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- Itw Laure Boulleau
« Le premier rôle du latéral, c’est de défendre »
Arrière gauche du PSG et en équipe de France, Laure Boulleau a également rejoint la team Carlsberg, comme Marcel Desailly et Peter Schmeichel. Posée derrière un thé et devant la piscine de l'hôtel Molitor à Paris, la joueuse de 29 ans revient sur le début de cet Euro et notamment sur le premier match délicat de Patrice Évra face à la Roumanie...
Le 21 juin, Carlsberg inaugure le Carls, un bar éphémère sur les berges de Seine qui diffusera les matchs. Ce sera aussi le jour de la fête de la Musique. Ça tombe bien, tu joues au foot et tu adores la musique. D’ailleurs, tu mettrais quel morceau dans le vestiaire des Bleus mercredi soir ? Les copains d’abord parce que ensemble, together, victoire, tout ça… S’ils gagnent le deuxième match, ils seront sûrement qualifiés. Et on sait que quand on est copains, ça fonctionne mieux. Après, c’est difficile de juger : parfois on a l’impression que l’ambiance est super alors qu’elle ne l’est pas. Mais c’est vrai qu’il se dégage quelque chose de ces Bleus, une bonne énergie, une nouvelle génération qui vient s’imposer, qui apporte une certaine fraîcheur. Je vois beaucoup de sourires, c’est en tout cas ce qui est véhiculé par les réseaux sociaux de l’équipe de France et je ne pense pas qu’ils se forcent à sourire !
Tu penses qu’il faut absolument être potes pour réussir une belle aventure sportive ? On peut y arriver sans l’être, mais c’est plus facile quand on l’est. Par exemple, l’Atlético donne l’impression d’avoir des joueurs vachement soudés alors que ceux du Real seraient plus individuels. C’est un ressenti, donc c’est compliqué, mais j’ai l’impression que quand on a une équipe qui ne serait pas la meilleure techniquement ou tactiquement, c’est peut-être ce truc-là qui fera que l’équipe sera meilleure et pourra gagner contre une équipe meilleure sur le papier.
En tant qu’arrière gauche, qu’as-tu pensé de la prestation, très critiquée dans les médias, de Patrice Évra vendredi soir face à la Roumanie ?Je suis moins sévère. Effectivement, il n’a pas fait un bon match, je ne vais pas inventer un truc, mais si on regarde plus globalement l’équipe, il était souvent en deux contre un dans son couloir, et il a mal géré ça. Quand on est en deux contre un, peut-être qu’on doit accompagner plutôt que d’aller se jeter ou de perdre un un-contre-un alors qu’il aurait suffi d’être plus agressif sur le porteur du ballon.
On a beaucoup remis en question son entente avec Matuidi côté gauche pendant cette rencontre…Ça va se régler. Clairement, dans l’équipe, il n’y a rien à changer. À la rigueur, on peut ménager Griezmann s’il est un peu fatigué, mais effectivement, vendredi, Blaise aurait aurait peut-être pu aider un peu plus Patrice Évra sur ce match. Il en avait besoin.
Avec ce groupe-là, Didier Deschamps a beaucoup de solutions pour ajuster son schéma de jeu.Il a plein de solutions, oui. J’ai bien aimé quand Payet était en 10 parce qu’il avait plus de libertés. Avec Coman et Martial sur les côtés, c’était un petit peu plus simple en matière de « qui prend qui » . Je ne dis pas qu’Évra a des excuses, il aurait certainement pu faire un meilleur match, mais quand on est en deux contre un, on n’est pas surhumain, on ne peut pas non plus tout prendre. Quand on sent que ça ne se passe pas bien une, deux ou trois fois, peut-être qu’intérieurement, il s’est un petit peu énervé… Après, je ne pense pas que la solution soit de mettre Digne face à l’Albanie. Si je suis sélectionneur, je laisse Évra et ça va bien se passer, c’est un bon défenseur, mais il faut régler certains détails. Il faut tout simplement qu’il élève son niveau de jeu : c’est quand même un mec qui a joué toute une saison à la Juve, ce n’est pas mon latéral gauche préféré, mais, malgré tout, il est champion d’Italie, il a fait une bonne saison.
Tu l’évoques : Lucas Digne est loin de pouvoir le concurrencer. Comment expliques-tu que Patrice Évra, à 35 ans, soit toujours indéboulonnable en équipe de France ?Déjà, il a des qualités, c’est indéniable, qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Il est agressif, il est endurant, il n’a pas un mauvais pied gauche sans être le joueur le plus technique de la Terre. Il a quand même beaucoup d’expérience et c’est sa qualité principale, il a un rôle hyper important dans le vestiaire. On dit que c’est un mec qui est hyper important dans le vestiaire, et si ça permet de réunir tout le monde, tant mieux.
Comment tu expliques que Clichy, Digne, Kurzawa ou Mendy à une époque n’aient pas réussi à ne serait-ce que chatouiller Patrice Évra ?Encore une fois, si je suis à la place de Deschamps, je remets Patrice Évra parce que c’est important d’avoir un mec d’expérience. Effectivement, il n’a pas fait un super match, mais enfin si c’était parlant à chaque fois qu’il était mauvais, alors il faudrait remettre en question quelque chose mais là, après un seul match, on ne peut pas. Ce qui est dommage, c’est que, pour moi, Kurzawa est l’un des plus doués, mais il n’a pas beaucoup joué parce qu’il a fait un choix de carrière – que je respecte parce qu’il est dans mon club. S’il avait fait un autre choix de carrière et qu’il jouait régulièrement dans un autre grand club, je ne suis pas sûre que Patrice Évra…
On a aussi l’impression qu’il y a un problème dans la formation française : on sort moins d’excellents latéraux. Comment tu l’expliques ?J’ai un avis hyper partagé parce que j’ai l’impression qu’il y a des latéraux de méga qualité. Par exemple, j’adore Marcelo, mais en compétition internationale, on a vu ses limites, avec le Brésil ce n’est pas comme au Real. Il faut quand même ce côté défensif. Et j’ai l’impression que les latéraux d’aujourd’hui sont attirés par ce poste parce qu’ils peuvent aller vers l’avant, d’ailleurs beaucoup de buts viennent des latéraux. C’est un poste agréable, mais malgré tout, on perd cette qualité défensive de niaque et de hargne. Moi, c’est une qualité que j’ai. Mais j’ai sûrement moins de qualités par exemple qu’Amel Majri (sa concurrente en équipe de France, ndlr) qui est une attaquante, très technique, c’est l’une des plus techniques d’Europe, si ce n’est du monde, mais défendre, ce n’est pas son truc.
Les latéraux ne pensent plus qu’à attaquer ?Le premier rôle du latéral, il ne faut pas oublier ça, c’est de défendre. Donc on peut reprocher à Patrice Évra de ne pas mettre des galettes, même s’il est capable d’en mettre, mais le principal reste de défendre. C’est un truc que je vis : souvent on me dit : « Tu devrais travailler tes centres. » C’est complètement vrai, j’y travaille et je sais ce que j’ai à travailler. En revanche, je sais aussi qu’en compétition internationale, le sélectionneur compte sur moi parce que j’ai ces qualités-là. Au haut niveau, c’est ce qui fait la différence. C’est ce qui m’a toujours préservée des moments où ça s’est joué à pas grand-chose, où j’ai pu prendre le meilleur sur une concurrente, parce qu’on a des latérales incroyables. Celles qui arrivent, ce sont des phénomènes ! Le niveau du foot féminin évolue, on a des joueuses techniques. Avant, on n’avait pas de gauchères, maintenant il y en a beaucoup.
D’ailleurs, en tant que gauchère, le but de Payet, pour un droitier… (Elle coupe) Je ne sais même pas si j’aurais été capable de le marquer avec mon pied gauche. Alors si j’arrive à marquer un but du pied droit comme le sien, je peux arrêter ma carrière !
À l’image d’Évra, Paul Pogba a aussi été beaucoup critiqué après son match de vendredi.Oui parce que je pense que les gens en ont trop parlé avant. Après le match, j’ai dit que c’était un mini flop parce que c’est un des meilleurs joueurs du monde, il n’a pas fait non plus un match catastrophique, mais on en attend tellement plus que, forcément, on est déçus. À lui de montrer sa force de caractère.
Quel joueur de l’Euro voudrais-tu voir arriver au PSG ? Modrić…
Qu’est-ce que tu aimes chez lui ?Ce que je kiffe chez lui, c’est sa qualité technique et son leadership. C’était lui le patron. Il est dans une très bonne équipe, c’est mon coup de cœur depuis le début, c’est une équipe dont je me méfierais. Modrić, c’est la star avec Ivan Rakitić, mais le mec est à fond. Il fait plus que répondre présent. Il n’a aucun déchet, tout le monde joue avec lui… J’ai bien aimé Perišić aussi chez les Croates. Il est sorti avec des crampes, il a fait beaucoup de courses. J’aime bien ce style de joueurs qui ne cherchent pas toujours à rentrer vers l’intérieur.
Les vrais ailiers à l’ancienne te manquent ? Oui, des vrais ailiers qui restent sur leur côté. Moi, je suis latérale, si j’ai une ailière comme ça face à moi, type Élodie Thomis, c’est chiant parce que je sais qu’elle va faire des allers-retours pendant tout le match, elle va vite… C’est important d’avoir des joueurs qui rentrent, mais c’est bien aussi d’avoir une alternative avec des joueurs qui prennent l’aile, qui vont faire de bonnes courses, que tu es obligé de suivre jusqu’à la ligne de but. Ça épuise et quand ça passe… Tu ne te casses pas la tête, pas de passements de jambe : sur le premier appui, tu centres et ça crée une occasion.
Tu mettrais une petite pièce sur la Croatie ?Bah franchement, oui ! Mais ce n’est pas une surprise. Les connaisseurs savaient. Même si j’ai été un peu déçue par la Turquie, j’ai bien aimé ce que la Croatie a dégagé. Peut-être que face à une équipe un peu plus en place défensivement, ce sera plus compliqué…
Quand on est un joueur, ou une joueuse, est-ce qu’on est touché par ce qui peut se passer en dehors d’une compétition, comme par les affrontements qui ont eu lieu à Marseille ce week-end ? Oui, on est forcement touché, ça gâche un peu la fête. J’espère que les ultimatums qui sont posés à l’Angleterre et à la Russie vont les faire flipper. On espère que ça va s’arrêter parce que c’est un peu la honte et, forcément, on pense que la France a mal géré le coup. On a focalisé sur ces événement qui sont fâcheux, et ce qui m’attriste, c’est que ça gâche un peu le truc. C’est un crève-cœur.
Un score pour France-Albanie ? 4-1.
Propos recueillis par Pierre Maturana