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« Le premier entraîneur de Messi le trouvait trop petit »

Par Thomas Goubin, à Guadalajara
9 minutes
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Ex-coordinateur et entraîneur du centre de formation du FC Barcelone (1991-2012), Albert Benaiges a stationné au Mexique en 2014, où il a été un éphémère directeur du centre de formation des Chivas. Un retour aux sources pour ce fils de réfugiés espagnol, né à Mexico. Depuis sa demeure de Guadalajara, Benaiges se prononce sur l'interdiction de recruter à laquelle fait à nouveau face le Barça. Il se rappelle aussi des premiers pas du jeune Messi, et de ceux de l'entraîneur, Pep Guardiola.

En tant qu’ex-coordinateur du centre de formation du FC Barcelone, comment réagissez-vous à la confirmation par le TAS de la décision de la FIFA d’interdire de recrutement le Barça pour avoir enfreint les règles de protection des mineurs ?

Le réel problème ne se situe pas au sein du Barça. La FIFA a d’ailleurs commencé justement à s’intéresser à ce dossier, car des agents amenaient des joueurs d’Europe centrale ou d’Afrique et les abandonnaient en Europe. Dans la presse, on a même parlé de 17 000 enfants dans cette situation. C’est évidemment un scandale, du trafic de mineurs, mais le Barça n’en est en rien responsable. Et je ne vois pas pourquoi on priverait un enfant africain ou sud-américain de venir intégrer une structure d’excellente qualité comme la nôtre. Aujourd’hui, pour qu’un enfant étranger joue dans ton club, ses parents doivent disposer d’un contrat de travail dans une entreprise qui n’a rien à voir avec le club, ce qui n’est pas simple. Ce sont des mesures extrêmes qui sont toutefois compréhensibles, car il s’agit de protéger des enfants, mais on fait face à des cas de figure absurdes où on peut se retrouver avec des parents miséreux, qui n’ont pas de travail, pas de contrat, et on prive en plus leur fils d’intégrer une structure comme celle du Barça. Il faut aussi se rendre compte qu’on peut priver un mineur de moins de seize ans de bénéficier d’une formation de qualité au sein d’un club de foot, alors que ses frères peuvent s’inscrire au basket ou au hand, sans aucun problème. C’est absurde.

Après cette sanction, le Barça va-t-il devoir revoir son modèle de recrutement de joueurs mineurs ?

Je ne crois pas. En fait, il faut savoir que la FIFA s’est intéressée au cas du Barça notamment après une plainte de la Fédération de Corée du Sud. On avait signé trois Coréens de moins de seize ans, je suis d’ailleurs responsable de la signature de l’un deux. Il existait aussi un litige concernant un Camerounais, et deux Européens non communautaires. Aujourd’hui, il faut savoir qu’il y a moult plaintes déposées contre cette décision de la FIFA. En fait, cela va se terminer comme l’arrêt Bosman : la première décision sera favorable à l’enfant, car l’enfant a le droit à l’école, à l’accès à la santé, mais aussi à une activité culturelle ou sportive, comme l’indique le droit européen. La jurisprudence fera le reste.

Ces mineurs qui partent à l’étranger ne se retrouvent-ils tout de même pas dans une position extrêmement fragile, puisque l’on sait bien que la très grande majorité des joueurs intégrant un centre de formation ne devient pas professionnelle ?

Je ne suis pas d’accord, car les étrangers qui viennent au Barça sont vraiment triés sur le volet. La grande majorité sera professionnelle. Par exemple, le petit Coréen que j’ai signé, il joue comme Messi, et il y a de grandes probabilités qu’il réussisse, mais aujourd’hui il ne peut pas jouer avec nous à cause de cette décision de la FIFA. Après, il y a le thème du déracinement, mais intégrer le centre de formation du Barça est aussi une grande opportunité pour améliorer les conditions de vie du mineur. Les jeunes ne jouent pas seulement au football, ils sont scolarisés. Il faut bien se rendre compte de la réalité : quand des équipes de jeunes d’Afrique viennent en Europe, leurs parents leur disent de s’enfuir dans les rues d’Europe… En quoi donner l’opportunité d’une vie meilleure est mauvais pour un enfant ? On ne peut évidemment traiter les enfants comme des marchandises, tout cela doit faire l’objet de contrôles sévères, mais si un enfant africain ou sud-américain est bon, pourquoi ne viendrait-il pas au Barça ? La Masia est un modèle dans le monde.
Quand Messi est arrivé au Barça, j’ai vu un joueur petit, qui faisait des choses incroyables avec le ballon. L’entraîneur de sa catégorie ne le voulait pas, il le trouvait trop petit, pas assez compétitif.

Messi est l’exemple emblématique du jeune footballeur déraciné très tôt pour jouer au football en Europe. Quel souvenir gardez-vous de son arrivée à Barcelone ?

Il venait s’essayer. J’entraînais alors les moins de 17 et j’ai vu un joueur petit, tout petit, qui faisait des choses assez incroyables avec le ballon. Je ne connaissais même pas son nom, ni d’où il venait. Le lendemain, j’en ai parlé à des collègues qui m’ont dit qu’il venait d’Argentine. L’entraîneur de sa catégorie ne le voulait pas, il le trouvait trop petit, pas assez compétitif, mais le club a décidé de le signer. Lors de son deuxième match, il a été touché au tibia-péroné.

À partir de quand avez-vous pensé qu’il deviendrait l’un des meilleurs ?

À partir de ses 16 ans. Il a commencé à prendre une immense dimension. Il naviguait alors entre diverses catégories : les U17, les U19, le Barça C, puis le Barça B. Avec chaque catégorie, il sortait du lot. S’il manquait un joueur en U17, il allait rendre service de bon cœur, alors que certains le font en traînant des pieds. Il pouvait jouer jusque trois matchs par week-end. En dehors du terrain, il était introverti, même s’il échangeait avec tout le monde. Il était un peu dans son monde, avec sa musique, ses livres. Mais sur le terrain, il était toujours participatif. À 17 ans, il a finalement joué son premier match avec l’équipe première, lors du trophée Gamper, et il a rendu fous les défenseurs de la Juventus. Capello nous a lors dit : « Mais d’où sort ce démon ? Je n’en avais jamais entendu parler. » En deux ans, le bon joueur était devenu exceptionnel.

En 2014, beaucoup se sont demandé ce qui arrivait à Messi. Vous qui le connaissez bien, comment expliquez-vous sa baisse de rendement ?


Ma théorie est que les deux blessures musculaires dont il a souffert l’ont apeuré. Lionel aime jouer avant tout, c’est ce qu’il préfère dans la vie. Pour moi, cette peur de se blesser, c’est la clé. Inconsciemment, l’échéance de la Coupe du monde a dû le travailler. Il savait bien que cela pouvait être son Mondial, qu’il se trouvait devant une opportunité unique, à l’âge idéal. Et, même au Mondial, je l’ai senti préoccupé. En finale, il faut d’ailleurs se rappeler qu’il a été victime d’une petite contracture. Après, ce n’est que mon avis, une théorie personnelle… Mais ce qui la corrobore est que quand il a commencé à nouveau à enchaîner les matchs, il s’est mis à enfiler les buts comme il le faisait auparavant. Que tu sois Messi ou pas, si tu es préoccupé, ton rendement baisse.

Vous avez également assisté aux premiers pas de Pep Guardiola comme entraîneur au sein de la Masia …


Attention, à l’étranger vous utilisez le terme de Masia de manière impropre. À la Masia, il n’y a que 56 joueurs. La Masia accueille les jeunes dont les familles vivent loin de Barcelone, qui ne peuvent rentrer à la maison. Par exemple, Piqué, Xavi ou Busquets n’ont jamais fréquenté la Masia. La Masia est une résidence moderne, magnifique, mais ce n’est qu’une partie des installations du centre de formation du Barça. Au centre de formation, il y a plus de trois cents jeunes.
Il faut bien se rappeler les débuts de Pep : ils n’ont pas été positifs, et beaucoup de médias s’interrogeaient sur la pertinence de l’avoir fait accéder si rapidement à l’équipe première. Ensuite, il a tout gagné.

Pour revenir à Guardiola…

Oui… Son stage d’entraîneur, il le fait avec moi. À la fin, en 2007, je lui dis qu’il pourrait prendre en charge les U17 ou U18, il était partant. Mais le Barça B descend alors en troisième division. Guardiola ne figurait toutefois pas parmi les entraîneurs susceptibles de prendre l’équipe en charge, car lors des élections présidentielles, il avait appuyé l’opposant de Joan Laporta. Un proche de Laporta est alors venu me voir et m’a demandé : « Qui est le meilleur ? » Je lui ai dit Guardiola, et derrière, Luis Enrique. Laporta, il faut lui reconnaître cela, a alors fait abstraction du jeu politique, et Pep a pris en charge le Barça B. Après un an, il se trouve que Rijkaard voulait s’en aller, et Laporta nous a demandé à moi et Alexanco, directeur du centre de formation, si on pensait que Pep était prêt pour prendre en charge l’équipe première. Moi, je lui ai répondu qu’il était compétent, mais que c’était aussi un risque, car il n’avait entraîné qu’un an. Alexanco lui a tenu le même discours, mais a ajouté que Pep savait dominer un vestiaire, que son expérience comme joueur compterait aussi… Quoi qu’il en soit, il faut bien se rappeler les débuts de Pep. Ils n’ont pas été positifs (ndlr : une défaite, un nul, lors des deux premiers matchs), et beaucoup de médias s’interrogeaient sur la pertinence de l’avoir fait accéder si rapidement à l’équipe première. Ensuite, il a tout gagné…

En voyant Xavi et Iniesta au sein du centre de formation, vous pensiez qu’ils pourraient changer l’histoire du football espagnol ?

Cela, personne ne le pensait. On pensait simplement que c’étaient d’excellents joueurs, qui pourraient faire carrière au Barça. Leurs premiers pas en pro ont d’ailleurs été escortés de doutes, à cause de leur taille, de leur supposé manque de force. Ça me fait penser au cas de Jordi Alba qui a dû partir du club, car certains entraîneurs ne croyaient pas en lui. Finalement, le petit est revenu pour quatorze millions d’euros. Que Guardiola les aient dirigés au Barça a aussi aidé l’Espagne. Iniesta, par exemple, est devenu plus intense, notamment dans le pressing. Tous les éléments se sont assemblés pour que le football espagnol vive cette âge d’or, mais personne ne l’avait vu venir.

Au fait, comment êtes-vous arrivé au Barça ?

J’entraînais un petit club de Barcelone, où on a sorti plusieurs joueurs professionnels, et cela a attiré l’attention du Barça, notamment de Johan Cruijff. En fait, on a joué deux fois contre une équipe de jeunes du Barça, au sein de laquelle jouait le fils de Cruijff. Johan a aimé notre style, et on m’a fait une offre. Je suis resté vingt et un ans. Ensuite, Sandro Rosell m’a affecté à Dubaï, où un cheikh voulait imiter le modèle du FC Barcelone. Au Barça, j’ai travaillé comme entraîneur, mais aussi comme coordinateur du centre de formation.

Pour terminer, vous avez connu une expérience éphémère cet automne à la tête du centre de formation des Chivas, populaire club mexicain. Comment jugez-vous le niveau des jeunes mexicains ?

Le niveau est très bon, mais en terme d’entraînement, de méthodologie, le Mexique se trouve encore un ou deux étages en dessous de l’Europe. Je n’ai malheureusement pas pu poursuivre mon œuvre, car le nouvel entraîneur, Chepo de la Torre (sélectionneur du Mexique de 2010 à 2013), préférait avoir un homme de confiance à la tête du centre. En 2015, je vais quitter le Mexique et mener un projet avec un club de République dominicaine …
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