il doit être très énervé s’il emploie ce genre de terme très compliqué.” Du coup, ça avait remobilisé tout le monde. Depuis, dès que j’emploie le mot “rédhibitoire”, je pense au père Aulas. »
Jérémie Bréchet, joueur de l’OL de 1998 à 2003 :
« La première image qui me vient à l’esprit quand je pense à Aulas, c’est une photo de lui au milieu d’Anderson et de Govou avec le premier titre de champion dans les mains. Parce qu’à mes yeux, c’est un winner. En 2002, il y croyait dur comme fer, même quand on était à une longue distance de Lens. Il avait lu une lettre dans le vestiaire pour nous motiver et il en avait envoyé une autre chez nous. Dans ce courrier, il y avait une liste des prochains matchs à gagner et un petit mot qui disait à quel point le club avait besoin de nous. Aulas, c’est un peu comme CR7 : quand tu as des ambitions élevées et que tu les assumes à haute voix, tu dégages une impression d’arrogance. Et ça gêne. »
Sonny Anderson, gros coup du mercato 1999 :
« Mon premier souvenir avec lui, c’est la négociation à Barcelone. C’était très dur, car le président Nuñez était sur le départ, du coup, c’est avec le vice-président du club, Joan Gaspart, qu’il fallait négocier. C’était difficile, mais Aulas était serein, il donnait l’impression d’avoir tout anticipé. C’est là que j’ai su que je faisais le bon choix en optant pour l’OL. D’Aulas, je n’ai connu que le bon côté de toute façon, jamais le mauvais. Quand mon père est décédé, ou quand j’étais en procédure de divorce, il a toujours été là pour me soutenir. Il connaît tout sur ses joueurs : le nom des épouses, ceux des enfants, ceux qui sont malades… Quand je suis parti de l’OL en 2003, ça s’est aussi fait de manière très positive. J’avais du mal à m’entraîner et je risquais d’être un problème de gestion pour Le Guen, car il avait des jeunes comme Sidney Govou à faire éclore. Aulas a su faire en sorte que la séparation se passe bien. En signant pour Villarreal, il m’a même promis de venir me voir, ce qu’il a fait, pour mon premier match. C’était contre le Real Madrid, et j’avais marqué. »
Claudio Caçapa, joueur de l’OL de 2000 à 2007 :
« Lors de la saison 2004-2005, je sors parce qu’un Strasbourgeois m’a mis une semelle. Je suis touché au genou. Je rentre au vestiaire, je ne connais pas encore la gravité de ma blessure, mais j’entends le médecin parler au staff à voix basse. Ce n’est pas rassurant, d’autant que je suis sur ma dernière année de contrat. Je suis plongé dans mes pensées quand Aulas vient s’asseoir à côté de moi. “Ne t’inquiète pas, je m’en fous que tu en aies pour six mois ou une semaine, on va prolonger ton contrat aux mêmes conditions sur lesquelles on s’est déjà mis d’accord. La blessure ne change rien.” J’ai commencé à pleurer. J’ai mis quatre mois à revenir, mais j’ai resigné pour trois ans, avec une augmentation de salaire. Quand j’ai raconté cette histoire à ma femme, ça l’a émue. Ce geste restera dans mon cœur jusqu’à la fin de ma vie. Ce n’est pas une question d’argent, mais de contexte. »
Éric Deflandre, joueur de l’OL de 2000 à 2004 :
« C’est le président le plus supporter que j’aie connu dans ma carrière. En 2002, à quatre journées de la fin, on gagne 1-0 à Auxerre. On n’est pas encore champion, mais dans le vestiaire, c’est la fête : on se jette de l’eau, on tape sur la table, on crie, on chante. Soudain, Aulas entre. Dans l’euphorie, on lui demande de doubler notre prime. Il nous répond, en criant lui aussi : “Taisez-vous ! Je veux que tout le monde se taise, c’est compris ?” On s’imagine alors qu’il ne veut pas qu’on s’enflamme. Ce serait logique, c’est son rôle. Puis, il monte sur la table et hurle : “La prime… Je la triiiiple !” »
Rémy Vercoutre, joueur de l’OL de 2002 à 2014 :
« Avant chaque début de saison, lors de la première réunion dans le vestiaire, il venait avec le trophée du titre de champion de la saison d’avant. Le but, c’était de montrer un objectif concret à tous les joueurs. Cette technique de management faite de mots simples et clairs, c’est du très haut niveau. Après, Aulas est aussi soucieux de l’humain. Deux semaines après avoir signé avec l’OL, j’ai perdu mon grand-père. Il m’a fait comprendre que le sportif passait en arrière-plan et a mis à ma disposition les moyens matériels du club pour que je puisse assister aux obsèques dans le nord de la France. Il avait même acheté une couronne de fleurs au nom du club… Il est du genre à agir très vite lorsqu’un événement concerne l’un de ses joueurs. T’as limite les bouquets de fleurs à la maternité avant que les bébés ne soient nés. »
François Clerc, joueur de l’OL de 2004 à 2010 :
« Je suis arrivé à Lyon à 14 ans. Quand il venait voir les matchs importants des jeunes, c’était un peu comme quand le proviseur d’un lycée rentre dans une classe : il y avait plus de sérieux, de calme. Dans le bus, il s’assoit toujours devant, comme un chef qui montre qu’il est en première ligne. Dans le vestiaire, il a aussi une place bien particulière, toujours entre les joueurs et le coach. Perpendiculairement. Ce n’est pas anodin. Ça lui permet d’observer tout le monde. On l’attendait toujours pour la causerie. Il n’en manquait quasiment jamais et en cas de bouchons ou de retards d’avion, on ne commençait pas sans lui. Il intervenait surtout lorsqu’on avait des séries un peu négatives. Ce qui est incroyable, c’est que souvent, derrière, il y avait des résultats. C’est pour ça qu’à l’OL, les crises ne durent pas. Aulas est un grand orateur. Quand il prépare ses interventions devant le groupe, ça ne s’éternise pas. Il tape juste. On sent le poids de chaque mot. On retrouve ça sur Twitter, avec un ton plus direct. Twitter, c’est le prolongement de sa pensée. »
Nicolas Puydebois, joueur de l’OL de 2002 à 2005 :
« Trollé sur Twitter par JMA. Twitter, c’est un pare-feu qu’il allume pour détourner l’attention des problèmes de l’équipe, mais la corde est usée, car il utilise toujours le même stratagème. Sur Twitter, il s’est créé un personnage, et je pense qu’il s’enferme dedans. Moi, je suis lucide sur ce que j’ai pu faire, donc quand il me dit que j’ai été un joueur moyen, il n’a pas tort, mais du coup, c’est donner bien de l’importance à ce que peut dire un médiocre… Après, quand il m’attaque sur mon physique, il tombe tellement bas, que bon… À l’OL, quand on est un maillon supplémentaire de la chaîne comme moi, on n’a pas vraiment de relation avec lui. Ses vraies relations, elles étaient avec les tauliers du vestiaire. Il négociait les primes avec ceux qui faisaient gagner les matchs. Pour les 30 ans de Sonny, il lui avait offert une montre pour son anniversaire. C’était la veille d’un match face à l’Olympiakos en Ligue des champions. La semaine précédente, Pierre Laigle avait lui aussi fêté ses 30 ans, et il n’avait rien eu. »
Jean-Claude Plessis, président de Sochaux de 1999 à 2008 :
« Je ne l’ai pas toujours suivi, notamment sur sa ligne élitiste, mais l’évolution du foot montre qu’il l’est devenu encore plus que ce qu’il pouvait penser ! On est restés liés après mon retrait du foot. Un jour, alors qu’on faisait du bateau dans le sud de la France, il reçoit un coup de fil de son directeur administratif, Marino Faccioli. Il cherchait à faire signer Louisa Necib, c’était au tout début du foot féminin à l’OL. Bref, c’était pas le transfert de Ronaldo, mais il a filé rendez-vous à la fille et à son agent dans sa villa dans le Sud, et toutes affaires cessantes, on est rentrés de notre sortie en mer. Il a sacrifié une journée de vacances pour ça, ça le résume bien. »
Camille Abily, joueuse de l’OL de 2006 à 2009, puis de 2010 à 2018 :
« Lorsque je signe à l’OL, je pensais voir le président de la section féminine, ou quelqu’un du club, mais pas Aulas. C’était énorme pour les filles de se retrouver à une table du Novotel de Gerland avec lui et Jérémy Toulalan, qui venait tout juste de s’engager. On était des inconnues, mais ça montre qu’il avait déjà très envie de développer la section féminine. On a même fêté nos titres à Saint-Tropez comme les garçons. Franchement, pour son âge, il se débrouille plutôt bien sur la piste de danse ! Quand je suis repartie aux États-Unis, avant que l’OL ne me rappelle, il m’avait dit : “De toute façon, on va gagner la Ligue des champions, avec ou sans toi.” Il aime la réussite et fait tout pour la provoquer. C’est un visionnaire du football féminin. Avec Louis Nicollin, ils ont été les premiers présidents à avoir cru en nous. On ne peut que leur dire merci. »
Sonia Bompastor, joueuse du club de 2006 à 2009 et de 2010 à 2013, entraîneure actuelle :
« Une des premières grandes victoires en Ligue des champions, c’est une demi-finale contre Arsenal, tenant du titre, en 2010. On fait nul à Gerland et au retour, on joue dans des conditions dantesques. Il pleuvait, le terrain était boueux, mais on gagne 3-2. À la mi-temps, nos maillots sont trempés, et à cette époque, on n’a pas de rechange. Aulas aurait pu mal réagir, mais il s’est mis à essorer les maillots avec d’autres dirigeants en costard cravate. En train de mettre les mains dans la boue, c’était un contraste fort. C’était un contraste fort et ça montre aussi son pragmatisme : il devait être étonné qu’on n’ait qu’un jeu de maillot, mais il a mis les mains dans la boue, comme tout le monde. »
Wendie Renard, joueuse de l’OL depuis 2006 :
« En 2006, quand j’arrive, on n’a même pas d’équipements, chacun vient avec ses affaires… Mais il dit quand même qu’il veut faire de l’OL le plus grand club du monde et gagner une Ligue des champions dans les trois ans. Ça aura pris cinq ans finalement, mais il ne s’est jamais découragé, il y a toujours cru. Pour moi, c’est un génie comme Zidane ou Messi le sont pour le foot, mais dans les affaires. Il a un don, toujours un coup d’avance. Aulas ne pense pas à demain, il pense bien plus loin. »
Éric Castellani, ancien arbitre assistant international et ancien président du Syndicat des arbitres du football d’élite :
« Lorsque l’OL fonctionnait bien, on disait que l’arbitrage profitait au club : c’était vrai, les erreurs profitent toujours à l’équipe qui domine ! On était accusés d’être à la solde d’Aulas, mais je me souviens d’avoir invalidé un but à Florent Malouda lors d’un Lyon-Lens. Il avait touché le ballon du dos alors qu’il était hors jeu. Ça avait mis une pression folle à la mi-temps. À la fin du match, en voyant les images, Aulas était venu s’excuser. Je suis indulgent, avec ce genre de personnages. C’est quelqu’un de crédible, qui a engagé ses propres deniers dans l’OL et qui est aujourd’hui à la tête d’un empire. Ce n’est pas un gars qui débarque dans le milieu, mandaté par des investisseurs étrangers et qui vient vous faire la morale… Ça n’excuse pas toutes les attitudes qu’il a pu avoir, notamment vis-à-vis de Bruno Derrien, qui a plus ou moins mis fin à sa carrière d’arbitre après un Bordeaux-Lyon où il avait eu affaire à lui. Aulas raisonne par rapport à ses propres intérêts, les dommages collatéraux, il s’en fout royalement tant que ça aboutit pour son club… Il est capable de passer la pommade à Monsieur Duchemol en lui expliquant qu’il est très content que ce soit lui l’arbitre, puis ce même monsieur Duchemol, il ira le féliciter poliment dans son vestiaire et juste après, dans les couloirs de Gerland, il ne se gênera pas pour le critiquer devant les journalistes. Roger Rocher, Bez, Tapie et autres pionniers du football français ont tous agi comme ça. La différence avec Aulas, c’est qu’il est suffisamment malin pour vous mettre la pression tout en restant gentil et policé. Il vous parlait de la ligue des champions et en profitait pour faire passer des messages : “Soyez vigilant, parce qu’on a un match important après.” C’était fait intelligemment. »
Propos recueillis par Barnabé Binctin, Nicolas Jucha, Victor Le Grand, Gaspard Manet, Vincent Riou, Alexandre Doskov
Article publié dans le So Foot n°159, en septembre 2018.