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Le précipice croate

Par Adrien Candau
5 minutes
Le précipice croate

Tenue en échec par la Finlande vendredi dernier, la Croatie se retrouve deuxième de son groupe de qualification, à égalité de points avec l’Ukraine, et jouera la boule au ventre sa place pour le Mondial à Kiev ce lundi. Sans son sélectionneur, Ante Čačić, viré au pied levé en fin de semaine dernière. Un type qui, au vu de sa popularité désastreuse, n’était de toute façon pas parti pour s’épanouir bien longtemps à la tête de la sélection.

« Dalić est le nouvel entraîneur et sera en poste lors du dernier match en Ukraine. Nous avons pris quatre points dans nos quatre derniers matchs, et nous avons estimé que nous n’avions plus le choix et devions agir. » La sentence est tombée et c’est Davor Šuker, président de la Fédération de football croate, qui l’énonce. La Croatie et Ante Čačić, c’est fini. Quitte à le remplacer par Zlatko Dalić, un obscur entraîneur qui s’était exilé pour entraîner Al Ain, aux Émirats arabes unis, ces trois dernières années. Tout plutôt que Čačić en somme, avec qui plus rien ne semblait vraiment filer droit. Avec les joueurs, comme avec les supporters.

La colère de Modrić

Comme un symbole, le technicien s’est fait zigouiller sur la place publique par son maestro, Luka Modrić, exaspéré de voir son équipe bafouiller son football face à une bien modeste sélection de Finlande en fin de semaine dernière : « Qu’est-ce qu’on peut faire maintenant ? Nous avons commencé avec lui(Čačić, ndlr), nous sommes contraints de finir avec lui. Pour être honnête, rien ne va plus depuis notre victoire face à l’Islande (1-0 en juin dernier, ndlr) : la situation est catastrophique…  Cette Croatie attendait le coup de sifflet final et s’est fait rejoindre par la Finlande… C’est incroyable que nous luttions à ce point face à des équipes comme le Kosovo et la Finlande, que nous devrions battre très facilement en temps normal. » Une déclaration assassine, qui semble indiquer que Čačić s’était décidément mis à dos certains des cadres les plus importants de son vestiaire. Le sélectionneur s’était déjà engueulé chaudement avec Dejan Lovren, qu’il avait même exclu de sa liste pour l’Euro 2016, avant de le réintégrer ces derniers mois à l’équipe nationale.

Insuffisant pour régler les problèmes des Vatreni. Formation à l’ADN offensif, la Croatie n’a planté que trois pions sur ces cinq derniers matchs officiels. Autant de rencontres où le management de Čačić semble atteindre ses limites. Incapable d’innover tactiquement, têtu au moment de choisir ses hommes de confiance, comme quand il s’obstine à aligner Marcelo Brozović à un poste d’ailier qui n’est pas le sien, le grand manitou croate semble impuissant sur son banc de touche. Pas de quoi faire remonter sa cote de popularité dans l’opinion publique, où il est massivement contesté depuis sa nomination à la tête de l’équipe nationale en septembre 2015. En cause, le CV du bonhomme, qui manque d’épaisseur. En près de vingt ans de carrière, Čačić n’a quasiment exclusivement entraîné qu’en Croatie, où il n’a remporté qu’un seul trophée majeur, un championnat avec le Dinamo Zagreb, qui surdomine la scène nationale depuis plus de dix ans.

« Čačić est extrêmement impopulaire, et méprisé par de nombreux fans et certains médias…, expliquait peu avant l’Euro 2016 le journaliste croate Aleksandar Holiga, qui collabore avec le Guardian ou encore Four-Four-Two. C’est un entraîneur médiocre… Ses prédécesseurs, Bilić, Štimac et Kovač avaient au moins un certain charisme en tant qu’anciens joueurs et leaders sur le terrain, alors que Čačić n’a rien de tout ça. » À L’Euro, la sélection s’offre tout de même le scalp de l’Espagne en phase de poules, en développant un football chatoyant. Un parcours qui ne sera considéré en Croatie que comme une parenthèse dorée, qui accouche d’un final amer. Les Vatreni se font sortir par le Portugal en huitièmes de finale, au terme d’un match où Čačić n’aura jamais trouvé la solution tactique pour percer la muraille lusitanienne. Il sera notamment très critiqué pour n’avoir fait entrer en jeu Nikola Kalinić et Marko Pjaca qu’aux 88e et 110e minutes du match.

Mamić, l’épouvantail croate

Le ressentiment général que suscite Čačić auprès des fans est également lié à l’odeur de soufre et de népotisme qui a imprégné la sélection peu après sa nomination. « Le manque de compétence de Čačić n’a pas été pris en compte par les personnes qui l’ont nommé… Ce n’est pas un secret : Čačić est un choix personnel de Zdravko Mamić, le boss du Dinamo Zagreb, qui est aussi celui qui dirige dans l’ombre le football croate » , pose Aleksandar Holiga. Ex-président du Dinamo Zagreb soupçonné de détournement de fonds, Mamić est réputé pour son réseau d’influence tentaculaire, si bien qu’il est souvent présenté comme le seul vrai patron de la sphère footballistique croate.

Le hic, c’est qu’en Croatie, Mamić suscite un rejet de plus en plus massif. Mis en cause pour avoir détourné près de quinze millions d’euros des caisses du club lorsqu’il était à la tête du Dinamo, son procès hyper médiatisé a aussi jeté l’opprobre non seulement sur Dejan Lovren, mais également sur Luka Modrić, icône jusqu’ici intouchable, que la justice soupçonne de faux témoignage en faveur de Mamić. Une épopée judiciaire qui n’est bien entendu pas de nature à pacifier le quotidien déjà rock’n roll d’une sélection sous pression. Désormais, le fusible Čačić a sauté, et l’ultime étape pour le mondial russe s’annonce corsée, face à une équipe ukrainienne qui vendra chèrement sa peau. Un virage serré que Modrić et les siens vont devoir aborder en dérapage contrôlé. Pour peut-être éviter à la sélection de sombrer définitivement dans le précipice qui la menace depuis déjà plusieurs mois.

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Par Adrien Candau

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